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Décisions

Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-81.918

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Zerbib

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Spinosi et Sureau

Versailles, 9e ch., du 10 févr. 2017

10 février 2017

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Bertrand X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9e chambre, en date du 10 février 2017, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Sur le recevabilité du pourvoi formé le 16 février 2017 :

Attendu que M. X ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait le 15 février 2017, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision ; que seul est recevable le pourvoi formé le 15 février 2017 ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme sur la culpabilité et des pièces de procédure que M. X a été poursuivi, à la suite d'une vérification comptable entreprise par les services fiscaux, pour avoir, en sa qualité de dirigeant de droit et représentant légal de la SAS Fimespace, société de conseil aux entreprises placée en redressement judiciaire le 7 juillet 2009 puis en liquidation judiciaire le 22 décembre 2009, courant 2008 à 2009, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2008, frauduleusement soustrait la société à l'établissement et au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt, par souscription de déclarations de taxes minorées ; que déclaré coupable de ce délit par le tribunal correctionnel, il a interjeté appel du jugement de même que le ministère public et l'administration fiscale ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 269, 1741 du code général des impôts, 227 du Livre des procédures fiscales, 111-3, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement qui a déclaré M. Bertrand X coupable du délit de fraude fiscale ;

aux motifs que l'infraction reprochée est suffisamment caractérisée ; qu'il apparaît en effet :

- que les abandons de créances sont intervenus le 31 décembre 2008 soit au terme de l'année au cours de laquelle les déclarations mensuelles de TVA ont été minorées ;

- que ces abandons de créances, consentis par une holding à deux filiales dont elle détenait la totalité du capital, à défaut de constituer un simple jeu d'écriture, ne sont pas de nature à régulariser rétroactivement des déclarations minorées de TVA ;

- que l'administration a reconstitué le chiffre d'affaires de la société Fimespace et la TVA éludée à partir des encaissements relevés sur le compte bancaire de l'entreprise ;

- que les abandons de créances n'ont pas été évoqués au cours de la vérification fiscale ; que les dirigeants de la société Fimespace en ont fait état le 15 octobre 2009 soit dix jours avant la notification du redressement ;

- que M. X n'a pas formé de recours administratif pour contester les évaluations et appréciations des services fiscaux ;

- que la société Fimespace, aux dires mêmes de la défense, a elle-même bénéficié au cours de l'exercice 2008 d'un abandon de créance ;

- qu'un dirigeant, à défaut de produire une délégation de pouvoir, ne peut se décharger de sa responsabilité en matière fiscale et comptable en invoquant les carences de ses subordonnés ;

- que M. Christophe A, le directeur financier, n'avait pas de délégation de pouvoir ; que celle de M. B ne visait expressément que l'hygiène et la sécurité de l'entreprise ;

- que le témoignage de M. A est suffisamment explicite sur la connaissance que M. X pouvait avoir de la politique fiscale mise en oeuvre dans la société Fimespace ;

- que l'établissement d'une fraude fiscale et le prononcé d'une solidarité au titre de l'article 1745 du code général des impôts ne sont pas liés à une déclaration de créance fiscale au passif d'une procédure collective ; qu'il y a lieu, au vue de l'ensemble de ces éléments, de confirmer le jugement déféré sur la culpabilité ;

1°) alors que le délit de fraude fiscale suppose, pour être caractérisé, que les sommes dissimulées aient été sujettes à l'un des impôts visés ; qu'en matière de prestations de service, la TVA n'est exigible qu'au jour de l'encaissement des acomptes, du prix ou de la rémunération ; qu'en déclarant M. X, en qualité de dirigeant de droit et représentant légal de la société Fimespace, coupable de fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à la TVA en souscrivant des déclarations de TVA minorées sur l'année 2008, lorsqu'elle constatait que des abandons de créances avaient été consentis par la société Fimespace à ses deux filiales le 31 décembre 2008, ce dont il se déduisait que les sommes relatives aux créances abandonnées, qui n'avaient jamais été encaissées, n'étaient pas sujettes à la TVA, de sorte que le défaut de déclaration desdites sommes ne pouvait constituer le délit de fraude fiscale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

2°) alors qu'en se fondant, pour déclarer M. X coupable du délit de fraude fiscale par dissimulation volontaire de sommes sujettes à la TVA, sur le chiffre d'affaires de la société Fimespace reconstitué par l'administration fiscale qui n'avait pas tenu compte des abandons de créances consentis par la société Fimespace à ses deux filiales, tout en constatant que  les abandons de créances sont intervenus le 31 décembre 2008 , la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

