Cass. crim., 18 septembre 2001, n° 00-86.518
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Mazars
Avocat général :
Mme Commaret
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 6 septembre 2000, qui, pour violation du secret professionnel, l'a condamné à 50 000 francs d'amende.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 du Code civil, 226-13 du Code pénal, 6, 174, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X coupable de violation du secret professionnel ;
" aux motifs qu'il est avéré que X a divulgué le contenu d'un procès-verbal à Y qui était un tiers dans la procédure ; qu'en effet, statuant sur le recours formulé dans la présente procédure par X contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles en date du 27 mars 1998 qui avait rejeté sa requête en nullité de procédure, la chambre criminelle de la Cour de Cassation, pour rejeter le pourvoi formé, a énoncé que les juges d'appel avaient justifié leur décision en retenant, après avoir rappelé que les écoutes téléphoniques avaient été réalisées sans artifice ni stratagème, que la liberté de communication entre l'avocat et son client, qui entraînait l'interdiction d'intercepter les correspondances ou les communications téléphoniques qu'ils échangent, ne faisait pas obstacle à ce que le juge d'instruction, ayant placé sous écoutes téléphoniques le domicile d'un proche d'une personne mise en examen, intercepte les communications de ce dernier avec l'avocat de cette personne, dès lors qu'il avait été souverainement estimé que les communications interceptées étaient étrangères à la fonction d'interprète de Y ;
" alors que les décisions des chambres d'accusation statuant sur la régularité de la procédure n'ont pas autorité de la chose jugée quant au fond du droit, les droits de la défense devant demeurer entiers sur ce point devant les juridictions de jugement qui doivent statuer au vu des éléments de preuve régulièrement débattus devant elles ; que le délit de violation du secret professionnel, lorsque le secret concerne le contenu de pièces couvertes par le secret de l'instruction, n'est constitué qu'autant que la révélation alléguée est faite à un tiers à la procédure ; que n'est pas un tiers à la procédure l'interprète du client de l'avocat ne parlant pas la langue française ; qu'en effet il intervient pour la défense de celui-ci afin de lui permettre un accès effectif à la procédure ; qu'en déduisant la qualité de tiers à la procédure de Y, à qui X avait révélé partie du contenu d'un procès-verbal du dossier de l'information en vue de le communiquer à sa cliente Mme Z, mère d'Alexis Z poursuivi pour assassinat et mineur à l'époque des faits, des motifs de l'arrêt de la chambre d'accusation par lesquels celle-ci, statuant sur la régularité de la procédure, avait estimé que les communications interceptées étaient étrangères à la fonction d'interprète de Y, la cour d'appel, qui s'est irrégulièrement considérée tenue par les motifs de la chambre d'accusation auxquels elle a ainsi conféré, en violation des principes susvisés, l'autorité de la chose jugée, a méconnu l'obligation de juger qui était la sienne ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 226-13 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motif, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X coupable de violation du secret professionnel ;
" alors que le délit de violation du secret professionnel suppose la révélation d'une information à caractère secret ; que X soutenait dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel que la lecture des extraits du procès-verbal incriminé ne comportait la révélation d'aucune information à caractère secret et qu'en présence de la motivation des premiers juges qui avaient admis qu'effectivement il n'y avait pas eu de véritable secret révélé, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître le texte susvisé, omettre de s'expliquer sur cet argument qui était péremptoire ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-13 du Code pénal, 11, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X coupable de violation du secret professionnel ;
" aux motifs que la chambre d'accusation, statuant sur la requête en nullité de X, a souverainement estimé que les communications interceptées étaient étrangères à la fonction d'interprète de Y ; que la nature des écoutes téléphoniques pratiquées établit que X et Y, celle-ci oeuvrant avec le concours d'une journaliste du Nouvel Observateur, tentaient à l'époque des faits de déstabiliser le juge d'instruction, en mettant à profit un incident accréditant la thèse, favorable à la défense, d'un complot de la mafia russe ; que l'essence même du but recherché excédait, de par sa nature, l'action que pouvait mener l'avocat pour se faire l'interprète ou assurer la communication des renseignements puisés dans le dossier d'instruction auprès de la mère d'Alexis Z, laquelle d'ailleurs ne se trouvait nullement présente aux côtés de Y lors des faits ; que les propos échangés mettent en évidence l'élaboration d'une véritable stratégie de Y elle-même, stratégie à laquelle X a souscrit intégralement afin d'influer sur le cours de l'instruction ; qu'il doit être relevé au demeurant que la mère d'Alexis Z avait eu un entretien avec son fils la veille des faits, le 19 décembre 1996, et que son information sur les derniers déroulements de la procédure d'instruction ne paraissait pas devoir s'imposer dans l'urgence ;
" alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 11 du Code de procédure pénale et 226-13 du Code pénal qu'il n'y a pas de violation du secret professionnel de la part de l'avocat lorsque la communication de renseignements issue du dossier de la procédure d'information est rendue nécessaire par l'exercice des droits de la défense ; que la communication par l'avocat de la teneur d'un procès-verbal à l'interprète de son client qui ne parle pas la langue française est une nécessité et qu'il s'agit là pour le client d'un droit qui constitue un élément du procès équitable au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les juges d'appel, tout en critiquant la personnalité de Y, interlocuteur de X, ont implicitement admis que celle-ci était l'interprète de Mme Z, mère d'Alexis Z, mineur au moment des faits, dont ils n'ont pas contesté qu'elle ne comprend pas le français et que, dès lors, en entrant en voie de condamnation à l'encontre de X pour violation du secret professionnel pour la raison qu'il avait lu à l'interprète de Mme Z, sa cliente, un procès-verbal appartenant au dossier de l'information, l'arrêt a méconnu le principe susvisé ;
"alors que l'exercice de la défense est libre par essence ; que les juges n'ont pas le droit, sous prétexte qu'ils ont à statuer sur des faits susceptibles de constituer le délit de violation du secret professionnel, d'exercer leur contrôle sur les arguments envisagés par un avocat pour défendre son client et que par conséquent la contestation par des juges de la cour d'appel, au nom d'un prétendu droit du juge d'instruction à ne pas être déstabilisé, de la ligne de défense adoptée par X constitue une violation tout à fait inadmissible des droits de la défense et du principe du procès équitable ;
" alors que l'exercice de la défense est libre et que par conséquent l'avocat ne doit aucun compte au juge du moment qu'il choisit pour communiquer avec son client, fût-ce par le truchement d'un interprète ;
Sur le quatrième moyen, pris de la violation des articles 6.1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation du principe de la loyauté des preuves, défaut de motif, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X coupable de violation du secret professionnel ;
" alors que la règle de la libre communication entre l'avocat et son client interdit l'interception des correspondances ou communications téléphoniques échangées entre eux, tant en vertu des principes du droit interne, qu'en vertu des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il en résulte que les juges correctionnels ne sauraient, comme en l'espèce, fonder une décision de condamnation sur un élément de preuve constitué d'écoutes téléphoniques dont l'objet était d'investiguer, à partir du poste téléphonique de l'interprète de Mme Z, cliente de X, sur la ligne de défense préconisée par ce dernier ;
" alors que les écoutes téléphoniques irrégulières constituant le seul élément de preuve retenu par les juges pour fonder leur décision de condamnation du chef de violation du secret professionnel, cette décision doit être censurée comme méconnaissant ouvertement, tant le principe selon lequel une décision de condamnation ne saurait reposer exclusivement sur les pièces obtenues de façon déloyale, que le principe du procès équitable ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que X a été choisi comme avocat par Alexis Z, mis en examen pour l'assassinat de six personnes, dont son père ; que ce dernier, rétractant ses aveux, a déclaré que les crimes avaient été commis par un membre de la mafia russe qui l'avait contraint à s'en accuser sous la menace de tuer sa mère et d'autres membres de sa famille ; qu'à la suite du meurtre de l'oncle du jeune homme le juge d'instruction a fait placer sous écoutes téléphoniques la ligne du domicile d'Y, amie de Raïssa Z, mère d'Alexis, chez laquelle cette dernière résidait lorsqu'elle venait en France, et qui l'avait occasionnellement assistée comme interprète devant le juge d'instruction ; que des conversations ayant été interceptées au cours desquelles X révélait à Y le contenu d'un procès-verbal d'interrogatoire de son client couvert par le secret de l'instruction, cet avocat est poursuivi pour violation du secret professionnel sur le fondement de l'article 226-13 du Code pénal ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce délit, la juridiction du second degré énonce que l'avocat, s'il ne concourt pas à la procédure au sens de l'article 11 du Code de procédure pénale, doit, en application de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, respecter le secret de l'instruction en s'abstenant de communiquer, sauf à son client pour les besoins de sa défense, des renseignements ou des pièces du dossier en cours ; qu'après avoir relevé qu'Alexis Z avait fait le choix de X comme avocat alors qu'il était devenu majeur, les juges retiennent que le prévenu a, au cours des entretiens téléphoniques, livré à Y, des passages entiers du procès-verbal d'interrogatoire qui venait d'être dressé par le juge d'instruction et a proposé l'envoi en fax du document, sa correspondante lui promettant de le détruire après lecture ;
Que, pour écarter le moyen de défense du prévenu, qui faisait valoir que les appels téléphoniques étaient destinés à renseigner la mère de son client, les juges relèvent que Raïssa Z n'était pas présente lors des appels téléphoniques et que la teneur des propos échangés révèle que X et Y, avec le concours d'une journaliste, mettaient en oeuvre une campagne de presse pour déstabiliser le juge d'instruction ; qu'enfin, pour caractériser l'élément intentionnel du délit, la cour d'appel retient qu'au cours d'une conversation téléphonique, X a évoqué le risque d'une plainte pour violation du secret de l'instruction ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, d'où il résulte que c'est sciemment qu'en méconnaissance des dispositions de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 l'avocat a révélé à un tiers le contenu d'un acte couvert par le secret de l'instruction, les juges ont caractérisé en tous ses éléments le délit de violation du secret professionnel, dont ils ont déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que les moyens, irrecevables en application de l'article 385 du Code de procédure pénale, en ce qu'ils invoquent la nullité des écoutes téléphoniques, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme :
REJETTE le pourvoi.