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Décisions

Cass. crim., 10 décembre 2014, n° 14-81.313

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Moreau

Avocat général :

M. Le Baut

Avocat :

SCP Waquet, Farge et Hazan

Riom, du 5 févr. 2014

5 février 2014

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-17, 222-18, 433-3 du code pénal, 388, 591, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de menaces commise contre une personne exerçant une fonction publique et l'a condamné à un emprisonnement délictuel de trois mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant dix-huit mois avec exécution provisoire, obligation de soins et interdiction d'entrer en relation avec Me Josette Y... ;

" aux motifs que tout d'abord, l'élément matériel de l'infraction reprochée à M. X... est bien caractérisé, le courrier en cause contenant bien une menace de mort explicite ; qu'en effet, ce courrier commence par les mots : « Vous avez le pouvoir d'éviter un drame et de faire triompher la justice. Cela ne dépend que de votre bonne volonté », le « drame » étant déterminé tant par les autres termes du courrier qui explique qu'il n'est pas étonnant qu'il y ait autant d'auto-justice dans les rues, que surtout par la phrase retenue pour la prévention, à savoir qu'en l'absence de courage et de bonne volonté d'un avocat, M. X... a « l'intime conviction », ce qui n'est pas rien, qui grandit en son esprit, que « la seule façon d'obtenir justice contre cette avocate pourrie sera de me procurer une arme et de lui ôter la vie » ; qu'il pouvait paraître tempérer ses propres violents en ajoutant « Excessif direz-vous », il poursuit en disant : « Certes, mais expliquez-moi que faire d'autre lorsque ... » « C'est pourquoi afin d'éviter un tel drame, nous vous adressons le présent courrier, ainsi qu'à une (seconde) douzaine de vos confrères et consoeurs de Lyon ... » ; que le ton et les propos excessifs de ce courrier sont bien de nature à faire craindre que son auteur, qui apparaît ainsi quelque peu perturbé, puisse passer à l'action s'il n'obtient pas satisfaction ; que cette crainte est d'ailleurs corroborée par les termes de la requête en suspicion légitime contre le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand en date du 21 janvier 2013 adressée par M. X... à la chambre criminelle de la Cour de cassation et selon lesquels il écrit en page 6 : « M. X... a l'intime conviction que le but ultime des gens de justice de Clermont-Ferrand est, en multipliant à son encontre les mensonges et les injustices de le pousser à la révolte, à l'auto-justice et au crime ». « Ainsi, ne pas renvoyer l'affaire devant un autre tribunal présente à la fois un danger d'erreur judiciaire volontaire et de troubles de l'ordre public consécutifs à cette nouvelle injustice sciemment commise » ; que certes la menace de mort n'est pas adressée à Me Y... elle-même mais il est constant qu'il n'est pas nécessaire que la menace soit directement adressée à son destinataire lorsqu'elle est annoncée à un tiers, celle-ci étant punissable si son auteur pouvait penser qu'elle serait transmise par cet intermédiaire à son destinataire final, peu important d'ailleurs que ce tiers rapporte la menace à son destinataire, et il suffit que l'attitude de l'auteur soit susceptible d'intimider vivement la personne à qui elle est adressée étant rappelé que les infractions de menaces sont des infractions formelles, qui incriminent des comportements susceptibles de provoquer le résultat redouté, en observant que la notion de rapporteur nécessaire invoqué par M. X... n'est retenue que dans le cadre d'outrages et non de menaces, les textes réprimant les outrages en question n'étant pas du tout rédigés dans les mêmes termes que ceux réprimant les menaces, les premiers visant les outrages « adressés à ¿ », alors que les seconds visent les menaces « à l'encontre de ... » ; que là réside l'élément moral de l'infraction reprochée ; qu'en l'espèce, M. X... qui se dit juriste confirmé ne pouvait ignorer que l'avocate pouvait être informée, même sans divulgation officielle, ce qui a bien été le cas, et qu'elle pouvait prendre au sérieux ces menaces, ce qui est également le cas au vu du courrier susvisé du bâtonnier de Clermont-Ferrand adressé au parquet général, sachant que l'intéressée connaissait les antécédents du prévenu et sa personnalité au moins revendicative susceptible de l'entraîner à des excès ; qu'en sa qualité de juriste, par ailleurs, il ne pouvait lui échapper que le secret professionnel qu'il revendique était discutable en l'espèce alors que :- d'une part, son courrier adressé à une vingtaine d'avocats est quasiment une lettre ouverte qu'il dit lui-même être une lettre de recrutement, précisant dans la requête en suspicion légitime précitée (page 2) que, souhaitant engager des poursuites à l'encontre de Mme Y..., il prospectait auprès des avocats de Lyon en adressant une lettre type à 24 avocats de Lyon, ce qui peut difficilement permettre de qualifier de confidences les propos qu'il y tient ;- d'autre part, les règles de déontologie de la profession d'avocat, et notamment l'article 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, comme les dispositions de l'article 226-14 du code pénal, autorisent les avocats à révéler un secret quand la loi l'impose ou l'autorise, et en outre dans certains cas limitativement énumérés par l'article précité, en observant que l'article 434-1 du code pénal relatif à la non-dénonciation de crime rentre bien dans la catégorie des révélations rendues obligatoires par la loi pour tout individu, mais permettant aux avocats d'y déroger sans être en infraction ;- enfin, l'imminence de la menace tenait au fait que M. X... faisait une sorte de chantage appuyé au demeurant par les termes rappelés ci-dessus de sa requête en suspicion légitime : pas d'avocat pour défendre sa cause, pas d'autre solution que de s'armer et de se faire justice à lui-même ; que l'élément moral de l'infraction se déduit donc de ce qui précède, en précisant encore en tout état de cause, que :- il n'est pas nécessaire que l'auteur de la menace ait voulu la mettre à exécution, ni même qu'il ait été capable de le faire, mais il suffit qu'il l'ait sciemment prononcée, en se rendant compte de sa portée et de ce que le tiers destinataire du courrier la contenant pouvait la divulguer à la victime de la dite menace et des effets qu'elle pouvait avoir sur cette dernière ;- M. X... revendiquant son habitude des prétoires et ses connaissances juridiques, connaissait malgré sa mauvaise foi évidente lors de son audition par le service enquêteur, le caractère menaçant de son propos cherchant à atteindre Mme Y... en sa qualité d'avocat, profession qu'il ne ménage d'ailleurs pas dans son courrier ; qu'en considération de tout ce qui précède, les éléments de l'infraction reprochée sont suffisamment constitués, et c'est à bon droit que le tribunal correctionnel l'en a reconnu coupable ; que le jugement sera en conséquence confirmé sur la déclaration de culpabilité ;

" 1°) " alors que ne constitue pas une menace de mort le fait d'exprimer, même en des termes virulents, immédiatement mesurés par l'emploi du qualificatif « excessifs », une simple opinion dénuée de toute indication pratique qui laisserait supposer que son auteur pourrait envisager la mise à exécution de son projet ; qu'en décidant en l'espèce que la phrase rédigée par M. X... et extraite de son contexte, selon laquelle celui-ci avait indiqué : « l'intime conviction qui grandit dans mon esprit est que la seule façon d'obtenir justice contre cette avocate pourrie sera de me procurer une arme et de lui ôter la vie ! ! Excessif direz-vous. Certes » constituait l'élément matériel du délit de menace de mort, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" 2°) " alors que le prévenu était poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir écrit dans un courrier : « la seule façon d'obtenir justice contre cette avocate pourrie sera de me procurer une arme et de lui ôter la vie » ; qu'en retenant en l'espèce pour entrer en voie de condamnation à l'encontre du prévenu que les menaces proférées par celui-ci étaient également établies par les termes de sa requête en suspicion légitime, faits étrangers à la prévention, la cour d'appel a dépassé les termes de sa saisine, a violé l'article 388 du code procédure pénale et a excédé ses pouvoirs " ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-17, 222-18, 433-3 du code pénal, 591, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de menaces commise contre une personne exerçant une fonction publique et l'a condamné à un emprisonnement délictuel de trois mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant dix-huit mois avec exécution provisoire, obligation de soins et interdiction d'entrer en relation avec Me Y... ;

" aux motifs que tout d'abord, l'élément matériel de l'infraction reprochée à M. X... est bien caractérisé, le courrier en cause contenant bien une menace de mort explicite ; qu'en effet, ce courrier commence par les mots : « Vous avez le pouvoir d'éviter un drame et de faire triompher la justice. Cela ne dépend que de votre bonne volonté », le « drame » étant déterminé tant par les autres termes du courrier qui explique qu'il n'est pas étonnant qu'il y ait autant d'auto-justice dans les rues, que surtout par la phrase retenue pour la prévention, à savoir qu'en l'absence de courage et de bonne volonté d'un avocat, M. X... a « l'intime conviction », ce qui n'est pas rien, qui grandit en son esprit, que « la seule façon d'obtenir justice contre cette avocate pourrie sera de me procurer une arme et de lui ôter la vie » ; qu'il pouvait paraître tempérer ses propres violents en ajoutant « Excessif direz-vous », il poursuit en disant : « Certes, mais expliquez-moi que faire d'autre lorsque ... » « C'est pourquoi afin d'éviter un tel drame, nous vous adressons le présent courrier, ainsi qu'à une (seconde) douzaine de vos confrères et consoeurs de Lyon ... » ; que le ton et les propos excessifs de ce courrier sont bien de nature à faire craindre que son auteur, qui apparaît ainsi quelque peu perturbé, puisse passer à l'action s'il n'obtient pas satisfaction ; que cette crainte est d'ailleurs corroborée par les termes de la requête en suspicion légitime contre le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand en date du 21 janvier 2013 adressée par M. X... à la chambre criminelle de la Cour de cassation et selon lesquels il écrit en page 6 : « M. X... a l'intime conviction que le but ultime des gens de justice de Clermont-Ferrand est, en multipliant à son encontre les mensonges et les injustices de le pousser à la révolte, à l'auto-justice et au crime ». « Ainsi, ne pas renvoyer l'affaire devant un autre tribunal présente à la fois un danger d'erreur judiciaire volontaire et de troubles de l'ordre public consécutifs à cette nouvelle injustice sciemment commise » ; que certes la menace de mort n'est pas adressée à Me Y... elle-même mais il est constant qu'il n'est pas nécessaire que la menace soit directement adressée à son destinataire lorsqu'elle est annoncée à un tiers, celle-ci étant punissable si son auteur pouvait penser qu'elle serait transmise par cet intermédiaire à son destinataire final, peu important d'ailleurs que ce tiers rapporte la menace à son destinataire, et il suffit que l'attitude de l'auteur soit susceptible d'intimider vivement la personne à qui elle est adressée étant rappelé que les infractions de menaces sont des infractions formelles, qui incriminent des comportements susceptibles de provoquer le résultat redouté, en observant que la notion de rapporteur nécessaire invoqué par M. X... n'est retenue que dans le cadre d'outrages et non de menaces, les textes réprimant les outrages en question n'étant pas du tout rédigés dans les mêmes termes que ceux réprimant les menaces, les premiers visant les outrages « adressés à ¿ », alors que les seconds visent les menaces « à l'encontre de ... » ; que là réside l'élément moral de l'infraction reprochée ; qu'en l'espèce, M. X... qui se dit juriste confirmé ne pouvait ignorer que l'avocate pouvait être informée, même sans divulgation officielle, ce qui a bien été le cas, et qu'elle pouvait prendre au sérieux ces menaces, ce qui est également le cas au vu du courrier susvisé du bâtonnier de Clermont-Ferrand adressé au parquet général, sachant que l'intéressée connaissait les antécédents du prévenu et sa personnalité au moins revendicative susceptible de l'entraîner à des excès ; qu'en sa qualité de juriste, par ailleurs, il ne pouvait lui échapper que le secret professionnel qu'il revendique était discutable en l'espèce alors que :- d'une part, son courrier adressé à une vingtaine d'avocats est quasiment une lettre ouverte qu'il dit lui-même être une lettre de recrutement, précisant dans la requête en suspicion légitime précitée (page 2) que, souhaitant engager des poursuites à l'encontre de Mme Y..., il prospectait auprès des avocats de Lyon en adressant une lettre type à 24 avocats de Lyon, ce qui peut difficilement permettre de qualifier de confidences les propos qu'il y tient ;- d'autre part, les règles de déontologie de la profession d'avocat, et notamment l'article 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, comme les dispositions de l'article 226-14 du code pénal, autorisent les avocats à révéler un secret quand la loi l'impose ou l'autorise, et en outre dans certains cas limitativement énumérés par l'article précité, en observant que l'article 434-1 du code pénal relatif à la non-dénonciation de crime rentre bien dans la catégorie des révélations rendues obligatoires par la loi pour tout individu, mais permettant aux avocats d'y déroger sans être en infraction ;- enfin, l'imminence de la menace tenait au fait que M. X... faisait une sorte de chantage appuyé au demeurant par les termes rappelés ci-dessus de sa requête en suspicion légitime : pas d'avocat pour défendre sa cause, pas d'autre solution que de s'armer et de se faire justice à lui-même ; que l'élément moral de l'infraction se déduit donc de ce qui précède, en précisant encore en tout état de cause, que :- il n'est pas nécessaire que l'auteur de la menace ait voulu la mettre à exécution, ni même qu'il ait été capable de le faire, mais il suffit qu'il l'ait sciemment prononcée, en se rendant compte de sa portée et de ce que le tiers destinataire du courrier la contenant pouvait la divulguer à la victime de la dite menace et des effets qu'elle pouvait avoir sur cette dernière ;- M. X... revendiquant son habitude des prétoires et ses connaissances juridiques, connaissait malgré sa mauvaise foi évidente lors de son audition par le service enquêteur, le caractère menaçant de son propos cherchant à atteindre Mme Y... en sa qualité d'avocat, profession qu'il ne ménage d'ailleurs pas dans son courrier ; qu'en considération de tout ce qui précède, les éléments de l'infraction reprochée sont suffisamment constitués, et c'est à bon droit que le tribunal correctionnel l'en a reconnu coupable ; que le jugement sera en conséquence confirmé sur la déclaration de culpabilité ;

