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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 8 mars 2012, n° 11/07192

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

CIC (SA)

Défendeur :

Samzun (ès qual.), Pacific Motors (Sté), Laureau (ès qual.), PM2 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

M. Testut, Mme Vaissette

T. com. Versailles, 5e ch., du 20 sept.…

20 septembre 2011

La société Pacific Motors est une société en nom collectif, créée en 1992.

Son siège social est situé à Coignières. Elle a pour activité la vente et la réparation de véhicules automobiles des marques Chrysler Jeep Dodge, répartie sur plusieurs sites et notamment sur des sites situés <adresse>.

Le 6 août 2007, le Crédit Industriel et Commercial (le CIC) a consenti à la société Pacific Motors, titulaire d'un compte courant ouvert dans ses livres, un prêt d'un montant de 350.000 euros.

Le 16 avril 2009, la société Pacific Motors a consenti au profit du CIC un nantissement de premier rang à hauteur de 1.200.000 euros sur le fonds de commerce situé <adresse>.

Par jugement du 2 février 2010, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice des sociétés Pacific Motors et PM2 (cette dernière appartenant au même groupe).

Dans le cadre de la procédure de sauvegarde, la créance du CIC a été admise au passif de la société Pacific Motors à hauteur de 1.078.033,53 euros, dont :

- 897.200,10 euros à titre nanti, au titre de la créance relative au solde débiteur de compte courant, garantie par le nantissement de fonds de commerce et

- 180.833,43 euros à échoir et à titre chirographaire à raison du prêt consenti le 6 août 2007 de 350.000 euros.

Durant la période d'observation, il a été envisagé l'arrêt de l'exploitation du site situé <adresse>.

C'est dans ces conditions que, par lettre du 15 juin 2011, le gérant de la société Pacific Motors a proposé au CIC, la substitution amiable du nantissement du fonds de commerce situé <adresse> vers les fonds de commerce situés à Coignières et Chambourcy.

Par lettre du 20 juin 2011, le CIC a informé la société Pacific Motors de son refus.

Suite à ce refus, l'administrateur judiciaire a sollicité l'application des dispositions de l'article L626-22 et suivant du code de commerce aux vues d'obtenir la substitution judiciaire de cette garantie.

Le tribunal de commerce de Versailles par jugement du 20 septembre 2011 a :

- décidé la continuation de l'exploitation des sociétés Pacific Motors et PM2,

- arrêté le plan de sauvegarde des sociétés Pacific Motors et PM2, selon des modalités qu'il n'est pas besoin d'exposer dans le cadre du présent litige,

- imposé au CIC la substitution de garantie prise par le CIC sur le fonds de commerce du site de <adresse>, vers une garantie prise sur les sites de Coignières et Chambourcy.

Par déclaration au greffe de la cour du 4 octobre 2011, le CIC a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions signifiées le 24 janvier 2012, le CIC demande à la cour de :

- infirmer le jugement, en ce qu'il impose au CIC la substitution de nantissements sur les fonds de commerce de Coignères et Chambourcy à celui pris sur le fonds de commerce de <adresse>,

Statuant à nouveau,

- débouter la société Pacific Motors, Maître Samzun et la SCP Laureau-Jeannerot ès qualités de leur demande de substitution de garantie concernant le CIC,

- condamner la société Pacific Motors à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Pacific Motors aux dépens.

Il fait essentiellement valoir :

- qu'il ne figure pas comme partie à la cause dans le jugement rendu le 20 septembre 2011 par le tribunal de commerce de Versailles, mais que son appel est recevable en ce qu'il est limité à la disposition du jugement ordonnant la substitution de garantie,

- que la substitution judiciaire de la garantie ne peut être prononcée, puisque deux conditions de l'article L626-22 du code de commerce font défaut :

* ni la société Pacific Motors, ni les organes de la procédure n'ont administré la preuve de la nécessité d'ordonner une substitution de garantie, et les explications données a posteriori en cause d'appel ne reposent pas sur des justificatifs sérieux,

* les garanties de substitution proposées ne présentent pas des avantages équivalents à la garantie détenue par le CIC puisque suivant des courriels des 15 janvier et 23 août 2009, la valeur du droit au bail du fonds de commerce situé <adresse>, est trois fois plus élevée que celle des fonds de commerce situés à Coignières et Chambourcy (300.000 euros pour Coignères, entre 500 et 600.000 euros pour Chambourcy et 3 millions d'euros pour Paris, <adresse>), outre que les fonds de commerce situés à Coignières et Chambourcy ne présentent pas le même prestige que celui situé <adresse>.

Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 27 janvier 2012, la société Pacific Motors, la SCP Laureau Jeannerot, en qualité de commissaire à l'exécution du plan, et Me Samzun, en qualité de mandataire judiciaire, et la société PM2 demandent à la cour de :

- mettre hors de cause la SNC PM2,

- confirmer le jugement en ce qu'il a imposé au CIC la substitution du nantissement donné sur le fonds de commerce du site de <adresse>, vers une garantie prise sur les sites de COIGNIERES et Chambourcy,

- condamner le CIC à lui payer la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le CIC aux dépens.

Ils soutiennent essentiellement :

- que les fonds de commerce de Coignières et Chambourcy ont été valorisés par un expert immobilier en juillet 2011 respectivement à 540 000 euros et 390 000 euros, pour un total largement supérieur à la valorisation du site Marceau et supérieur au montant de la créance garantie soit la somme de 897 200 euros,

- que suivant une nouvelle évaluation, en date du 8 décembre 2011 par la société Actual, les droits au bail des fonds de commerce situés à Coignières et Chambourcy valent respectivement de 500.000 à 520.000 euros pour le premier et de 400.000 à 420.000 euros pour le second.

- que l'article L626-22 du code de commerce, prévoyant la faculté de substitution judiciaire, n'exige pas que cette substitution soit impérative pour la faisabilité du plan, mais simplement que la situation de la société débitrice soit améliorée par cette mesure et que le créancier garanti ne soit pas lésé pour autant,

- que suite à la crise traversée par l'automobile, le fonds de commerce situé <adresse>, va être exploité par le groupe coréen Hyundai présent sur le segment des modèles à bas prix, qu'en conséquence l'argument de l'appelant quant au prestige du fonds de commerce situé <adresse> n'est pas recevable,

- que les évaluations invoquées par le CIC pour le site Marceau tirées de courriels du dirigeant de la société Pacific Motors ne pouvaient être valables qu'en cas de déspécialisation du bail permettant une cession à la société Monoprix,

- que pour la conclusion du contrat de distribution passé entre la société Pacific Motors et le groupe coréen Hyundai, ce dernier souhaite une garantie de 1er rang sur le fonds de commerce situé <adresse>, qu'en l'état actuel des choses, la société Pacific Motors est dans l'impossibilité de fournir cette garantie, qu'en conséquence il est impératif, pour la pérennité du plan adopté, que la cour confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 septembre 2011,

Le dossier a été communiqué au Ministère public le 3 janvier 2012 qui n'a pas conclu.

MOTIFS DE LA DÉCISION

-Sur la recevabilité de l'appel

Elle n'est pas contestée par les intimés et aucun texte ne fermant la voie de l'appel au créancier qui a été appelé et entendu par le tribunal conformément aux prévisions de l'article R. 626-35 du code de commerce et dont les droit sont directement affectés par la substitution de garantie ordonnée, il convient de juger que cet appel, limité à la disposition du jugement accueillant la demande de substitution de garantie, est recevable, étant au surplus observé qu'en cas de substitution de garantie ordonnée en période d'observation par le juge-commissaire, l'article L. 622-8 du code de commerce prévoit que le recours contre l'ordonnance est porté devant la cour d'appel.

-Sur la demande de mise hors de cause de la société PM2

La société PM2 est étrangère au présent litige et sa mise hors de cause doit être ordonnée.

- Sur le fond

L'article L. 626-22, alinéa 3, du code de commerce prévoit que si un bien est grevé d'un privilège, d'un gage, d'un nantissement ou d'une autre hypothèque, une autre garantie peut lui être substituée en cas de besoin, si elle présente des avantages équivalents.

Le CIC conteste tout d'abord la nécessité d'ordonner une telle substitution en faisant valoir que l'administrateur n'a pas subordonné la faisabilité du plan de sauvegarde à cette condition.

Devant les premiers juges, la société Pacific Motors avait exposé que, devant le refus du groupe Fiat avec lequel elle travaillait de conserver l'établissement de <adresse> comme vitrine pour la marque Jeep, la résiliation du bail était envisagée à défaut de trouver une solution de cession, tout en faisant état de pourparlers avec les marques Saab et Hyundai.

Et le tribunal a ordonné la substitution de garantie en retenant qu'elle était essentielle pour un bon aboutissement du plan.

Devant la cour, la société Pacific Motors et les mandataires judiciaires font état de pourparlers très avancés avec le Groupe Hyundai qui souhaiterait faire du site de <adresse> son « show room » de référence en France et d'un partenariat projeté qui permettrait à la société Pacific Motors d'assurer un chiffre d'affaires de nature à remplir les objectifs de son plan et ils précisent que les travaux de mise en conformité du fonds au cahier des charges du groupe coréen sont déjà achevés et que les véhicules à commercialiser doivent être prochainement livrés, de même que doivent être signés les contrats de distribution, sous condition de fourniture à Hyundai d'un nantissement de premier rang sur le site Marceau.

Par les pièces versées aux débats, notamment la lettre d'intention émanant de Hyundai en date du 16 janvier 2012, acceptée par le dirigeant de la société Pacific Motifs le 24 janvier suivant, les photographies faisant état de la prochaine existence du show-room projeté, le justificatif du versement par Hyundai d'une première aide au paiement du loyer du site Marceau et le projet d'acte de nantissement, la société Pacific Motors justifie de la réalité et de l'avancement du projet conditionné en l'état à l'existence d'un nantissement de premier rang sur le fonds de commerce de <adresse>.

La société débitrice démontre dès lors que la substitution de la garantie dont se trouve titulaire le CIC répond à un besoin effectif et il ne peut être ajouté à la loi en exigeant la démonstration de son caractère impératif pour la pérennité du plan.

En revanche, la société Pacific Motors doit rapporter la preuve que la garantie qu'elle propose en remplacement présente pour le créancier de avantages équivalents.

A ce titre, sont versées aux débats deux évaluations successives émanant de professionnels des droits au bail afférents au fonds de Coignières et Chambourcy sur lesquels la société débitrice propose de conférer un nantissement de substitution au CIC.

Il en résulte, suivant l'estimation effectuée en juillet 2011, des valeurs respectives de 540 000 + 390 000 euros soit au total 930 000 euros et, suivant l'évaluation de décembre 2001, des valeurs de 500 000 / 520 000 + 400 000/420 000 euros soit un total compris entre 900 000 et 940 000 euros.

Ces estimations se recoupent et ne sont pas contestées par le CIC.

En revanche, la société Pacific Motors ne verse aucune évaluation du droit au bail du fonds de commerce situé [...].

Or le CIC lui oppose un courriel du 15 janvier 2009 émanant de M. Riehl dirigeant de la société Pacfic Motors dans lequel il indique que la cession du droit au bail de <adresse> à la société Monoprix serait possible pour 3 000 000 euros. Le fait que ce projet n'ait pas abouti, en l'absence d'autorisation de déspécialisation du bail vers un commerce d'alimentation, ne peut suffire à retirer toute pertinence à cette estimation, d'autant que M. Riehl, dans un autre courriel du 23 avril 2009, évoque de nouveau une valeur de 3 000 000 euros en cas de cession au groupe Neubauer pour y implanter la marque Rolls Royce.

Ces messages ne font pas la preuve de la valeur réelle du droit au bail de <adresse> mais ils permettent en tous cas de douter que cette valeur soit équivalente à la valeur cumulée de ceux de Coignières et Chambourcy puisque le différentiel est de plus de 2 000 000 euros.

Ainsi, en l'absence de toute évaluation émanant d'un tiers professionnel, force est de constater que la société Pacific Motors et les mandataires de justice, qui demandent la substitution de garantie et doivent en conséquence rapporter la preuve que les nantissements proposés en remplacement sont équivalents à celui dont le CIC est titulaire [...], sont défaillants dans l'administration de cette preuve.

En conséquence, il y lieu de les débouter de leur demande et d'infirmer le jugement sur ce point.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare l'appel recevable,

Met hors de cause la société PM2,

Infirme le jugement prononcé le 20 septembre 2011 par le tribunal de commerce de Versailles, mais seulement en ce qu'il a imposé la substitution de garantie prise par le CIC sur le fonds de commerce du site de <adresse> vers une garantie prise sur les sites de Coignières et Chambourcy,

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Dit n'y avoir lieu à la substitution de garantie proposée et déboute la société Pacific Motors, la SCP Laureau Jeannerot, ès qualités, et Me Samzun, ès qualités, de leur demande à ce titre,

Condamne la société Pacific Motors, la SCP Laureau Jeannerot, ès qualités, et Me Samzun, ès qualités, à payer à la SA CIC la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette la demande formée par les intimés à ce titre,

Condamne la société Pacific Motors, la SCP Laureau Jeannerot, ès qualités, et Me Samzun, ès qualités, aux dépens de l'appel qui seront recouvrés par L'AARPI JRF, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.