Cass. crim., 16 mai 2001, n° 00-84.780
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme de la Lance
Avocat général :
M. Launay
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Vincent et Ohl
LA COUR,
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1er, alinéa 2, 2, 593 du Code de procédure pénale, 314-5, 314-13, 121-2, 121-3, 111-4 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable de détournement de gage sur la plainte avec constitution de partie civile de la caisse régionale de Crédit Agricole du Tarn, déclarée recevable, et l'a condamné pénalement et civilement ;
" aux motifs qu'il n'est pas contesté que le Crédit Agricole avait acquis, avant l'ouverture de la procédure collective, un droit de rétention issu du gage avec dépossession portant sur les 98 000 jambons compris dans les actifs cédés ensuite à la Société Nouvelle SPO ; qu'il n'est pas non plus contesté que le repreneur a pris possession d'une partie de ces marchandises sans l'accord du tiers convenu, Auxiga ; que la remise de billets à ordre, même assortis d'une garantie bancaire à première demande, ne saurait être assimilée à un paiement, eu égard aux délais consentis ; que ce paiement ait effectivement eu lieu ensuite selon l'échéancier prévu ne saurait justifier a posteriori l'atteinte portée antérieurement aux droits du créancier ; que la Société Nouvelle SPO, dirigée par Jean X..., est redevable du paiement de la somme en contrepartie de laquelle le créancier a accepté de donner mainlevée de cette garantie ; que le prévenu a nécessairement la qualité de débiteur requis par l'article 314-5 du Code pénal ; que le déficit de 13 364 jambons constaté le 21 juillet 1998, avant même l'échéance du premier des billets à ordre souscrits, manifeste la volonté de Jean X... de s'affranchir des obligations qu'il avait reconnu être les siennes quelques semaines plus tôt ; que s'il est exact que le détournement du gage n'a pas nui au paiement de la créance qu'il garantissait, il n'en demeure pas moins que le créancier a dû engager et suivre diverses procédures pour parvenir à la reconnaissance de ses droits ;
" alors que, d'une part, l'action civile n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert d'un dommage directement causé par l'infraction ; que les frais de procédure engagés par la partie civile ne constituent pas un préjudice directement causé par l'infraction ; que l'arrêt attaqué, qui constate que la partie civile n'a subi aucun préjudice, ne pouvait déclarer recevable sa constitution de partie civile au seul motif qu'elle avait dû engager des frais de procédure pour faire reconnaître ses droits ;
" alors que, d'autre part, le délit de détournement de gage ne peut être poursuivi aux termes de l'article 314-5 du Code pénal qu'à l'encontre du débiteur, emprunteur, ou du tiers donneur du gage ; que l'arrêt attaqué a méconnu ce texte ainsi que le principe de la stricte interprétation de la loi pénale rappelé par l'article 111-4 du Code pénal, en déclarant que le prévenu avait "nécessairement" la qualité de débiteur au motif que sa société, en sa qualité de repreneur de la société en redressement judiciaire qui avait fourni le gage, était redevable du paiement des sommes en contrepartie desquelles le créancier avait accepté de recevoir d'autres garanties nouvelles ;
" alors que, de troisième part, le délit de détournement de gage implique l'intention du débiteur de porter atteinte aux droits du créancier ; qu'en constatant l'absence de préjudice de la partie civile, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'intention délictuelle du prévenu et a privé sa décision de base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société " Salaisons du Pays d'Oc " (SPO), en avril 1997, a affecté en gage au profit de la caisse régionale du Crédit Agricole, en garantie d'un crédit, un stock de jambons en cours de séchage, la société Auxiga étant désignée tiers détenteur ; que la société SPO a été placée en redressement judiciaire en mars 1998, qu'un jugement du mois de juin suivant a décidé la cession des actifs à la société Regnault, dont Jean X... est le dirigeant, le stock gagé devant être payé en huit mensualités par billets à ordre avalisés et qu'en juillet 1998, le tiers détenteur a constaté la réduction du stock gagé ;
Attendu que, pour déclarer Jean X... coupable de détournement d'objets gagés, les juges du second degré se prononcent par les motifs repris partiellement au moyen et, notamment, énoncent qu'aucune disposition de la loi du 25 janvier 1985 ne prévoit que la cession d'une entreprise puisse porter atteinte à un droit de rétention, issu d'un gage avec dépossession portant sur des éléments d'actifs, régulièrement acquis avant l'ouverture de la procédure collective, que le repreneur a cependant pris possession d'une partie des marchandises alors que la remise de billets à ordre ne pouvait constituer, faute d'accord du créancier, une substitution de garantie ni un paiement ;
Qu'ils retiennent que le gage subsistait, que la société dirigée par le prévenu étant redevable de la somme ainsi garantie, celui-ci avait bien la qualité de débiteur requise par l'article 314-5 du Code pénal, que les écrits qu'il a échangés avec le Crédit Agricole, avant le plan de cession, révèlent l'exigence du créancier quant au maintien du gage et son accord pour une réduction du stock au fur et à mesure des paiements et que la baisse du stock constatée, avant même le premier paiement, manifeste la volonté du prévenu de s'affranchir de ses obligations et donc sa mauvaise foi ;
Attendu que, pour condamner Jean X... à payer au Crédit Agricole la somme de 10 000 francs à titre de dommages et intérêts, les juges énoncent que si le détournement du gage n'a pas nui au paiement de la créance qu'il garantissait, le créancier a dû engager et suivre diverses procédures pour faire reconnaître ses droits et qu'ils disposent d'éléments d'appréciation suffisants pour fixer le montant du préjudice causé par l'infraction ;
Qu'en l'état de ces motifs, qui caractérisent, sans insuffisance ni contradiction, tous les éléments constitutifs du délit dont elle a déclaré le prévenu coupable et déterminent le préjudice direct subi par la partie civile, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'en effet, d'une part, l'indisponibilité de biens gagés par une société, placée ultérieurement en redressement judiciaire, s'impose au repreneur de celle-ci dans le cadre d'un plan de cession lui donnant la qualité de débiteur du créancier gagiste et, d'autre part, le paiement, postérieur au détournement du gage, ne fait pas disparaître le délit ni le préjudice en résultant, celui-ci ne se confondant pas avec la créance préexistante ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.