" alors que si la menace de mort peut n'être adressée qu'indirectement à son destinataire, c'est à la condition que son auteur ait eu l'intention que ses propos parviennent à sa victime ; qu'une telle intention, qui doit être pleinement caractérisée, nécessite notamment le constat que l'agent savait que ses propos tenus par écrit mais adressés à un tiers, allaient être rapportés à la victime par ledit tiers destinataire du courrier les contenant ; qu'une telle volonté n'était nullement caractérisée en l'espèce dès lors que les propos litigieux étaient contenus dans une correspondance adressée à des avocats, et partant couverte par le secret professionnel auquel sont soumis ces auxiliaires de justice, en sorte que M. X... était convaincu que sa teneur n'en serait pas dévoilée à Me Y... ; qu'en se contentant en l'espèce, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. X..., de relever le simple risque qu'aurait pris celui-ci de voir ses propos rapportés à Me Y... et non son intention délibérée de voir sa correspondance portée à la connaissance de celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'élément intentionnel du délit, a exposé sa décision à la censure " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que M. Daniel X..., opposé dans plusieurs litiges à Me Y..., avocat au barreau de Clermont-Ferrand, a adressé à plusieurs avocats du barreau de Lyon une lettre sollicitant leur concours pour exercer une action en justice à son encontre ; que dans cette lettre, il a notamment indiqué que « l'intime conviction qui grandit en mon esprit est que la seule façon d'obtenir justice contre cette avocate pourrie sera de me procurer une arme et de lui ôter la vie » ; que Me Y..., informée de l'existence de cette correspondance par le bâtonnier de Clermont-Ferrand, a porté plainte contre l'auteur de la lettre pour menace de commettre un crime contre un avocat ;

Attendu que, pour déclarer M. X... coupable du délit, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision dès lors que le délit de menace de commettre un crime contre une personne est établi lorsque son auteur ne pouvait ignorer que la menace formulée parviendrait à la connaissance de la ou des personnes visées ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.