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Décisions

Cass. crim., 27 juin 2018, n° 16-86.910

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Spinosi et Sureau

cour d'appel de BORDEAUX, 25 oct. 2016

25 octobre 2016

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-

L'administration des douanes et droits indirects, partie poursuivante,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 25 octobre 2016, qui a renvoyé la société Amorim France des fins de la poursuite du chef de détention de marchandise réputée importée en contrebande ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller WYON, les observations de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAILLARDOT ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 511-2, L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle dans leur rédaction antérieure à l'ordonnancen°2001-670 du 25 juillet 2001, L. 511-2, L. 511-3 et L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle, 38, 215, 251 bis, 215 ter, 414, 419, 432 bis, 437 et 438 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt a confirmé le jugement ayant relaxé la société AmorimFrance des fins de la poursuite ;

"aux motifs que la cour observe qu'en asseyant son raisonnement concernant la définition de la contrefaçon sur l'article L. 511-1 du CPI dans sa version postérieure à l'ordonnance du 25 juillet 2001 (page 9 de ses conclusions) et en évoquant la notion de caractère propre du modèle (page 12 des mêmes conclusions), l'administration de la Douane et des Droits Indirects entend placer ce raisonnement dans le cadre de la réglementation postérieure à ladite ordonnance alors que la loi applicable à la protection d'un modèle est celle en vigueur au jour du dépôt de la demande d'enregistrement ; que sous l'empire de la loi applicable en 1994 et 1995, lors des dépôts concernés, alors que le critère de nouveauté était le seul qui était clairement affirmé par l'article L. 511-3 du CPI, la jurisprudence avait développé, ainsi que l'indique la société Amormi, une notion de nouveauté en terme d'originalité, qui venait compléter le critère objectif de nouveauté, ce critère d'originalité étant de fait proche de la notion de caractère propre introduit par l'article L. 511-2 nouveau et précisé par l'article L. 511-3 nouveau, de sorte que le raisonnement qui doit être tenu dans le cadre de l'instance fiscale qui nous occupe ne paraît pas fondamentalement différent de celui qui aurait dû être tenu si les dépôts dont il s'agit avaient été effectués après l'ordonnance du 25 juillet 2001 ; que la cour constate, comme d'ailleurs a pu le faire le tribunal de grande instance dans son jugement du 115 décembre 2015 que, si certaines des particularités mises en avant par la société bouchages Delage pour affirmer son originalité ou son caractère propre par rapport aux bouchons qui seraient susceptibles de constituer des contrefaçons, sont en fait des caractéristiques à visée de fonctionnalité, et comme telles non protégeables (aplat supérieur utile pour apposer le tampon, diamètre de la base s'accordant avec le diamètre de la bouteille ou de la carafe, ou encore la forme concave de la jupe pour favoriser la préhension par les doigts), d'autres caractéristiques ont une visée clairement esthétique, telles que la forme générale aplatie du bouchon ou son chapeau bombé ; que le critère d'originalité pourrait donc être valablement invoqué par la société de bouchages Delage, à l'encontre d'Amorim, pour autant que les modèles dont elle se prévaut n'aient pas été précédés par des modèles dont la configuration ou la physionomie seraient suffisamment proches pour constituer des cas d'antériorité incompatibles avec la protection revendiquée ; qu'au regard de ce critère de nouveauté objective, indispensable pour qu'il puisse y avoir protection et donc, en l'espèce, contrefaçon, la société Amorim démontre, dans ses conclusions et ses pièces l'existence de plusieurs cas d'antériorité qui paraissent indiscutables :

- le bouchon de la bouteille d'Armagnac Samalens, en pièce 6, dont il est démontré par l'ouvrage "les alcools du monde" publié en 1993 (pièce 7) qu'elle préexistait au dépôt des modèles Delage en question,

- le bouchon de la carafe Hardy, elle-même objet d'un dépôt à l'INPI en juin 1993, (pièces 26 et 26 bis),

- le bouchon de la bouteille de Cognac Hardy figurant sur la pièce 35, dont les pièces complémentaires 27 et 28 démontrent qu'elle préexistait au dépôt des modèles Delage,

- le bouchon incorporé dans le modèle déposé par « La Martiniquaise en mars » 1988, de flacon et de modèle de décor pour flacon ou bouchon de flacon (pièce 8) que ces précédents présentent des caractéristiques correspondant exactement à la description figurant sur la notification de dépôt effectuée par les bouchages Delage en 1994 : dessus de la tête de bouchon plat, suivi d'un bombé se raccordant à un bandeau pouvant être agrémenté, base de tête rayonnée se raccordant au col de la bouteille ; que nonobstant le fait que la forme concave de la jupe (caractéristique fonctionnelle non protégeable et ne figurant d'ailleurs pas sur le descriptif des dépôts invoqués de 1994 et 1995) ne se retrouve pas sur tous ces cas d'antériorité, l'impression visuelle qu'ils donnent est la même que le modèle figurant sur dépôts dont s'est prévalu la société des bouchages Delage ; qu'il peut être considéré que, par rapport à ces cas d'antériorité, ces modèles "se différencie[nt] de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle » (article L. 511-3 du CPI applicable) ; que dès lors, ces cas d'antériorité excluent qu'il puisse y avoir contrefaçon et l'infraction visée par l'administration de la douane et des droits indirects n'est pas constituée ;

