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Décisions

Cass. crim., 15 juin 1999, n° 98-85.102

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Cotte

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde

Lyon, 7e ch., du 29 avr. 1998

29 avril 1998

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 713-2, L. 713-3-4 et L. 716-9 du Code de la propriété intellectuelle, 121-3 du Code pénal, 339 de la loi du 16 décembre 1992 dite "loi d'adaptation", 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Luc Y... et Philippe X... coupables de contrefaçon par suppression de marque ;

"aux motifs que la société Imaje a régulièrement déposé la marque "Imaje" sous forme de logo, le 28 octobre 1992, à l'INPI ;

qu'elle porte cette inscription sur ses machines et sur les produits consommables, sous forme d'étiquettes et d'inscriptions moulées dans la masse, pour les cartouches d'encre et de solvant ; qu'il résulte des écritures et des pièces saisies dont la description et les photos sont produits aux débats, que la société EPG, lors du reconditionnement supprime l'étiquette du fabriquant, recouvre le logo par sa propre étiquette, et remplit la cartouche d'encre ou de solvants de sa fabrication ; que la société Imaje n'a donné aucune autorisation de réutilisation de ses cartouches à quiconque, estimant que la bonne marche de ses imprimantes exige une adéquation parfaite entre la cartouche, et la machine à imprimer ;

que les prévenus le savent d'autant plus qu'ils ont été condamnés par le tribunal de commerce le 22 septembre 1994 à cesser la fabrication et la commercialisation de tous produits de la société Imaje ; que même si la propriété de la cartouche est transférée au consommateur, ce transfert ne peut autoriser un tiers, en l'occurrence la société EPG, à réutiliser la cartouche portant la marque originaire, quel qu'en soit le contenu, à des fins commerciales ; que, de surcroît, le fait matériel d'enlever l'étiquette et de cacher le logo par leur marque démontre l'intention délictuelle des prévenus, cherchant non pas à respecter le droit des marques, comme ils le soutiennent, mais à le détourner, dans un but lucratif ;

que l'exception d'épuisement du droit de marque n'est pas recevable ; qu'en effet l'article L. 713-4 du Code de propriété intellectuelleréserve le droit du propriétaire de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation s'il justifie de motifs légitimes tenant notamment à la modification ou à l'altération de l'état des produits ; qu'au surplus le principe d'épuisement n'induit pas que la marque puisse être supprimée sur le produit commercialisé ;

"alors que le titulaire de la marque épuise son droit par la première mise en circulation de l'objet marqué ; qu'en vertu de ce principe, le fait pour une entreprise de réutiliser un emballage vide en prenant soin de dissimuler la marque portée sur cet emballage par le premier utilisateur titulaire de la marque afin d'éviter toute confusion avec les produits commercialisés au moyen de cet emballage par ce dernier ne constitue pas le délit de contrefaçon par suppression de marque ;

"alors que la faculté ouverte au propriétaire d'une marque par l'article L. 713-4 du Code de la propriété industrielle de s'opposer à toutnouvel acte de commercialisation est subordonnée à l'existence de motifs légitimes tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits et que la cour d'appel quine constatait pas que la société Imaje, partie civile, ait justifié de tels motifs légitimes, ne pouvait, sans méconnaître le texte susvisé, déclarer irrecevable l'exception d'épuisement du droit de marque invoqué par les demandeurs" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Imaje, titulaire de la marque du même nom, fabrique et vend sous cette marque des machines d'impression sur tout support et leurs cartouches d'encre, dont elle a déposé le modèle ; que, dénonçant la réutilisation, par ses anciens salariés, Philippe X... et Jean-Luc Y..., des cartouches d'encre mises sur le marché, elle les a fait citer devant le tribunal correctionnel pour contrefaçon de marque, de modèle et d'oeuvre de l'esprit ;

Attendu que, pour les déclarer coupables du premier de ces délits, les juges d'appel exposent que la société laboratoires EPG, dirigée par les prévenus, procède à la collecte des cartouches vides de la marque auprès des utilisateurs d'imprimantes Imaje, à leur remplissage par des encres ou solvants de sa production, puis à leur rebouchage étanche en vue de leur commercialisation ; que, lors du reconditionnement qu'ils effectuent, les laboratoires EPG suppriment l'étiquette revêtue de la marque du fabricant et recouvrent le logo de celui-ci, moulé dans la masse, par sa propre étiquette ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs qui caractérisent la suppression de marque, la cour d'appel, qui a relevé que les contrefacteurs n'étaient pas recevables à invoquer l'exception d'épuisement du droit du titulaire de la marque, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a fixé le préjudice dû à la société Imaje, partie civile, du fait des délits de contrefaçon à 400 000 francs ;

"aux motifs, repris des premiers juges, que la société EPG ne conteste pas avoir réalisé un chiffre d'affaires de 315 000 francs pour les huit premiers mois de l'arrêt 1995 ; que l'extrapolation d'activité pour les sept derniers mois et le calcul de mars auquel a procédé la société Imaje permettent de déterminer le préjudice subi par celle-ci en raison des actes de contrefaçon retenus à l'encontre des prévenus ;

"alors que le dommage résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour chacune des deux parties ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, les demandeurs faisaient valoir que le tribunal a basé son calcul sur le chiffre d'affaires global de la société Laboratoires EPG alors que cette dernière propose de nombreuses autres références adaptables sur des machines autres que celles de la société Imaje ; qu'il convenait donc pour déterminer l'éventuelle perte de marge de la société Imaje, de déterminer la part de chiffre d'affaires réalisée grâce à la facturation du reconditionnement des cartouches Imaje ; qu'il résulte d'une attestation de la société Laboratoires EPG certifiée par son expert comptable, que cette dernière a réalisé pour les exercices 1994, 1995 et 1996 un chiffre d'affaires de 230 921,80 francs au titre des reconditionnements référencés 70 et 79 ; qu'à supposer que la marge de la société Imaje pour ce type de produit soit de 40 %, la perte de marge éventuellement subie par celle-ci ne saurait par conséquent dépasser 92 368,72 francs, somme fort éloignée des 400 000 francs sollicités ; et qu'en ne s'expliquant pas sur ces chefs péremptoires de conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe susénoncé" ;

Attendu qu'en évaluant comme elle l'a fait, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, l'indemnité réparant le préjudice résultant pour la victime de l'atteinte portée à ses droits de propriété intellectuelle, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer, en ses divers aspects, le dommage né de l'infraction ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Attendu que les peines prononcées et les réparations allouées à la partie civile étant justifiées par la déclaration de culpabilité du chef de contrefaçon de marque, il n'y a pas lieu d'examiner les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens critiquant les déclarations de culpabilité, à raison des mêmes faits, du chef de contrefaçon de modèle et d'une oeuvre de l'esprit ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus.