Cass. crim., 13 novembre 2003, n° 02-88.342
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gall
Rapporteur :
Mme Koering-Joulin
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Avocat général :
M. Chemithe
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 384 du Code de procédure pénale, 322-1, 314-6 du Code pénal, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception préjudicielle de propriété soulevée par Bernard X..., a déclaré établi le délit de destruction de bien saisi et de complicité de ce délit, et a octroyé des dommages-intérêts à la partie civile, Michel Z... ;
" aux motifs que, "avant le 21 mai 1996, le bien litigieux était la propriété de Bernard X..., entre le 21 mai 1996 et le 30 mai 1996, date de la surenchère de la partie civile, l'immeuble a été la propriété des époux A... puis entre le 30 mai 1996 et le 23 septembre 1996 est redevenu la propriété de Bernard X..., la surenchère emportant résolution de la vente forcée ; au jour du 24 septembre 1996, le bien immobilier est devenu la propriété de la partie civile ; aucun doute ne peut subsister sur la propriété du bien litigieux pendant le temps couvert par la prévention ; au demeurant, Bernard X... ne produit aucune pièce de nature à donner un fondement à l'exception alléguée; en conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a rejeté l'exception préjudicielle de propriété " ;
" alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, à la fois rejeter l'exception de propriété portant sur le bien ayant fait l'objet d'une surenchère, et relever par ailleurs que, entre le 30 mai 1996 et le 13 septembre 1996, ce bien était, effectivement, redevenu la propriété de Bernard X... après avoir été celle des époux A... entre le 21 mai et le 30 mai 1996 ; qu'il se déduisait, en effet, desdites constatations que Bernard X... avait été le propriétaire du bien pendant la période visée par la prévention et qu'il ne pouvait, par conséquent, être poursuivi pour dégradation volontaire d'un bien immobilier appartenant à autrui ;
" alors, d'autre part, que Bernard X... faisait encore valoir que les époux Z... étaient irrecevables à se constituer partie civile dans cette affaire et à invoquer un préjudice qui aurait pris naissance à une époque où ils n'avaient aucun droit sur le bien prétendument dégradé, c'est-à-dire antérieurement au jugement d'adjudication du 24 septembre 1996 ; que la cour d'appel, en ne s'expliquant pas sur ce point, n'a pu justifier sa décision sur l'action civile " ;
Attendu que, d'une part, que le moyen est inopérant en sa première branche dès lors que Bernard X... n'a pas été condamné pour dégradation volontaire d'un bien immobilier appartenant à autrui mais pour dégradation d'objet saisi confié à sa garde ;
Attendu que, d'autre part, pour accueillir la demande en réparation de Michel Z..., l'arrêt attaqué énonce que les constatations faites par les témoins, l'huissier et les gendarmes établissent la réalité des destructions dont la partie civile adjudicataire, qui en ignorait l'existence au jour de la surenchère et dont il n'est pas douteux qu'elle aurait eu une attitude différente si elle les avait connues, a été la victime ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, non fondé en sa seconde branche, sera écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 322-1, 314-4 du Code pénal, 388 et 591 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt a confirmé le jugement ayant requalifié les faits reprochés aux prévenus en faits de destruction par le saisi d'un objet saisi entre ses mains et complicité de ce délit ;
" aux motifs que "le bien litigieux étant à la date des faits la propriété de Bernard X..., la prévention sous l'empire de laquelle les prévenus ont comparu devant le premier juge, saisi par l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, ne peut prospérer ; les faits reprochés à Bernard X... sont susceptibles, ainsi que l'a justement retenu le premier juge, de caractériser le délit défini et réprimé à l'article 314-6 du Code pénal ; les mêmes faits sont susceptibles de caractériser à l'encontre de Guy et Patrick Y... la complicité dudit délit (...) ; il n'est pas discuté, en l'espèce, que les prévenus ont été mis à même de connaître et de rediscuter la requalification (...) ; l'infraction définie à l'article 314-6 du Code pénal ne diffère pas fondamentalement de celle retenue par l'ordonnance de renvoi ; celle visée par l'article 322-1 du Code pénal incrimine en effet le fait consistant en la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui, celle visée par l'article 314-6 du Code pénal le fait par le saisi de détruire ou de détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde ; les deux articles visent de la même façon la destruction d'un bien et il n'est pas douteux qu'en l'espèce le bien concerné est identique ; il n'est pas douteux non plus que la victime de la destruction est la même personne (...) " ;
" alors que, s'il appartient au juge de restituer aux faits poursuivis leur véritable qualification, il ne peut substituer des faits distincts à ceux de la prévention, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur ces faits et circonstances non comprises dans les poursuites ; qu'en l'espèce, si les prévenus ont pu s'expliquer sur la requalification, ils n'ont jamais accepté d'être jugés sur des faits qui n'étaient pas compris dans la saisine et ont, au contraire, exprimé leur total désaccord eu égard à l'extension de la prévention qui résultait de la requalification opérée ; qu'en effet, initialement poursuivis pour avoir " dégradé " des biens immobiliers " appartenant à autrui ", les prévenus ont été condamnés pour avoir "détruit" un bien immobilier "saisi et confié à la garde de Bernard X...", délit supposant ainsi une action distincte sur un bien sur lequel Bernard X... exerçait également des droits et obligations différents dans l'un et l'autre cas et qui ne pouvait causer le même préjudice, ni léser les mêmes intérêts ; qu'en cet état les juges du fond, qui sous couvert de requalification, ont substitué des faits distincts à ceux de la prévention, sans avoir recueilli l'assentiment des prévenus à être jugés sur ces faits hors saisine, ont excédé leurs pouvoirs " ;
