Livv
Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 7 juin 2018, n° 16/05408

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Amatrans (SAS)

Défendeur :

AT Déménagements Limoges (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brylinski

Conseillers :

Mme Betroux, Mme Mantion

T. com. Le Havre, du 7 oct. 2016, n° 201…

7 octobre 2016

FAITS ET PROCE'DURE

La SARL AT Déménagements Limoges (ci-après dénommée AT) qui exerce l'activité d'entreprise de déménagement, s'est vue confier par divers particuliers l'organisation du déménagement de leurs meubles au départ de France métropolitaine à destination de Mayotte.

La SARL AT a confié l'organisation des opérations de transport maritime à la SAS Amatrans, commissionnaire de transports.

La société Amatrans a requis la société CMA CGM pour transporter par voie maritime les meubles empotés dans les conteneurs numéros TRLU 553492/1 et XINU 130632/0 sous couvert des connaissements FR2666481 et FR2672797.

Les deux conteneurs sont arrivés à Longoni en avril 2014. La SAS Amatrans s'est refusée à la livraison des deux conteneurs, au motif du non règlement par la SARL AT Déménagements Limoges de factures émises de septembre 2013 à janvier 2014.

La SARL AT Déménagements a entre temps été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Limoges en date du 21 février 2014 et bénéficie d'un plan de continuation.

La SARL AT Déménagements Limoges a alors saisi le juge des référés du tribunal de commerce du Havre afin d'obtenir la restitution des conteneurs. Il a été partiellement fait droit à sa demande, le 4 juin 2014, le juge ordonnant la restitution du conteneur n° XINU 130632/0 mais reconnaissant un droit de rétention à la SAS Amatrans pour le conteneur n° TRLU553492/1. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Rouen du 12 mai 2015, sauf en ce qu'elle a reconnu la société Amatrans un droit de rétention sur le conteneur N°TRLU 5534921, l'a infirmé pour le surplus et dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de reconnaissance d'un droit de rétention de la société Amatrans sur le conteneur N°TRLU 553492.

Par suite, la SAS Amatrans a restitué le conteneur n° XINU130632/0.

Puis, le second conteneur n° TRLU5534921 a été restitué par la SA Amatrans en exécution d'une ordonnance de référé rendue par le juge des référés du tribunal d'instance de Mamoudzou, saisi par M. S., propriétaire d'une partie des meubles empotés dans le conteneur. Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Saint-Denis le 3 février 2015. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 mars 2017.

Considérant que la SAS Amatrans avait abusé de son droit de rétention, la SARL AT Déménagements Limoges, par acte signifié le 4 juin 2015, a fait assigner la SAS Amatrans devant le tribunal de commerce du Havre aux fins de l'entendre condamner au paiement de la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Par jugement en date du 7 octobre 2016 le tribunal de commerce a :

- reçu la SARL AT Déménagements Limoges en ses prétentions, les a déclarées partiellement fondées ;

- condamné la SAS Amatrans à payer à la SARL AT Déménagements Limoges la somme de 17 800 € à titre de dommages et intérêts pour rétention abusive ;

- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes ;

- condamné la SAS Amatrans aux entiers dépens et à payer à la SARL AT Déménagements Limoges la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Amatrans a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions en date du 21 avril 2017 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris ;

- débouter la SARL AT Déménagements Limoges de l'intégralité de ses demandes à l'égard de la SAS Amatrans ;

- condamner la SARL AT Déménagements Limoges à payer à la SAS Amatrans la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de l'abus de procédure;

- condamner la SARL AT Déménagements Limoges à payer à la SAS Amatrans la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SARL AT Déménagements Limoges aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions en date du 23 février 2017 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la SARL AT Déménagements Limoges demande à la cour de :

- recevoir la SAS Amatrans en son appel mais la dire mal fondée ;

- débouter la SAS Amatrans en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit la rétention exercée par la SAS Amatrans abusive ;

- recevoir la SARL AT Déménagements Limoges en son appel incident du chef du montant des dommages et intérêts alloués ;

Y faisant droit,

- condamner la SAS Amatrans à verser à la SARL AT Déménagements Limoges la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour rétention abusive ;

- condamner la SAS Amatrans à verser à la SARL AT Déménagements Limoges la somme de 9 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- condamner la même aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SELARL G. & S., conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Au soutien de son appel, la SAS Amatrans fait valoir pour l'essentiel que la société AT Déménagements Limoges a entrepris une action en responsabilité à son encontre sur la base de décisions de justice contradictoires, puisque l'arrêt de la cour d'appel de Rouen a été rendu en la forme des référés et que celui de la cour d'appel de Saint Denis a été entièrement annulé par la Cour de cassation; que l'abus du droit de rétention que la SARL AT Déménagements Limoges reproche à la SAS Amatrans n'a donc, à ce jour, pas fait l'objet d'une décision au fond définitive ; que la Cour de cassation a jugé que la SAS Amatrans ne pouvait pas être considérée comme étant de mauvaise foi, la preuve de la connaissance par celle-ci du fait que les marchandises empotées dans les conteneurs litigieux n'appartenaient pas à la SARL AT Déménagements n'étant pas rapportée; que cette action est donc extrêmement téméraire.

Elle ajoute que la SARL AT Déménagements ne rapporte par la preuve de son préjudice; qu'elle s'est fait payer par ses clients mais n'en a pas indemnisé un seul, ni n'a payé les factures d'Amatrans; qu'elle ne prouve pas le paiement des surestaries.

La SARL AT Déménagements Limoges réplique, en résumé, que pour les deux conteneurs en cause, il a été jugé que la rétention opérée par la SAS Amatrans était abusive; que les motifs des décisions de référé de première instance et d'appel ainsi que les conclusions de la SARL AT Déménagements établissent suffisamment le caractère abusif de la rétention des conteneurs et de la faute de la société Amatrans; que cette rétention était d'autant plus abusive que la SARL AT Déménagements Limoges avait payé les factures en mars 2014 ; que la SAS Amatrans se plaignait en réalité de l'absence de règlement de créances antérieures au redressement judiciaire de la SARL AT Déménagements Limoges, qui ne pouvaient être réglées par cette dernière conformément à l'article L. 622-7 code de commerce.

Elle ajoute que le préjudice de la SARL AT Déménagements Limoges s'élève à la somme de 17 800 € au titre des frais avancés (surestaries, redevance d'occupation); que les procédures contentieuses en raison de cette situation de rétention abusive a généré divers tracas et perte de temps; que des tensions ont été créées dans ses relations avec ses clients; qu'elle n'avait pas vraiment besoin de ces difficultés causées par l'intransigeance illégale de la société Amatrans, alors qu'elle faisait déjà face à une situation difficile ainsi qu'en atteste son redressement judiciaire.

Les juridictions précédemment saisies avant le tribunal de commerce du Havre dont le jugement est l'objet du présent appel, ont été amenées à se prononcer, en référé, sur la question de la restitution des conteneurs dont la SA Amatrans était chargée d'organiser l'acheminement de la France métropolitaine à Mayotte et sur lesquels elle a exercé un droit de rétention, et partant à vérifier que ses conditions d'exercice étaient réunies.

Si selon la SAS Amatrans, aucune faute n'a été reconnue par une juridiction du fond, tel est justement l'objet de l'action en responsabilité engagée par la SARL AT Déménagements Limoges à son encontre pour l'usage abusif de son droit de rétention. A cet égard, rien n'interdit à la SARL AT de le faire sur la base de ces décisions rendues en référé.

Selon l'article L. 132-2 du code de commerce « Le commissionnaire a privilège sur la valeur des marchandises faisant l'objet de son obligation et sur les documents qui s'y rapportent pour toutes ses créances de commission sur son commettant, même nées à l'occasion d'opérations antérieures.

Dans la créance privilégiée du commissionnaire sont compris, avec le principal, les intérêts, commissions et frais accessoires. »

Le droit de rétention ne peut s'exercer que contre les marchandises appartenant au débiteur de commission. Il suffit que, lors de l'exercice de son droit, le commissionnaire ait cru de bonne foi que la marchandise était la propriété de son débiteur, ce qui s'apprécie lors de la remise des marchandises.

Aux termes de l'article L. 622-7 I du code de commerce, « - Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17.

De même, il emporte, de plein droit, inopposabilité du droit de rétention conféré par le 4° de l'article 2286 du code civil pendant la période d'observation et l'exécution du plan, sauf si le bien objet du gage est compris dans une cession d'activité décidée en application de l'article L. 626-1. »

Dès lors qu'en application de ces dispositions le paiement d'une créance antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective est interdit et frappé de nullité, le commissionnaire ne peut valablement exercer son droit de rétention sur des marchandises confiées après le jugement d'ouverture, le commissionnaire pouvant dans le cas contraire retenir les marchandises et en demander l'attribution pour règlement de ses créances antérieures.

En l'espèce, il est admis que la SAS Amatrans a exercé son droit de rétention en refusant de remettre les deux connaissements émis, pour l'un sous le numéro FR2666481 et concernant le conteneur TRLU 5534921, pour l'autre sous le numéro FR2672797 et concernant le conteneur XINU 1306320, et partant sur ces deux conteneurs, pour obtenir le paiement des créances de commission sur son commettant, la SARL AT Déménagements Limoges, nées à l'occasion d'opérations antérieures au vu des factures émises entre le mois de septembre 2013 et le mois de janvier 2014.

Or il est constant que la SARL AT (Tessiot) Déménagements Limoges a été placée en redressement judiciaire par jugement en date du 21 février 2014, et que la SAS Amatrans a exercé son droit de rétention à l'arrivée au port de Longoni en avril 2014, soit postérieurement audit jugement d'ouverture d'une procédure collective.

Ainsi, si la SAS Amatrans dispose d'un droit de rétention, en sa qualité de commissionnaire, elle ne peut valablement l'exercer, du fait de l'ouverture de la procédure collective à l'égard de son débiteur, pour le paiement de créances antérieures que sur des marchandises appartenant à son commettant et qui lui ont été remises avant le jugement d'ouverture de la procédure collective, soit avant le 21 février 2014.

Il convient donc d'examiner la situation de chacun des conteneurs.

S'agissant du conteneur XINU 1306320, outre le fait que le connaissement a été émis le 14 mars 2014, le mail de confirmation d'Amatrans en date du 19 février 2014 à Tessiot Déménagements Limoges fait référence à un chargement le 24 février 2014, soit une prise en charge de la marchandises postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective par la SAS Amatrans, qui ne verse aux débats aucun document permettant d'établir que les marchandises logées dans ce conteneur lui ont été remises à une date antérieure à la date de chargement indiquée, et en tout état de cause avant le jugement d'ouverture de cette procédure.

Il s'en déduit que la SAS Amatrans ne pouvait valablement exercer son droit de rétention sur les marchandises contenues dans ce conteneur.

S'agissant du conteneur TRLU 5534921, le connaissement a été émis le 20 février 2014, soit avant le jugement ouvrant la procédure collective. Il résulte des pièces versées aux débats, en particulier du mail de confirmation du 05 février 2014 d'Amatrans à Tessiot Déménagement Limoges que le chargement était prévu le 13 février 2014. Il s'en déduit que les marchandises ont été prises en charge par la SAS Amatrans avant le jugement d'ouverture de la procédure collective de la SARL A.T. La confirmation du 05 février 2014 ne contient aucun nom de propriétaire des marchandises.

Il ressort par ailleurs d'un mail en date du 13 février 2014 d'ATessiot Déménagements Limoges à Amatrans qu'ont été chargés les lots « S. », « Grandeau » mais également le lot « Tessiot Mayotte (matériel) ». Au vu de cette dernière mention, la SAS Amatrans a pu légitimement considérer que cette mention concernait une agence de la société A. T Déménagements Limoges et non une société distincte, en l'occurrence la société AT Océan Indien Mayotte comme l'indique la société AT.

La SARL AT ne verse aux débats aucun document qui viendrait démontrer que la SAS Amatrans connaissait le contenu du conteneur remis par l'entreprise de déménagement pour appartenir à des tiers, et partant sa mauvaise foi lorsqu'elle a exercé son droit de rétention sur le conteneur TRLU 5534921.

Compte tenu de l'ensemble de ces développements, l'exercice abusif par la SAS Amatrans de son droit de rétention porte exclusivement sur le conteneur XINU 1306320.

La SARL AT Déménagements Limoges sollicite une somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour rétention abusive, correspondant à des frais supplémentaires qu'elle a dû supporter, et à l'indemnisation des tracas et du temps passé générés par les procédures contentieuses et les tensions créées dans ses relations avec ses clients.

Toutefois, en l'absence de rétention fautive du conteneur TRLU 5534921, la SARL AT Déménagements doit être déboutée de sa demande en réparation du préjudice en résultant.

En ce qui concerne le conteneur XINU 1306320, la SARL AT Déménagements Limoges justifie des sommes réglées à la société AT Océan Indien à hauteur de 1.928 € en remboursement de la redevance d'occupation du terre-plein réclamée par le port de Longoni et des surestaries facturés par la société Cma Cgm. Il n'est, en revanche, justifié d'aucun autre préjudice en termes d'incidence de ces difficultés sur ses relations avec sa clientèle ou de tracas et temps passé dans la résolution des conflits.

Il convient, en conséquence, de condamner la SAS Amatrans à payer à la SARL AT Déménagements Limoges la somme de 1.928 € pour rétention abusive et d'infirmer la décision entreprise sur ce point.

C'est à bon droit que le tribunal a dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive au profit de la SAS Amatrans, les demandes de la SARL AT Déménagements Limoges étant partiellement accueillies.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé.

La décision entreprise sera également confirmée en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure et les dépens.

Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Les dépens d'appel seront supportés par la SAS Amatrans qui succombe pour partie.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme la décision entreprise sauf en ce qu'elle a condamné la SAS Amatrans à payer à la société AT Déménagements Limoges la somme de 17.800 € à titre de dommages et intérêts pour rétention abusive;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et, y ajoutant

Condamne la SAS Amatrans à payer à la société AT Déménagements Limoges la somme de 1.982 € à titre de dommages et intérêts pour rétention abusive;

Déboute les parties de leur demande d'indemnité de procédure en cause d'appel;

Condamne la SAS Amatrans aux dépens d'appel dont recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL G. S., avocats associés, qui le demande.