Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-23.986
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
Me Balat, Me Bertrand, SCP Hémery, Thomas-Raquin
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Maviflex que sur le pourvoi incident relevé par la société Gewiss France ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 20 septembre 2011, pourvoi n° 10-22.888), que la société Nergeco est titulaire de deux brevets européens respectivement déposés sous priorité de deux demandes de brevets français et délivrés sous le numéro EP 0 398 791, afin de couvrir « une porte à rideau relevable renforcée par des barres d'armature horizontales », et sous le numéro EP 0 476 788 pour une « porte à rideaux relevables » ; que le breveté et la société Nergeco France, titulaire d'une licence portant sur la partie française de ces brevets, selon contrat de management daté du 6 décembre 1990 et son annexe datée du 31 janvier 1991, inscrits au registre national des brevets le 3 juin 1998, (les sociétés Nergeco) ont agi à l'encontre des sociétés Mavil et Maviflex en contrefaçon ; que, statuant par arrêt du 2 octobre 2003, la cour d'appel de Lyon a accueilli la demande reconventionnelle tendant à la nullité du brevet EP 0 476 788, rejeté celle portant sur le brevet EP 0 398 791, retenu que les modèles de porte « Fil'up » exploités par les sociétés Mavil et Maviflex en constituaient la contrefaçon et ordonné une expertise avant dire droit sur le préjudice ; que par arrêt du 12 juillet 2005 (Chambre commerciale, financière et économique, pourvois n° 04-10.105 et 04-10.161), cet arrêt a été cassé en ses seules dispositions ayant prononcé l'annulation des revendications 2 à 9 du brevet EP 0 476 788 ; que parallèlement à la poursuite de l'instance sur ce brevet devant la cour de renvoi, la cour d'appel de Lyon a, par arrêt du 15 décembre 2005, dit que, parmi les portes du modèle « Fil'up » des sociétés Mavil et Maviflex, seules les versions « trafic » étaient contrefaisantes et condamné ces sociétés au paiement de dommages-intérêts ; que la société Maviflex ayant fait l'objet d'une procédure de sauvegarde par jugement du 6 juillet 2006, le mandataire et l'administrateur judiciaires sont intervenus à l'instance ; que, par arrêt du 10 juillet 2007 (Chambre commerciale, financière et économique, pourvoi n° 06-12.056), l'arrêt du 15 décembre 2005 a été cassé en ses seules dispositions ayant prononcé condamnation à dommages-intérêts au profit de la société Nergeco France ; que, par arrêt du 2 juin 2010, la cour de renvoi a, notamment, déclaré irrecevables les demandes formées par les sociétés Nergeco à l'encontre de la société Gewiss France (la société Gewiss), venant aux droits, par fusion-absorption, de la société Mavil, et limité à une certaine somme la créance de la société Nergeco France contre la société Maviflex ; que cet arrêt a été cassé en toutes ses dispositions par l'arrêt précité du 20 septembre 2011 ; que la plainte avec constitution de partie civile pour escroquerie et tentative d'escroquerie au jugement, déposée en cours de procédure par la société Maviflex, a été classée sans suite ; que devant la cour de renvoi, les sociétés Maviflex et Gewiss ont soulevé l'irrecevabilité à agir de la société Nergeco France à raison de la nullité du contrat de management et de son annexe et du défaut d'inscription régulière de ces actes au registre européen des brevets et au registre national des brevets ;
Sur les premiers moyens des pourvois principal et incident, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que les sociétés Maviflex et Gewiss font grief à l'arrêt de déclarer la société Nergeco France recevable et fondée à agir en contrefaçon du brevet EP 0 398 791 dont est titulaire la société Nergeco à compter du 3 juin 1998 alors, selon le moyen :
1°/ que le classement sans suite d'une plainte est dépourvu de l'autorité de la chose jugée ; que la cour d'appel ne pouvait écarter le moyen tiré de ce que le contrat de management du 6 décembre 1990 et l'avenant du 31 janvier 1991 étaient constitutifs de faux en écritures privées au motif que la plainte de la société Maviflex pour escroquerie au jugement obtenue sur le fondement de ces faux avait été classée sans suite sans violer les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il appartient au juge de vérifier l'acte sous seing privé dont l'écriture et la signature sont contestées ; que la société Maviflex ayant fait valoir que le contrat de management du 6 décembre 1990 et son avenant du 31 janvier 1991 constituaient des faux en écritures privées, il appartenait à la cour d'appel de vérifier les actes contestés ; qu'en relevant que les rapports comptables versés aux débats par la société Nergeco France et les procès-verbaux des conseils d'administration de cette société faisaient expressément référence au contrat de management du 6 décembre 1990, que, suivant son extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés et son avis de situation au répertoire Sirene, la société Nergeco France avait commencé son activité le 1er décembre 1990, ce qui n'excluait pas la possibilité de signer le contrat le 6 décembre suivant, et que la mention erronée dans ce contrat de Mme X... en tant qu'administrateur de la société était sans incidence sur sa validité, tous motifs étrangers à la vérification d'écritures à laquelle il lui appartenait de procéder, la cour d'appel a violé les articles 1324 du code civil, 287 et 288 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge ne peut se dispenser de vérifier l'écrit contesté que lorsqu'il peut statuer sans en tenir compte ; qu'après avoir constaté qu'aux termes de l'article 8 du contrat de management du 6 décembre 1990, la société Nergeco France était licenciée des brevets pour la France et que la licence sur le brevet EP 0 398 791 n'avait été conférée à cette société que par l'avenant du 31 janvier 1991, la cour d'appel, qui devait statuer sur la recevabilité et le bien fondé de l'action exercée par la société Nergeco France sur le fondement du brevet EP 0 398 791, ne pouvait décider que, eu égard aux termes de l'article 8 du contrat du 6 décembre 1990, était sans portée la contestation de la société Maviflex qui faisait valoir que l'avenant du 31 janvier 1991 était un faux qui n'avait