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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 21 mars 2012, n° 10/21601

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Générale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

T. com. Aix-en-Provence, du 27 sept. 201…

27 septembre 2010

La S.A. Société Générale a consenti, le 17 août 2007, à la société PASTEVAL, vendeur de véhicules automobiles haut de gamme deux crédits de trésorerie pour 500.000 € et 100.000 €. Une convention antérieure du 30 juillet 2007 organisait un droit de rétention du prêteur sur des certificats d'immatriculation (cartes grises) de certains véhicules de l'emprunteur. La société Eurogage exerçait ce droit de rétention pour le compte de la S.A. Société Générale. La société PASTEVAL a fait l'objet, le 15 mai 2008, d'un redressement judiciaire. Le 17 mai 2008, Monsieur X a acheté à la société PASTEVAL un véhicule de marque Dodge au prix de 85.000 € payable par la reprise de deux véhicules de marques Hummer et Jeep Cherokee, outre une soulte de 7.000 €. Il en a pris livraison le même jour. La société PASTEVAL a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, le 10 juin 2008.

Par jugement contradictoire en date du 27 septembre 2010, le Tribunal de Commerce d'AIX en PROVENCE a condamné la S.A. Société Générale à restituer à Monsieur X la carte grise du véhicule Dodge, sous astreinte provisoire et l'a condamnée à payer à Monsieur X une somme de 5.000 € à titre de dommages-et-intérêts pour abus dans l'exercice de ses droits tirés de la convention de gage et une somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement étant assorti de l'exécution provisoire pour l'ensemble de ses dispositions.

La S.A. Société Générale a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret N° 98-1231 du 28 décembre 1998.

Vu les prétentions et moyens de la S.A. Société Générale dans ses conclusions au fond en date du 17 mars 2011 tendant à faire juger :

- que la carte grise/document administratif pouvait faire d'une rétention de la part du créancier/prêteur jusqu'au paiement intégral de sa créance par la société PASTEVAL, emprunteuse, et que ce droit réel du créancier gagiste est opposable aux tiers,

- que la convention tripartite prévoyait le droit pour la S.A. Société Générale d'exercer par le biais de la société Eurogage un droit de rétention sur les cartes grises en garantie des prêts consentis à la société PASTEVAL,

- que Monsieur X ne peut exciper

*de sa bonne foi lors de l'acquisition du véhicule Dodge,

*du rejet par le juge-commissaire d'une déclaration de créance de nature privilégiée (avec un droit de rétention sur les cartes grises), cette affirmation étant inexacte, et

* du fait que le droit de rétention ne concernait que les documents administratifs à l'exclusion du véhicule lui-même,

-    qu'il n'y a pas eu de dévoiement dans l'exercice du droit de rétention de la carte grise, Monsieur X ayant accepté d'acheter un véhicule non pourvu de sa carte grise ;

Vu les prétentions et moyens de Monsieur X dans ses conclusions en date du 30 septembre 2011 tendant à faire juger :

- que les dispositions de l'article 2286 1° du Code Civil sur lesquelles la S.A. Société Générale fonde son refus de remettre la carte grise sont inapplicables dès lors que la S.A. Société Générale ne justifie pas avoir reçu la carte grise à l'occasion du rapport de droit qui l'avait rendue créancière (les avances en trésorerie) et dès lors que véhicule litigieux ne faisait pas partie de la liste, visée à la convention tripartite, de ceux pour lesquels le droit de rétention pouvait s'exercer, le véhicule litigieux ayant été acquis par la société PASTEVAL, le 5 mai 2008 et sa carte grise n'ayant pas été remise à la société Eurogage,

- que le droit de rétention conçu comme un moyen de pression sur le débiteur ne peut être opposé à un tiers, au surplus lorsque le débiteur est en liquidation judiciaire auquel cas le droit de rétention devient de plein droit inopposable au débiteur faisant l'objet de la procédure collective,

- que l'exercice du droit de rétention de la carte grise était inefficace et sans intérêt dès lors que la société PASTEVAL avait été placée en liquidation judiciaire et dès lors que la S.A. Société Générale, qui ne détient pas un gage sur le véhicule, ne peut envisager de se faire payer une seconde fois par Monsieur X, acquéreur de bonne foi qui a réglé l'intégralité du prix de son achat,

- que la S.A. Société Générale a dévoyé la finalité du droit de rétention portant sur des cartes grises, qui est d'obtenir, par suite de pressions exercées sur le débiteur, le paiement de la créance, grâce à la rétention du véhicule automobile entre ses mains ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 23 février 2012.

Attendu que la convention tripartite « de contrôle eurovéhicules » du 30 juillet 2007 permettait à la S.A. Société Générale, prêteuse de deniers, d'exercer sur les documents administratifs afférents à des véhicules appartenant à son emprunteur, la société PASTEVAL, négociant en véhicules d'occasion de luxe, un droit de rétention, via la société Eurogage, sa mandataire ; qu'il était stipulé que ce droit de rétention s'exercerait jusqu'à complet paiement des sommes restant dues (à savoir les deux crédits de trésorerie) ; que la S.A. Société Générale pouvait exercer le droit de rétention sur lesdits documents administratifs en exécution de ladite Convention, la rétention procédant d'un rapport de droit parfaitement défini (la garantie mise en place à l'occasion des deux crédits de trésorerie consentis pour l'activité d'achat et revente de véhicules d'occasion) ; que la société PASTEVAL avait bien remis à la société Eurogage le certificat d'immatriculation litigieux à l'occasion du rapport de droit, tel qu'il avait été aménagé entre la S.A. Société Générale et la société PASTEVAL ;

Attendu que selon la convention tripartite « de contrôle eurovéhicules » du 30 juillet 2007, la société PASTEVAL avait l'obligation de remettre à la société Eurogage des documents relatifs à des véhicules automobiles lui appartenant de sorte que en permanence un stock de véhicules d'une certaine valeur (750.000 €) soit constituée « en garantie » ; que le certificat d'immatriculation du véhicule Dodge acheté, le 5 mai 2008, par la société PASTEVAL a bien été remis par celui-ci ) la société Eurogage, mandataire de la S.A. Société Générale ; que ce véhicule « sous contrôle » de la société Eurogage figure dans deux états dressés, les 21 mai 2008 et 20 juin 2008, par la société Eurogage, sous la rubrique : vendu ; que le droit de rétention de la S.A. Société Générale s'applique bien aux documents administratifs de ce véhicule par suite de leur remise volontaire par la société PASTEVAL en exécution de la convention tripartite « de contrôle eurovéhicules » du 30 juillet 2007 ; que les remises de documents administratifs aux fins de maintenir un certain niveau de valeur du stock sont effectuée au fur et à mesure des opérations commerciales réalisées par la société PASTEVAL, et sont parfaitement valables ;

Attendu que la remise du certificat d'immatriculation ne constitue par un gage au profit de la S.A. Société Générale, mais lui procure un droit de rétention qui ne s'étend pas au véhicule lui-même ; que le droit de rétention étant un droit réel opposable à tous, y compris aux tiers non tenus à la dette, la S.A. Société Générale, prêteuse de deniers, peut retenir le certificat d'immatriculation litigieux même après la vente du véhicule (irrégulière du point de vue de la société PASTEVAL) à Monsieur X sous-acquéreur de bonne foi, qui en a acquitté le prix ; que la S.A. Société Générale est fondée à exercer son droit de rétention dès lors qu'il existe un lien de connexité entre sa créance résultat des crédits de trésorerie consentis pour une activité d'achat/revente de véhicules et l'objet sur lequel porte son droit de rétention (le certificat d'immatriculation d'un véhicule acheté par la société PASTEVAL, le 5 mai 2008, pour être revendu, le 17 mai 2008 ) ;

Attendu que Monsieur X n'est pas fondé à invoquer l'article L 622-7 I 2ème alinéa du Code de Commerce, instituant l'inopposabilité du droit de rétention (au débiteur faisant l'objet de la procédure collective), conféré par le 4 ° de l'article 2286 du Code Civil ensuite de l'ouverture de la procédure collective affectant, le 15 mai 2008, la société PASTEVAL ; que le droit de rétention dont se prévaut la S.A. Société Générale, est celui de l'alinéa 1 ° dudit article (2286 du Code Civil) dès lors que « la chose (lui) a été remise jusqu'au paiement de sa créance » et qu'elle ne « bénéficie pas d'un gage sans dépossession » ;

Attendu que la S.A. Société Générale bénéficie d'un droit de rétention qu'elle a exercé sans abus, mais dans le souci de préserver ses droits à venir dans la liquidation judiciaire de la société PASTEVAL qui a agi, pour le moins de manière légère, dans la conduite d'opérations commerciales concomitantes à la procédure collective ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 7OO du code de procédure civile ; que les parties seront déboutées de leur demande faite à ce titre ;

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'Appel d'AIX en PROVENCE à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Reçoit l'appel de la S.A. Société Générale comme régulier en la forme.

Réforme le jugement attaqué dans toutes ses dispositions.

Déboute Monsieur X de ses demandes formées contre la S.A. Société Générale.

Condamne Monsieur X aux entiers dépens de l'instance, conformément aux articles 696 et 699 du code de procédure civile, avec, le cas échéant, s'ils en ont fait la demande, le droit pour les représentants des parties de recouvrer directement contre la (ou les) partie(s) condamnée (s) ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.