"1°) alors que la validité du droit attaché à un dépôt de modèle s'apprécie au regard de la loi applicable à la date de ce dépôt ; que selon l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnancen°2001-670 du 25 juillet 2001, un modèle pour être protégé doit être nouveau et original ; qu'est original le modèle qui exprime la personnalité de son auteur et résulte d'un effort de création ; qu'en affirmant que « la loi applicable à la protection d'un modèle est celle en vigueur au jour du dépôt de la demande d'enregistrement » tout en affirmant que « l'impression visuelle qu'ils donnent est la même que le modèle figurant sur les dépôts dont s'est prévalu la société des bouchages Delage », appréciant ainsi la validité des modèles déposés par la société Delage en 1994 et 1995 au regard de leur caractère propre tel que défini par l'article L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle issue de l'ordonnance du 25 juillet 2001, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2°) alors que que selon l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnancen°2001-670 du 25 juillet 2001, un modèle pour être protégé doit être nouveau et original ; qu'est nouveau et original le modèle qui combine, de manière nouvelle et originale, des éléments ne présentant pas en eux-mêmes de nouveauté et d'originalité ; qu'en affirmant, pour écarter la protection des modèles argués de contrefaçon, que les modèles antérieurement divulgués « présentent des caractéristiques correspondant exactement à la description figurant sur la notification de dépôt effectué par les bouchages Delage en 1994 : dessus de la tête de bouchon plat, suivi d'un bombé se raccordant à un bandeau pouvant être agrémenté, base de tête rayonnée se raccordant au col de la bouteille » et que « l'impression visuelle qu'ils donnent est la même que le modèle figurant sur les dépôts dont s'est prévalu la société des bouchages Delage » sans se prononcer sur le modèle déposé en 1995 et sans rechercher si, pris dans leur combinaison, la tête de bouchon, le bombé se raccordant à un bandeau agrémenté et la base de tête rayonné, ne conféraient aux modèles déposés par la société Delage une particularité propre à les différencier des modèles antérieurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"3°) alors qu'en tout état de cause, un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée ; que l'observateur averti n'est pas le consommateur potentiel du produit litigieux mais un observateur doté d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré ; qu'en se bornant à affirmer, concernant les modèles déposés en 1994 et 1995, que « l'impression visuelle qu'ils donnent est la même que le modèle figurant sur les dépôts dont s'est prévalu la société des bouchages Delage » sans porter cette appréciation au regard de l'observateur doté d'une vigilance particulière, en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés" ;

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société les Bouchages Delage (ci-après société Delage), spécialisée dans la fabrication de bouchons à tête destinés à des bouteilles de spiritueux, a déposé à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) deux modèles de têtes de bouchons dénommés "Prestige", l'un le 14 octobre 1994, et l'autre le 13 novembre 1995 ; que la brigade des douanes de Poitiers a effectué le 27 juillet 2011 un contrôle dans les locaux des établissements Sobefi, appartenant à la société Amorim France (ci-après société Amorim), également fabricante de bouchons, et y a saisi 51082 bouchons soupçonnés de contrefaire les modèles déposés par la société Delage, qui ont été mis en retenue au titre de l'article L. 521–14 du code de la propriété intellectuelle ; que 6 000 autres bouchons soupçonnés de contrefaire les mêmes modèles déposés ont été mis en retenue au sein des établissements Salomon, qui les avait acquis auprès de la société Amorim ; que le 28 mai 2013, la direction générale des douanes et droits indirects a fait citer directement la société Amorim à comparaître devant le tribunal correctionnel d'Angoulême, pour infraction douanière de détention sans justificatif de marchandises prohibées, réputée importation en contrebande de marchandises prohibées, lui reprochant d'avoir détenu sans justificatif d'acquisition régulière des marchandises prohibées, à savoir 82087 articles contrefaisant un modèle de bouchons déposé par la société Delage ; que par jugement du 9 décembre 2014, le tribunal correctionnel a renvoyé la société Amorim des fins de la poursuite ; que l'administration des douanes a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt énonce que si certaines particularités mises en avant par la société Delage pour affirmer son originalité ou son caractère propre, par rapport aux bouchons susceptibles de constituer des contrefaçons, sont en fait des caractéristiques à visée fonctionnelle, et comme telles non protégeables, d'autres caractéristiques ont une visée clairement esthétique, telles que la forme générale aplatie du bouchon ou son chapeau bombé ; que les juges relèvent que si le caractère d'originalité pourrait donc être valablement invoqué par la société Delage à l'encontre de la société Amorim, c'est seulement pour autant que les modèles dont elle se prévaut n'aient pas été précédés par des modèles dont la configuration ou la physionomie seraient suffisamment proches pour constituer des cas d'antériorité incompatibles avec la protection revendiquée ; que la cour d'appel, après avoir relevé que la société Amorim démontre l'existence de plusieurs cas d'antériorité qui paraissent indiscutables, tous ces précédents présentant des caractéristiques correspondant exactement à la description figurant sur la notification de dépôt effectuée en 1994, et l'impression visuelle qu'ils donnent étant la même que le modèle figurant sur les dépôts dont s'est prévalu la société Delage, retient qu'il ne peut être considéré que ces modèles se différencient de ces cas d'antériorité soit par une configuration distincte et reconnaissable leur conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs leur donnant une physionomie propre et nouvelle, au sens de l'article L. 511-3 du code de la propriété industrielle applicable ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a apprécié la validité du droit attaché à un dépôt de modèles au regard de la loi applicable à la date de ce dépôt, et qui a estimé, en vertu de son pouvoir souverain d'appréciation, sans insuffisance ni contradiction, que les deux modèles déposés par la société Delage ne pouvaient pas bénéficier de l'antériorité conditionnant leur protection, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui est inopérant en sa troisième branche, la notion d'observateur averti n'ayant été introduite que par l'ordonnancen°2001-670 du 25 juillet 2001, doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept juin deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.