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Décisions

Cass. crim., 18 septembre 2001, n° 01-80.360

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Auchan France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Avocat général :

M. Davenas

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Boré, Xavier et Boré

Rouen,ch. corr., du 14 déc. 2000

14 décembre 2000

Vu le mémoire ampliatif, commun aux demandeurs, et le mémoire en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 263-2, R. 237-1 et suivants du Code du travail, 221-6, alinéa 1, du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

 en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Thierry A coupable d'infraction aux règles de sécurité édictées par les articles R. 237-1 et suivants du Code du travail et d'homicide involontaire ;

 aux motifs qu'adoptant l'analyse pertinente qui en a été faite par les premiers juges, la Cour relève que la délégation de pouvoirs consentie à Denis B dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité ne concernait que le personnel de l'établissement et les tiers au sens des clients, environ 11 000 par jour, et que les problèmes de sécurité liés à l'intervention d'une entreprise extérieure appelée à effectuer des travaux dans l'établissement et d'une façon plus générale liés aux travaux du bâtiment au sens du décret du 8 janvier 1965 réalisés dans l'enceinte du magasin, nullement évoqués dans cette délégation, ne relevaient pas des attributions du délégataire. Des pièces produites par Thierry A, il ressort d'ailleurs que Denis B avait sous ses ordres des agents de sécurité dont la mission consistait uniquement à assurer la sécurité des personnes dans l'établissement et, notamment, contre les vols et au vu des déclarations recueillies, il est constant que ce dernier, dont il est nullement établi qu'il aurait eu une compétence ou encore reçu au travers des formations individuelles suivies entre le 29 février 1991 et le 3 février 1995 des connaissances en matière de législation relative à l'hygiène et à la sécurité du travail, n'avait aucun pouvoir hiérarchique sur le personnel du service technique, la note du 8 mai 1995 rédigée par ce dernier et invoquée par le prévenu comme un élément de preuve de la délégation n'étant qu'une réglementation des conditions d'accès au chapiteau édictée incontestablement dans un

souci d'éviter des vols et dépourvue de tout intérêt ou de toute utilité pour l'intervention de la société Forlumen. Les manquements dénoncés aux dispositions du décret du 20 février 1992 et fondant les poursuites sont totalement étrangers à cette délégation et restent imputables à Thierry A en sa qualité de directeur de l'entreprise utilisatrice au moment des faits ;

 alors qu'il doit être répondu de manière adéquate aux conclusions du prévenu poursuivi pour infraction à la réglementation du travail et pour délit d'imprudence invoquant une délégation de pouvoirs à un salarié pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; que le demandeur faisait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel ;

1) que la délégation de pouvoirs consentie le 6 mai 1994 à Denis B visait expressément le personnel et les tiers et ne comportait aucune restriction pouvant exclure la sécurité du personnel des entreprises extérieures amenées à intervenir sur le site de l'établissement ;

2) que cette délégation de pouvoirs chargeait Denis B de veiller en général au strict respect des dispositions législatives et réglementaires concernant l'hygiène et la sécurité des personnes et les règles des établissements recevant du public ;

3) que Denis B bénéficiait de la compétence nécessaire puisque, d'une part, il avait reçu une formation rigoureuse dans la marine, d'autre part, avait bénéficié au sein de la société Auchan d'une formation relative à l'intervention d'entreprises extérieures et qu'enfin il a été à l'origine de la mise en oeuvre d'un document émis par l'Institut National de Recherche et de Sécurité intitulé  intervention d'entreprises extérieures ; aide mémoire pour la prévention des risques  ;

4) que l'absence d'autorité hiérarchique de Denis B, responsable de la sécurité, à l'égard de Jean-Claude X, responsable technique de la société Auchan, n'avait aucune influence sur l'activité du premier en raison, d'une part, de la collaboration entre les deux services, et d'autre part, de ce que Denis B disposait personnellement d'un pouvoir de sanction à l'intérieur de l'établissement et avait une responsabilité directe à l'égard des interlocuteurs extérieurs ;

5) que Denis B avait systématisé la procédure du bon d'intervention pour tout intervenant extérieur afin de contrôler totalement cette intervention, qu'il s'agisse de sa nature, de la date d'exécution ou de la durée et que cette information permettait, préalablement à toute intervention, de s'assurer de la compatibilité de celle-ci avec les règles d'hygiène et de sécurité en vigueur ;

et qu'en n'examinant pas ces arguments péremptoires et en se référant uniquement à l'appréciation des premiers juges, la cour d'appel a privé sa décision de base légale  ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 263-2 et R. 237-1 et suivants du Code du travail, 221-6 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

 en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Thierry A coupable de défaut de coordination des mesures de sécurité, d'inspection commune des lieux de travail et des installations et de plan de prévention écrit et d'homicide involontaire ;

 aux motifs qu'alors que l'initiative des mesures destinées à évaluer les risques liés à l'intervention de l'entreprise extérieure et la coordination en cours de travaux des mesures prises pour y remédier incombent à l'entreprise utilisatrice, il y a lieu de constater au vu des éléments sus-rappelés :

- qu'aucune inspection commune des lieux de travail préalablement à l'opération n'a été effectuée, la visite du chantier réalisée par Jean-Claude X avec un représentant de la société Forlumen dans le seul but de procéder à l'établissement d'un devis ne répondant pas aux exigences imposées par les articles R. 237-1 et suivants du Code du travail ;

- qu'en particulier, il n'a été procédé à aucune matérialisation des zones pouvant présenter un danger dans le secteur d'intervention et à cet égard il est constant qu'une inspection des lieux correctement effectuée aurait dû conduire à signaler et mettre en évidence la fragilité et le faible degré de résistance de la toiture de l'auvent recouverte par la saleté, ni à aucune analyse des risques pouvant résulter soit des installations, soit de la continuité de l'activité de l'hypermarché pendant la réalisation des travaux ;

- qu'aucun plan de prévention des risques n'a été établi par écrit entre les sociétés utilisatrice et intervenante, le document en date du 8 mai 1995 rédigé par Denis B étant totalement étranger à l'intervention de la société Forlumen ;

- qu'en particulier le mode opératoire, fixant le lieu de passage du câble, les moyens utilisés et le créneau horaire retenu pour la réalisation de l'opération, qui aurait dû constituer un élément d'un plan de prévention écrit pour connaître les risques pouvant en résulter et prendre les mesures nécessaires en vue de les prévenir, n'a été établi que postérieurement à l'accident, le 16 mai 1995, au terme d'une consultation entre les deux sociétés ;

1°) alors qu'il résulte des dispositions de l'article R. 237-8 du Code du travail que l'obligation d'établir par écrit un plan de prévention avant le commencement des travaux en cas d'intervention d'une entreprise extérieure, suppose, soit que l'opération à effectuer représente un nombre total d'heures de travail au moins égal à 400 heures sur une période au plus égale à douze mois, soit que les travaux prévus figurent au nombre des travaux compris dans la liste de l'arrêté du 19 mars 1993 ; que dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, Thierry A faisait valoir que les travaux à effectuer par l'entreprise Forlumen, entreprise extérieure, représentaient 18 heures de travail, étaient extrêmement simples et n'entraient pas dans la catégorie des travaux dangereux puisqu'ils devaient être effectués au sol ; que, pour décider que les travaux devaient s'effectuer à une hauteur de plus de 3 mètres et entraient dans le cadre fixé par l'article R. 237-8 du Code du travail, l'arrêt s'est implicitement mais nécessairement référé à l'initiative prise par la victime Alain C d'accrocher le câble sous l'auvent, initiative non prévue entre l'entreprise utilisatrice et l'entreprise extérieure et non aux  travaux à effectuer  au sens du texte susvisé et qu'une telle motivation procède d'une violation caractérisée de la loi ;

2°) alors que, dans ses conclusions régulièrement déposées, Thierry A invoquait un certain nombre de circonstances d'où il résultait que la coordination entre l'entreprise utilisatrice et l'entreprise extérieure préalablement aux travaux et la prévention des risques liés à l'intervention de l'une et de l'autre sociétés avait eu lieu en parfaite conformité avec les dispositions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail ; qu'il démontrait que la preuve d'une coordination générale des travaux et d'une inspection commune des lieux et des installations résultait, tant des témoignages concordants de M. Z, chef de chantier de Forlumen, et de Jean-Claude X, responsable technique de la société Auchan, que de l'existence d'un plan de sécurité établi par Jean-Claude X le 25 avril 1995 et affiché dans plusieurs endroits du magasin et qu'en ne s'expliquant pas sur cette argumentation péremptoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés  ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;

 en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Thierry A coupable d'homicide involontaire, l'a condamné à payer des dommages-intérêts aux parties civiles et a déclaré la société Auchan France civilement responsable ;

 aux motifs que Thierry A, en omettant d'organiser une inspection commune des lieux avec le responsable de l'entreprise Forlumen préalablement au commencement des travaux, de procéder à une analyse des risques et en particulier de lui signaler le danger pouvant résulter de la fragilité de certains éléments du toit de l'auvent recouverts par la saleté, d'établir avec ce responsable un plan de prévention définissant les mesures prises pour prévenir les risques encourus et d'assurer la coordination générale de ces mesures, quelles que soient les raisons qui ont amené Alain C dans l'ignorance du danger qu'il encourait à monter sur le toit de l'auvent, a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation de l'accident du travail et du dommage qui en est résulté et pour le moins n'a pas pris les mesures permettant de les éviter. Par ces manquements aux prescriptions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail qui ont eu pour effet d'exposer Alain C à un risque d'une particulière gravité et sont sanctionnés d'une peine délictuelle par l'article L. 263-2 dudit Code, Thierry A a commis une faute caractérisée au sens de l'article 121-3, alinéa 4, du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000 ;

1°) alors que la notion de  faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité  au sens de l'article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, suppose, pour être retenue, que des risques de la nature de ceux qui sont définis par ce texte, résultant de l'action ou de l'omission constatée, aient présenté pour le prévenu qui n'a pas causé directement le dommage, un caractère de prévisibilité évident et que le défaut de coordination, d'inspection commune des lieux de travail et de plan de prévention écrit, à supposer qu'ils aient été régulièrement constatés par l'arrêt, ne suffisent pas à justifier la décision de condamnation du chef d'homicide involontaire prononcée à l'encontre de Thierry A, dès lors que la cour d'appel n'a pas constaté que les risques provenant de ces carences aient présenté pour lui un quelconque caractère prévisible ;

2°) alors que la prévisibilité des risques engendrés par la méconnaissance des dispositions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail est d'autant plus douteuse en l'espèce que, selon les constatations de l'arrêt, le respect de ces dispositions n'aurait pas amené Thierry A, chef de l'entreprise utilisatrice, à comprendre dans les risques résultant des installations, la fragilité du toit de l'auvent puisque les travaux de pose d'un câble téléphonique confiés à l'entreprise Forlumen, entreprise intervenante, ne nécessitaient aucunement qu'un salarié de cette entreprise monte sur le toit pour effectuer les travaux qui lui étaient confiés et qu'à cet égard, l'initiative de la victime a été imprévisible  ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Alain C, employé par une entreprise extérieure, a fait une chute de 4 mètres à travers un auvent, alors qu'il était occupé à des travaux de pose d'un câble électrique sur le site de la société Auchan ; qu'à la suite de cet accident, Thierry A, dirigeant de l'entreprise utilisatrice, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire et pour inobservation des prescriptions des articles R. 237-2, R. 237-6, R. 237-7 et R. 237-8 du Code du travail ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation de Thierry A qui soutenait avoir délégué ses pouvoirs à Denis B, responsable de la sécurité, les juges, après avoir relevé que ce dernier était principalement chargé de la lutte contre les vols, retiennent qu'il n'avait ni la compétence ni l'autorité nécessaires en matière de législation relative à la sécurité des travailleurs ;

Que, pour déclarer le prévenu coupable des infractions, la juridiction d'appel, après avoir relevé que les travaux à effectuer, qui nécessitaient l'accrochage d'un câble sous un auvent à une hauteur de 4 mètres, étaient au nombre des travaux dangereux visés par l'article R. 237-8 du Code du travail, retient que, le prévenu, chef de l'entreprise utilisatrice, n'a procédé ni à l'inspection commune des lieux, ni à l'analyse des risques, ni au plan de prévention écrit, toutes dispositions qui, si elles avaient été mises en oeuvre, eussent permis de matérialiser les zones dangereuses et de signaler la fragilité de la toiture de l'auvent ; que les juges en déduisent que le prévenu n'a pas pris les mesures qui auraient permis d'éviter l'accident et que, par ses manquements aux prescriptions des articles R. 237-1 et suivants du Code du travail, il a commis une faute caractérisée qui a exposé la victime à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance, et procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d'appel, qui a exclu la délégation de pouvoirs alléguée, a établi, en tous leurs éléments constitutifs, les infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs ainsi que le délit d'homicide involontaire au regard des dispositions des articles 221-6 et 121-3, alinéa 4, du Code pénal issus de la loi du 10 juillet 2000, applicables en la cause ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.