Attendu que, pour confirmer le jugement ayant procédé à la requalification des faits, initialement poursuivis sous la qualification de destruction d'un bien appartenant à autrui, en destruction d'objet saisi, l'arrêt attaqué énonce que les prévenus ont été mis à même de connaître et de discuter la requalification opérée, dans le respect de sa saisine, par le juge correctionnel, et qu'ils ont bénéficié de la même faculté devant la cour d'appel ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que, n'ajoutant aucun fait matériel nouveau à ceux dont elle était saisie, elle pouvait leur donner une autre qualification légale sans avoir à recueillir préalablement l'accord des prévenus ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-6 du Code pénal, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard X... coupable de destruction par le saisi d'un objet saisi entre ses mains et confié à sa garde, commis en état de récidive légale, et Patrick et Guy Y... coupables de s'être rendus complices de ce délit, et les a condamnés à réparer le préjudice subi par Michel Z... ;
" aux motifs qu'il est acquis que le prévenu Bernard X... a détruit de nombreux éléments de l'immeuble saisi adjugé à la partie civile et que ces destructions, même partielles, la loi n'opérant pas de distinction, rendent les biens détruits, et par voie de conséquence l'immeuble totalement impropres à leur usage (...) ;
Bernard X... sera en conséquence déclaré coupable d'avoir, à Vatilieu, entre le 16 et le 23 septembre 1996, étant saisi, volontairement détruit ou détourné un bien immobilier saisi entre ses mains en garantie des droits d'un créancier, et confié à sa garde, en état de récidive légale pour avoir été condamné le 19 octobre 1994 à 4 mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 francs d'amende par la cour d'appel de Grenoble pour dégradation ou détérioration grave d'un bien appartenant à autrui ; Patrick et Guy Y... seront quant à eux déclarés coupables de s'être à Vatilieu, entre le 16 et la 23 septembre 1996, sciemment rendus complices, par aide et assistance, du délit "reproché" à Bernard X..., et que les constatations opérées par les témoins, par l'huissier et les gendarmes établissent la réalité des destructions dont l'adjudicataire par suite de la surenchère s'est trouvé victime ; le créancier poursuivant n'a subi aucune conséquence des destructions, la vente ayant eu lieu sans que celles-ci soient connues et aient pu influer sur le prix ;
" alors, d'une part, que le délit de l'article 314-6 du Code pénal suppose, pour être constitué, la destruction ou le détournement de l'objet saisi ; qu'il ressort des circonstances de la cause et des constatations des juges du fond, que l'immeuble, propriété de Bernard X... à l'époque des faits, n'a été ni "détruit" ni "détourné", mais a seulement fait l'objet de dégradations ; qu'en condamnant ainsi les prévenus du chef de destruction ou détournement d'objet saisi, et de complicité de ce délit, les juges du fond ont violé l'article 314-6 du Code pénal ;
" alors, d'autre part, que ce même texte ne vise d'ailleurs que la destruction ou le détournement par le saisi d'un "objet saisi" entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde ; que, le texte ne prévoyant pas que la destruction puisse porter sur un bien, non plus, bien évidemment, que le détournement, ledit délit ne peut donc concerner qu'un objet mobilier saisi, et non point un bien immobilier ; que, en déclarant les prévenus coupables de destruction et de complicité de destruction de l'immeuble saisi, les juges du fond ont, derechef, violé le texte susvisé ;
" alors, enfin, que l'article 314-6 du Code pénal n'a pour but que de préserver les droits du créancier saisissant et non point ceux du futur adjudicataire qui n'a, avant le jugement d'adjudication, aucun droit sur le bien saisi ; qu'ainsi, en déclarant recevable et fondée la demande de la partie civile, Michel Z..., à obtenir réparation du préjudice prétendument subi, lors même qu'à la date des faits, commis entre le 16 et le 23 septembre 1996, il n'avait pas encore été déclaré adjudicataire du bien saisi et n'avait aucun droit sur ce bien, tout en constatant que le créancier poursuivant n'a subi aucune conséquence des destructions, l'arrêt a violé ledit article ensemble l'article 1382 du Code civil ;
" alors qu'en toute hypothèse le préjudice ultérieurement subi par Michel Z..., du fait de l'adjudication du 24 septembre 1996, ne peut être considéré comme étant en lien de causalité direct avec les dégradations commises entre le 16 et le 23 septembre 1996 " ;
Attendu qu'en condamnant les prévenus pour destruction d'objet saisi et complicité de ce délit et en recevant la constitution de partie civile de l'adjudicataire du bien immobilier ainsi détérioré, l'arrêt attaqué a fait l'exacte application des articles 314-6 du Code pénal et 1382 du Code civil, dès lors que le premier de ces textes s'applique à la personne saisie qui, volontairement, détruit, fût-ce partiellement, un bien immobilier confié à sa garde ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus.