CA Rouen, ch. de la proximite, 26 novembre 2020, n° 19/03243
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Constructions et Rénovations Normandes (SARL)
Défendeur :
Centre Equestre de La Belletière (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Mellet
Avocats :
Me Ferial, Me Leroux-Bostyn
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS DES PARTIES
La S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes a effectué depuis 2009 différents travaux de rénovation pour la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière.
Une facture datée du 29 mars 2011 d'un montant de 14.935,24 euros est restée impayée.
Par jugement du 11 juillet 2016, le tribunal de grande instance d'Evreux a ouvert à l'égard de la SCI Haras de la Belletière avec extension à la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière et à M. X une procédure de redressement judiciaire, et a désigné la SCP W Y. en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 9 février 2017, le tribunal de commerce de Bernay a :
- donné acte à la SCP W Y prise en la personne de Maître Y de son intervention volontaire à la cause en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article L.137-2 du code de la consommation ;
- reçu la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes en sa demande en paiement de la facture d'un montant de 14.935,24 euros, l'a déclarée mal fondée et l'en a déboutée ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné la société S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes aux dépens, ceux visés à l'article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 70,20 euros et à payer à la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière la somme de 700 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 19 septembre 2018, la cour d'appel de Rouen a infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant dit ne pas y avoir lieu à application de l'article L.137-2 du code de la consommation et ayant déclaré recevable l'action de la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes.
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, elle a :
- déclaré recevable l'intervention volontaire en première instance de Maître Y en qualité de mandataire judiciaire de la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière ;
- fixé au passif du redressement de la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière et à titre chirographaire les créances suivantes de la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes :
* 14.935,24 euros TTC au titre de la facture du 29 mars 2011 ;
* 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- condamné la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière à payer à la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes une somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière à payer les dépens de première instance et d'appel.
Cet arrêt a été signifié à la SCP W Y prise en la personne de Maître Y le 5 octobre 2018.
Par jugement du 22 octobre 2018, le tribunal de grande instance d'Evreux a adopté le plan de redressement par voie de continuation et d'apurement du passif au bénéfice de la SCI Haras de la Belletière, la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière et M. X.
Suivant acte d'huissier délivré le 6 février 2019, un commandement aux fins de saisie vente a été signifié au Centre Equestre de la Belletière ainsi qu'à la personne de Maître Y, es qualité de mandataire judiciaire de la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière, en étude d'huissier, à la requête de la S.A.R.L. Constructions et Renovations Normandes en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 19 septembre 2018 signifié à avocat le 26 septembre 2018, lui faisant commandement de payer la somme de 4.393,85 euros soit 3.500 euros en principal, outre les intérêts et frais.
Par exploit d'huissier du 5 mars 2019, la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière et Maître Y, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière, ont fait assigner la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux aux fins de voir prononcer la nullité du commandement de payer en date du 6 février 2019 et de condamner la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes à lui verser une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.
Par jugement contradictoire en date du 23 juillet 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux a :
- déclaré irrecevables les demandes formulées par Maître Y en qualité de commissaire à l'exécution du plan pour défaut de qualité à agir,
- prononcé la nullité du commandement de saisie vente du 06 février 2019 à la requête de la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes,
- condamné la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes à payer à la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière une indemnité de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes aux dépens,
- rappelé que le jugement bénéficiait de l'exécution provisoire de droit.
Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a considéré d'une part, au visa de L.621-68 du code de commerce, que le commissaire à l'exécution du plan, qui ne représente pas le débiteur, n'a pas qualité pour demander, dans l'intérêt collectif des créanciers, la mainlevée de mesures d'exécutions forcées correspondant à des créances postérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective, et d'autre part que les créances que vise ce commandement en date du 06 février 2019 ne rentrent pas dans les prévisions de l'article L.617-22 du code de commerce ( en réalité L.622-17) , dans la mesure où la demande en remboursement d'honoraires de l'avocat chargé d'assister la société débitrice en liquidation judiciaire, si elle est soumise à la priorité de créance fixée par l'article L.617-22 du code de commerce, en revanche en l'espèce s'agissant d'une créance de frais irrépétibles engagés par le créancier et non par le débiteur, elle ne correspond pas dans sa finalité aux exigences posées par la loi.