3°) alors qu'en outre, si le juge répressif est en droit, à l'issue d'un débat contradictoire, de puiser les éléments de sa conviction dans les constatations de fait relevées par les vérificateurs fiscaux, c'est à la condition qu'il en apprécie lui-même l'exactitude ; qu'en l'espèce, pour écarter l'argumentation du prévenu qui faisait valoir que la diminution du compte client de la société Fimespace pour l'année 2008 résultait, non d'encaissements non déclarés comme le soutenait l'administration fiscale, mais des abandons de créances qu'elle avait concédés à ses deux filiales, lesquels n'avaient pas été pris en compte par les vérificateurs fiscaux lorsqu'ils avaient reconstitué le chiffre d'affaires de ladite société pour calculer le montant de la TVA éludé, la cour d'appel a retenu que  les abandons de créances n'ont pas été évoqués au cours de la vérification fiscale  et que  M. X n'a pas formé de recours administratif pour contester les évaluations et appréciations des services fiscaux  ; qu'en prononçant ainsi, lorsqu'il lui appartenait, pour forger sa conviction, d'apprécier l'exactitude des constatations de fait relevées par les vérificateurs fiscaux et contradictoirement débattus devant elle, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;

4°) alors que le chef d'entreprise, qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; que la preuve de l'existence d'une telle délégation n'est soumise à aucun formalisme particulier ; qu'en l'espèce, le demandeur faisait valoir qu'en raison de l'importance du groupe de sociétés qu'il dirigeait, il avait, pour la société Fimespace, délégué ses pouvoirs en matière fiscale à MM. B et A, respectivement directeur général et directeur financier de ladite société, ce qui expliquait notamment qu'il n'ait jamais signé les déclarations de TVA et qu'il n'ait pas été convoqué ni consulté au cours de la procédure fiscale dont cette société a fait l'objet ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter cet argument, qu'à défaut de produire une délégation de pouvoir, un dirigeant ne peut se décharger de sa responsabilité en matière fiscale et comptable en invoquant les carences de ses subordonnés, lorsqu'il lui appartenait de rechercher si les circonstances de fait exposées par le prévenu n'établissaient pas l'existence des délégations de pouvoirs dont il se prévalait, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré M. X coupable de fraude fiscale, l'arrêt énonce notamment, par motifs propres et adoptés, que les juges ont constaté, d'une part, la minoration de taxe sur la valeur ajoutée signalée à raison d'une dissimulation du chiffre d'affaire porté mensuellement à la connaissance de l'administration par abstention de déclaration de partie des recettes effectivement encaissées et comptabilisées, d'autre part, les abandons de créances invoqués par le prévenu consentis par la société Fimespace à ses filiales apparaissant dans les comptes sociaux établis au 31 décembre 2008 et jamais évoqués lors de la vérification fiscale, sans lien avec les faits visés à la prévention, ne sont pas susceptibles de régulariser rétroactivement les déclarations minorées de taxe sur la valeur ajoutée ;

Que les juges ajoutent, après avoir vérifié l'absence de réalité des délégations invoquées à défaut de tout écrit qui les consigneraient, compte tenu du caractère limité de l'une d'elle à l'hygiène et la sécurité dans l'entreprise et des déclarations de l'un des directeurs administratifs et financiers se présentant comme un simple exécutant, que le prévenu, dirigeant social, faute de produire une délégation de pouvoirs désignant un délégataire en matière d'établissement de déclarations fiscales, ne peut s'exonérer de sa responsabilité ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ressort que les juges, qui ont répondu à tous les chefs péremptoires des conclusions déposées devant eux par des motifs souverains exempts d'insuffisance, comme de contradiction, et se sont forgé leur propre conviction après examen des éléments de la cause, et dès lors qu'il appartient au prévenu qui se prévaut d'une délégation de pouvoir devant être acceptée du délégataire pour être valable, d'en rapporter la preuve dont il a la charge, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Mais, sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-1 du code pénal, 485, 512, 591, 593 du code de procédure pénale ;

en ce que la cour d'appel a condamné M. X à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis ;

aux motifs que sur la sanction, que M. X n'a pas été condamné au cours des cinq années précédant les faits pour un crime ou un délit de droit commun aux peines prévues par les articles 132-30, 132-31 et 132-33 du code pénal ; qu'il peut bénéficier d'un emprisonnement assorti du sursis simple dans les conditions prévues par les articles 132-29 à 132-34 de ce même code ; qu'il y a lieu, au vu de l'importance des droits éludés et en réformant la décision prise en première instance, de prononcer à son encontre une peine d'un an d'emprisonnement assortie du sursis ;

alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; qu'en condamnant M. X à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis sans s'expliquer sur sa personnalité et sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

Vu l'article 132-1 du code pénal, et les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que pour porter de huit mois à un an la peine d'emprisonnement avec sursis prononcée par les premiers juges à l'encontre de M. X, la cour d'appel se fonde sur l'importance des droits éludés ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur la personnalité du prévenu et sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité et les dispositions civiles n'encourent pas la censure ;

Par ces motifs :

Sur le pourvoi formé le 16 février 2017 :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé le 15 février 2017 :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 10 février 2017, mais en ses seules dispositions relatives à la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.