CA Lyon, 1re ch. civ. B, 4 mars 2014, n° 12/08841
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Andrieu
Défendeur :
Ordre des avocats du barreau de Lyon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baizet
Conseillers :
Mme Guigue, M. Ficagna
Avocats :
Me Sannier, Me Bouzaida, Me Matcharadze
Par actes des 14 décembre 2009, puis 10 et 13 mai 2011 L'Ordre des avocats du barreau de Lyon a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Lyon la société Action CE ainsi que sa gérante, Mme Maria Luisa Alvarez Lopez aux fins de voir ordonner la dissolution de cette société, de faire interdiction à cette société de donner des consultations juridiques et de participer à la rédaction d'actes et ce sous astreinte et aux fins de voir ordonner à la société et à la gérante de cette société d'expurger de son site Internet toute mention se rapportant à une offre de conseil juridique.
La société Action CE et sa gérante ont soulevé en premier lieu divers moyens d'irrecevabilité et sur le fond ont soutenu que l'objet social de la société Action CE n'avait rien d'illicite au regard des articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971.
Par jugement du 25 octobre 2012 le tribunal de grande instance de Lyon a :
- ordonné la dissolution de la société Action CE,
- fait interdiction à la société Action CE et à Mme Maria Luisa Alvarez Lopez de donner des consultations juridiques et de participer à la rédaction d'actes, et ce sous astreinte provisoire, de 1 000 € par infraction constatée, le tribunal se réservant la liquidation,
- ordonné à Mme Maria Luisa Alvarez Lopez et à la société Action CE d'expurger du site Internet toute mention se rapportant à une offre de conseil juridique,
- condamné la société Action CE et Mme Maria Luisa Alvarez Lopez à payer à l'Ordre des Avocats du Barreau de Lyon la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamné la société Action CE et Mme Maria Luisa Alvarez Lopez aux entiers dépens.
Le tribunal a relevé :
- qu'il n'était pas contesté que Mme Alvarez ne justifiait d'aucun titre ni d'aucune expérience juridique au sens de la loi du 31 décembre 1971,
- que l'illicéité de la situation résultait de l'objet social et des prestations réellement offertes.
La société Action CE et Mme Maria Luisa Alvarez Lopez ont interjeté appel de cette décision le 12 décembre 2012 et ont saisi le premier président de la cour d'appel d'une demande de suspension de l'exécution provisoire.
Par ordonnance du 25 février 2013, le premier président a débouté la société Action CE et sa gérante de leur demande.
La société Action CE et Mme Maria Luisa Alvarez Lopez demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu et statuant de nouveau,
- à titre principal, de débouter l'Ordre des avocats du barreau de Lyon de toutes ses demandes,
- à titre subsidiaire, de dire et juger que l'action en nullité de la société Action CE est prescrite,
- de condamner l'Ordre des avocats du barreau de Lyon au paiement de la somme de 5 000 € chacune.
Elles soutiennent :
- que l'objet social de la société Action CE ne mentionne, à aucun moment, la dispense de consultations juridiques ou la participation à la rédaction d'actes,
- que l'article 66-1 de la loi du 31 décembre 1971 dispose expressément : « Le présent chapitre ne fait pas obstacle à la diffusion en matière juridique de renseignements et informations à caractère documentaire », « qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné »,
- qu'à aucun moment la société Action CE n'a dispensé le moindre conseil personnalisé,
- que l'activité notamment de formation exercée par la société Action CE étant parfaitement licite, l'objet social de ladite société ne peut être considéré comme illicite,
- qu'elle intervient en qualité d'expert libre au titre des dispositions de l'article L 2325-41 du code du travail qui dispose que : « Le comité d'entreprise peut faire appel à tout expert rémunéré par ses soins pour la préparation de ses travaux. Le recours à un expert donne lieu à délibération du comité. L'expert choisi par le comité dispose des documents détenus par celui-ci. Il a accès au local du comité et, dans des conditions définies par accord entre l'employeur et la majorité des membres élus du comité, aux autres locaux de l'entreprise »,
- que l'action en nullité est prescrite en application de l'article 1844-14 du code civil.
L'Ordre des avocats du barreau de Lyon demande à la cour :
- de confirmer le jugement,
- de condamner solidairement la société Action CE et Mme Alvarez Lopez à lui payer une indemnité de dommages et intérêts d'un montant de 2 000 € au titre de l'atteinte portée à l'image de la profession d'avocat et de la concurrence exercée de manière illicite,
- de condamner solidairement la société Action CE et Mme Alvarez Lopez au paiement d'une somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens distraits au profit de Me Bouzaida, avocat.
L'Ordre des avocats du barreau de Lyon soutient :
- que la société Action CE fournit à ses clients une véritable assistance juridique sous la forme notamment :
- de consultations juridiques personnalisées, établies en fonction des éléments apportés par le client,
- de préparation en commun de réunions avec les élus, etc.
- que son activité consiste donc notamment à fournir une prestation de consultation juridique, à titre habituel et moyennant rémunération aux comités d'entreprise,
- que la nullité encourue étant absolue, et l'infraction pénale résultant de l'activité illicite étant continue, aucune prescription ne peut courir,
- que la jurisprudence juge dans ce cas que la prescription triennale ne saurait jouer, l'activité ayant un caractère continu.
MOTIFS
Sur la prescription de l'action en nullité
Aux termes de l'article 1833 du code civil, toute société doit avoir un objet licite, à défaut de quoi la société est entachée de nullité en application de l'article 1844-10 du code civil.
L'article 1844-11 du code civil précise que l'action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d'exister au jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l'illicéité de l'objet social.
Il en résulte que l'action en nullité pour illicéité de l'objet n'est pas susceptible de prescription dès lors que la cause de la nullité existe.
Sur l'action en nullité
Aux termes de l'article 54 de la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques,
« nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui :
1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66(...) ».
La société Action CE et sa gérante ne sont pas titulaires d'une licence en droit et ne bénéficient pas d'un agrément justifiant d'une expérience suffisante.
On doit entendre par consultation juridique toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis sur une situation soulevant des difficultés juridiques ainsi que sur la (ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre, concourant, par les éléments qu'elle apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation. Elle doit être distinguée de l'information à caractère documentaire qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné. (JO Sénat 7 septembre 2006, page 2356).
En l'espèce, l'extrait du registre du commerce et des sociétés fait apparaître que la société Action CE a pour objet social :
« assistance et information sous toutes ses formes auprès des C.E. organismes assimilés associations et entreprises en général ».
Ce libellé recouvre par sa généralité et notamment pas l'expression assistance et information (...) sous toutes ses formes, les consultations juridiques et la rédaction d'actes sous seing privé pour autrui.
Par ailleurs, l'Ordre des avocats du barreau de Lyon produit des documents internes de la société Action CE desquels il résulte :
- que la société offre à ses clients potentiels un contrat «assistance Plus», qui prévoit une «assistance personnalisée» concernant le rôle économique de l'élu du comité, les activités sociales et culturelles du comité, les délégués du personnel et le CHSCT,
- que la gérante répond « à des questions juridiques en relation avec le code du travail »,
- qu'elle apporte une « réponse aux questions individuelles des salariés relatives au droit du travail »,
- qu'elle fait part de ses observations sur les documents qui lui sont transmis, par exemple sur un rapport sur le service médical, en invitant les membres du comité d'établissement à agir en sollicitant des précisions de l'employeur,
- qu'elle assiste le comité d'établissement sur des « dossiers spécifiques », à savoir, transfert d'un site vers un repreneur, externalisation de la prestation restaurant d'entreprise, cessation d'activité anticipée, projet d'accord GPEC, accord du travail 3X8h20, plan de sauvegarde de l'emploi comprenant des départs CAA, mise en place d'une mutuelle,
- que selon le témoignage d'un client publié sur le site internet « cette assistance a permis de présenter des propositions construites qui ont été souvent retenues par la direction »,
- que la société donne des « conseils pour des actions ponctuelles »
- qu'elle assiste les délégués dans la préparation des réunions, pour définir l'ordre du jour, et pour aider dans les comptes-rendus,
- qu'elle apporte des solutions adaptées aux questions posées et notamment sur la meilleure façon d'obtenir l'application du code du travail.
De plus, le site internet de la société fait apparaître les prestations suivantes :
- « service permanent de conseils personnalisés. L'équipe d'action CE s'appuie sur des connaissances reconnues par des diplômes universitaires en droit du travail et sur des compétences acquises par une expérience pluridisciplinaire et de terrain de plus de 15 ans »,
- analyse et synthèses des différents cas soumis, (individuel ou non).
L'ensemble de ces activités correspond à la définition même de la consultation juridique.
En outre, la société Action CE soutient qu'elle intervient en qualité « d'expert libre » dans différents domaines : licenciement économiques collectifs, le droit d'alerte, les restructurations, tous travaux de préparation déterminés par le comité d'entreprise comme : l'étude du bilan social ou du rapport annuel unique, la formation professionnelle, le compte rendu moral de fin de mandat.
Cependant, la fonction d'expert ne constitue pas une exception à l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971, de sorte que même un expert « libre » ne peut exercer les activités mentionnées à cet article s'il ne remplit pas les conditions posées par le texte.
En conséquence, au vu de ces éléments, il convient de constater que l'objet tant statutaire que réel de la société Action CE comprenait de manière prépondérante des activités de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé pour autrui prévues à l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971.
En conséquence, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur la demande de dommages et intérêts
Les agissements illicites de la société Action CE ont été de nature à occasionner un préjudice à la collectivité des avocats du barreau de Lyon par la concurrence exercée.
Au regard du chiffre d'affaire annuel de plus de 200 000 € réalisé par la société Action CE, il convient d'allouer à l'Ordre des avocats une somme de 2 000 € de dommages et intérêts.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- condamne la société Action CE et Mme Maria Alvarez Lopez solidairement, à payer à l'Ordre des avocats du barreau de Lyon la somme de 2 000 € de dommages et intérêts outre celle de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société Action CE et Mme Alvarez Lopez Maria solidairement aux dépens, distraits au profit de Me Mehdi BOUZAIDA, avocat, dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile, sur son affirmation de droit.