Par déclaration enregistrée au greffe le 16 décembre 2019, la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes a interjeté appel du jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 16 décembre 2019, elle demande à la cour d'appel :
Vu les dispositions des articles 905-2 et suivants du code de procédure civile,
- de déclarer irrecevables les conclusions d'intimée de la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière,
- de dire et juger la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes recevable et bien fondée en son appel,
- d'infirmer le jugement rendu le 23 juillet 2019 par le juge de l'exécution d'Evreux en ce qu'il a prononcé la nullité du commandement de saisie vente du 06 février 2019 signifié à la requête de la S.A.R.L. Constructions et Rénovations Normandes,
- de dire et juger parfaitement valable ce commandement de payer du 06 février 2019,
- de condamner la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière à lui payer à une indemnité de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- de condamner la S.A.R.L. Centre Equestre de la Belletière à lui payer une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir essentiellement que :
- au vu de l'article L.622-17 du code de commerce, la créance litigieuse, née après le jugement du 11 juillet 2016 et consacrée par l'arrêt rendu le 19 septembre 2018, est parfaitement régulière puisqu'elle résulte d'une décision de justice et est née « pour les besoins du déroulement de la procédure ». La créance des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile trouve son origine dans la décision qui statue sur ces frais et dépens et entre dans les prévisions de l'article L.622-17 du code de commerce,
- même si les créances litigieuses ne rentraient pas dans les prévisions de l'article L.622-17 du code de commerce, seules les créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective sont soumises à l'obligation de déclaration entre les mains du mandataire judiciaire, dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC,
- tout état de cause, le mandataire s'est vu personnellement signifier l'arrêt de la cour suivant exploit d'huissier en date du 05 octobre 2018.
Par ordonnance du 16 janvier 2020, les conclusions de la société Centre Equestre de la Belletière ont été déclarées irrecevables, comme ayant été déposées au delà d'un mois de la signification des conclusions de l'appelant.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 janvier 2020.
L'affaire initialement fixée à l'audience du 30 janvier 2020, a été renvoyée à l'audience du 24 septembre 2020, en raison du mouvement de grève du barreau.
MOTIFS
Selon l'article L. 622-21 du code de commerce,
« I - le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L622-17 et tendant :
1° À la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° À la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
II - Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture »
L'article L. 622-17 quant à lui dispose que « Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité pendant cette période sont payées à leur échéance. »
Ainsi que l'a rappelé le premier juge, la créance des dépens et des frais résultant de l'application de l'article 700 du code de procédure civile, mise à la charge du débiteur, et qui trouve son origine dans la décision qui statue sur ces dépens et frais, entre dans les prévisions de l'article L.622-17 du code de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective.
Toutefois pour relever du traitement préférentiel prévu à l'article L.622-17 du code de commerce, la créance de dépens et des frais irrépétibles mise à la charge du débiteur doit non seulement être postérieure au jugement d'ouverture, mais aussi respecter les autres critères fixés par ce texte, c'est-à-dire être utile au déroulement de la procédure collective ou être due par le débiteur en contrepartie d'une prestation à lui fournie après le jugement d'ouverture.
En l'espèce, il est établi que la condamnation de la société Centre Equestre de la Belleterie au paiement des dépens et frais résultant de l'article 700 et 701 du code de procédure civile mise à la charge de la société Centre Equestre de la Belleterie a été prononcée postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
Il n'est pas contesté que la créance de dépens et résultant de l'application des articles 700 et 701 du code de procédure civile n'est pas la contrepartie de prestations fournies par la société Construction et Rénovations Normandes après le jugement d'ouverture de la procédure collective.
Par ailleurs, il s'agit d'une créance de dépens et de frais irrépétibles exposés à l'occasion d'une autre procédure que la procédure de redressement judiciaire. Contrairement à ce que soutient la société Construction et Rénovations Normandes, elle n'est pas née pour les besoins de la procédure collective de la société Centre Equestre de la Belleterie. En effet, il est admis que la société Centre Equestre de la Belleterie a confié la réalisation des travaux de rénovation à la société Construction et Rénovations Normandes, laquelle invoquant une facture impayée en date du 29 mars 2011, l'a assignée pour en obtenir le règlement. C'est à ce titre que l'arrêt du 19 septembre 2018 a fixé au passif du redressement de la société Centre Equestre de la Belletière et à titre chirographaire les créances de la société Constructions et Rénovations Normandes pour 14.935,24 euros TTC au titre de la facture du 29 mars 2011 et pour 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et qu'il a condamné la société Centre Equestre de la Belletière à payer à la société Constructions et Rénovations Normandes une somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Compte tenu de la finalité et du résultat effectif de l'action engagée, les dépens et frais irrépétibles ne constituent pas en l'espèce une créance utile pour les besoins du déroulement de la procédure collective, ainsi que l'a estimé le juge de l'exécution.
Dès lors cette créance ne relevant pas de l'article L622-17 du code de commerce, toute procédure d'exécution est interdite au titre de cette créance.
Le jugement du 23 juillet 2019 sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 6 février 2019 signifié à la requête de la société Constructions et Rénovations Normandes.
Sur les demandes accessoires et les dépens
La décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société Constructions et Rénovations Normandes aux dépens et au paiement d'une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant en appel, la société Constructions et Rénovations sera condamnée aux dépens de la présente procédure et déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement en date du 23 juillet 2019 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la société Constructions et Rénovations de ses demandes de dommages et intérêts et d'indemnité procédurale,
La condamne aux dépens.