été signé qu'en 1998 sans méconnaître la portée de ses propres constatations, en violation de l'article 287 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, lorsque la contestation ne porte ni sur l'écriture ni sur la signature, la procédure de vérification d'écritures ne trouve pas à s'appliquer ; que la preuve de l'existence ou non d'un faux matériel peut se faire par tous moyens ; que l'arrêt relève que l'ensemble des rapports comptables versés aux débats par la société Nergeco France ainsi que les procès-verbaux des conseils d'administration de cette société et de la société Nergeco du 6 décembre 1990 font expressément référence au contrat de management du même jour, ce qui démontre qu'il était entré en vigueur dès cette date, que selon l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés et l'avis de situation au répertoire Sirene, la société Nergeco France a débuté son activité le 1er décembre 1990 et qu'il est indiqué dans le contrat que Mme X... était spécialement habilitée à signer ce dernier pour le compte de ladite société ; que par ces motifs rendant inopérant le grief de la deuxième branche et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et troisième branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les deuxièmes moyens des pourvois principal et incident, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que les sociétés Maviflex et Gewiss font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que les contrats conclus par une société antérieurement à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, à compter de laquelle elle acquiert la personnalité morale, sont frappés d'une nullité absolue ; que la société Maviflex invoquait la nullité du contrat de management du 6 décembre 1990 et de l'annexe du 31 janvier 1991 à ce contrat comme ayant été conclus à une date antérieure à l'immatriculation de la société Nergeco France au registre du commerce et des sociétés, le 2 février 1991, date jusqu'à laquelle cette société était dépourvue de la personnalité juridique et n'avait pas la capacité de conclure les contrats en cause ; qu'en se bornant à énoncer que la société Nergeco France avait débuté son activité le 1er décembre 1990, antérieurement à la signature du contrat du 6 décembre 1990, sans constater, ce qui était contesté, que cette société avait, à cette date, acquis la personnalité juridique par suite de son inscription au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1842 du code civil et L. 210-6 du code de commerce ;
Mais attendu que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Maviflex et Gewiss se sont bornées à soulever la nullité du contrat de management et de son annexe, respectivement signés les 6 décembre 1990 et 31 janvier 1991, pour être antidatés, dès lors que la société Nergeco France n'aurait été immatriculée au registre du commerce et des sociétés que le 2 février 1991 ; que le moyen, nouveau en ce qu'il soulève la nullité de ces actes sur le fondement de l'article L. 210-6 du code de commerce, et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Et attendu que les cinquièmes moyens des pourvois principal et incident, rédigés en termes identiques, réunis, ne sont pas de nature à permettre l'admission de ces pourvois ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal :
Vu les articles 1129, alinéa 1er, du code civil et L. 613-8 et L. 614-14 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu, selon ces textes, qu'une obligation contractuelle doit avoir pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce ; que le contrat de licence de brevet est, à peine de nullité, constaté par écrit ; que, sous la même sanction, une demande de brevet français ou un brevet français et une demande de brevet européen ou un brevet européen ayant la même date de priorité, couvrant la même invention et appartenant au même inventeur, ne peuvent, pour les parties communes, faire l'objet indépendamment l'une de l'autre d'une concession de droits d'exploitation ;
Attendu que, pour déclarer la société Nergeco France recevable et bien fondée à agir, l'arrêt, écartant la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir à raison de la nullité du contrat de licence portant sur le brevet européen n° EP 0 398 791 à défaut de concession simultanée de la licence sur les demandes de brevets français dont la priorité était revendiquée, retient que cette société étant, selon l'article 8 du contrat de management du 6 décembre 1990, « ipso facto » licenciée des brevets pour la France, la licence portant sur ce brevet figurant à l'annexe du 31 janvier 1991 incluait les demandes de brevets français correspondantes ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que ni le contrat de management, ni son annexe ne comportaient la concession des droits exclusifs d'exploitation sur les demandes de brevets français dont la priorité était revendiquée par ledit brevet européen, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches :
Vu l'article 1351 du code civil ;
Attendu que pour exclure du champ de sa saisine la « question tirée du défaut d'inscription » du contrat de licence de la société Nergeco France, l'arrêt retient que cette question a été définitivement tranchée par les arrêts des 2 octobre 2003 et 15 décembre 2005 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que ni l'arrêt du 2 octobre 2003, ni celui du 15 décembre 2005 n'avaient statué, dans leur dispositif, sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Nergeco France et que, l'arrêt du 2 juin 2010 ayant été cassé dans toutes ses dispositions, la juridiction de renvoi se trouvait investie de la connaissance de cette fin de non-recevoir sous tous ses aspects, y compris en tant qu'elle était déduite de l'inopposabilité aux tiers du contrat de licence, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré la société Nergeco France recevable et bien fondée à agir en contrefaçon du brevet EP 0 398 791 dont est titulaire la société Nergeco à compter du 3 juin 1998 et condamné in solidum les sociétés Maviflex et Gewiss France à payer à la société Nergeco France la somme de 766 213 euros, l'arrêt rendu le 21 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Nergeco et Nergeco France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille quatorze.