Livv
Décisions

Cass. crim., 30 mai 2001, n° 00-85.533

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

Mme Commaret

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, SCP Gatineau

Angers, ch. corr., du 16 mars 2000

16 mars 2000

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 408 de l'ancien Code pénal, 1315 et 1341 du Code civil, 6, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a retenu un agent de change (M. Y..., le demandeur) dans les liens de la prévention du chef d'abus de confiance commis au préjudice de clients (les époux X...) pour la gestion de leur portefeuille de valeurs mobilières après le 25 février 1991, en répression l'a condamné à une peine d'amende de 20 000 F et, statuant sur la constitution de partie civile des intéressés, l'a condamné à leur payer, en réparation de leur préjudice, une somme de 467 967,34 francs ;

"aux motifs que, par un écrit signé du mari le 20 février 1990, les époux X... avaient donné mandat écrit à la société de bourse Ducatel-Duval d'assurer la gestion des titres et espèces déposés sur leur compte ; qu'en ce qui concernait la gestion du portefeuille d'André X... du 1er janvier 1990 au 30 juin 1991, il était établi par les déclarations mêmes du plaignant et les pièces produites que M. Z... (salarié de Ducatel-Duval) avait continué personnellement à gérer ce compte jusqu'en juin 1991 ; que les options prises jusqu'à cette date ne pouvaient en conséquence être imputées à Pierre Y... en l'absence de preuve dans le dossier d'une immixtion personnelle de sa part qui ne pouvait être déduite de ses seules fonctions de directeur de Ducatel-Duval et de président directeur général de l'Occidentale Financière ; qu'en ce qui concernait la continuation de la gestion du portefeuille d'André X... après le 25 février 1991, il résultait des pièces produites qu'après avoir contacté M. Z..., André X... avait, par lettre du 25 février 1991 adressée à "l'Occidentale Financière Ducatel-Duval, à l'attention de Pierre Y...", fait "interdiction formelle jusqu'à nouvel ordre, de procéder â une opération quelconque sur (son) portefeuille" et demandé" rendez-vous avec (l'intéressé) pour fixer les objectifs éventuels pour le 31 mai 1991" ; que l'expert avait constaté, que suite à cette interdiction, les opérations avaient cessé jusqu'au 31 mars 1991, sauf écritures de liquidation, mais avaient ensuite repris jusqu'au 31 décembre 1991 en générant une perte supplémentaire de 467 467,34 francs ; que le fait pour André X... d'avoir reçu des avis d'opérations pendant cette période ne permettait pas de considérer qu'il avait renoncé à son interdiction formelle contenue dans la lettre du 25 février 1991 ; que le premier juge avait quelque peu inversé la charge de la preuve en énonçant que le défaut de protestation faisait présumer l'accord de l'intéressé pour la reprise des opérations bien qu'il y eût un écrit exempt d'ambiguïté, et qu'il appartenait au prévenu d'établir autrement que par des affirmations que le client était revenu sur sa décision ; que le demandeur avait sciemment et volontairement outrepassé son mandat et serait déclaré coupable d'abus de confiance pour ces faits particuliers ; que, sur la gestion des portefeuilles, notamment de André X..., pour la période postérieure au 30 juin 1991, il pouvait être estimé que la gestion avait été imprudente mais que, pour inadaptés que les choix eussent pu être, ils n'étaient pas d'une imprudence telle qu'on pût en déduire que Pierre Y... ne pouvait qu'avoir conscience en les pratiquant d'effectuer des opérations hasardeuses et de dépasser les limites de ses mandats ; qu'en effet, toutes les valeurs étaient cotées au marché officiel et étaient recommandées par Ducatel-Duval qui avait en son sein un bureau d'études comprenant dix analystes financiers ; que les mêmes choix avaient d'ailleurs été faits par M. Z... pendant le temps de sa gestion et par le demandeur pour son propre compte ; qu'il était clair dès lors qu'il croyait que ces valeurs allaient évoluer favorablement ; que, même si elle était élevée dans une politique de prudence, la part globale des valeurs de retournement n'était pas en soi manifestement alarmante à l'époque, d'autant moins qu'il pouvait escompter, en cas d'évolution négative des unes, que celles-ci seraient compensées par la progression des autres ; qu'à de rares exceptions près qui pouvaient s'expliquer sans mauvaise foi, la part relative de telle ou telle valeur n'était pas non plus manifestement dangereuse ; que les pertes imputables au non-respect de la règle de division et des risques ne représentaient qu'une faible partie de la perte totale ; que le demandeur pouvait, avec vraisemblance, se croire fondé à opérer les arbitrages qu'il avait effectués dans la composition des portefeuilles, en sorte qu'il convenait de le relaxer de ce chef, la discussion sur ce point relevant d'un litige civil ;

"alors que, d'une part, après avoir relevé non seulement que jusqu'au 30 juin 1991 c'était M. Z... qui avait continué personnellement à gérer notamment le compte d'André X... et que les options prises jusqu'à cette date ne pouvaient en conséquence être imputées au demandeur, en l'absence de preuve d'une immixtion personnelle de sa part, mais en outre que, s'agissant de la gestion du portefeuille notamment de ce client, après le 30 juin 1991, il n'était pas établi qu'il eût dépassé les limites de ses mandats en sorte qu'il devait être relaxé de ce chef, ce dont il résultait nécessairement que le prévenu n'avait pu se rendre coupable d'abus de confiance postérieurement au 25 février 1991 puisque, de cette date jusqu'au 30 juin 1991, ce n'était pas lui qui avait géré le compte en question et que, par ailleurs, à partir de cette dernière date, il n'avait pas dépassé les limites de son mandat et devait donc être relaxé du chef d'abus de confiance, la cour d'appel ne pouvait le retenir dans les liens de la prévention sans omettre de tirer les conséquences légales de ses propres constatations ;

"alors que, d'autre part, le prévenu étant présumé innocent, il appartient à la partie poursuivante d'établir l'existence de tous les éléments constitutifs de l'infraction ; qu'en l'espèce il incombait à la prévention de démontrer qu'après le 25 février 1991 le demandeur aurait géré le compte d'André X... sans avoir reçu de mandat de sa part ; qu'en retenant que le fait pour ce client d'avoir reçu après - le 31 mars 1991 des avis d'opérations ne permettait pas de considérer qu'il avait renoncé à l'interdiction contenue dans son courrier du 25 février 1991, que le premier juge avait inversé la charge de la preuve en énonçant que le défaut de protestation d'André X... faisait présumer son accord pour la reprise des opérations bien qu'il eût existé un écrit exempt d'ambiguïté, et qu'il revenait au prévenu d'établir, autrement que par des affirmations, que le client était revenu sur sa décision, la cour d'appel a méconnu la présomption d'innocence et inversé le fardeau de la preuve ;

"alors que, enfin, en matière pénale comme en matière commerciale, la réception sans protestation de relevés d'opérations bancaires fait présumer que celles-ci ont été réalisées avec l'accord du client ; qu'en présupposant que le premier juge avait inversé la charge de la preuve en énonçant que le défaut de protestation d'André X... faisait présumer son accord pour la reprise des opérations, la cour d'appel a entaché sa décision d'une erreur de droit" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Pierre Y..., directeur de la société de bourse Ducatel-Duval a créé, en septembre 1987, la société Occidentale financière (OF), dont il était président, en vue de gérer les portefeuilles de valeurs mobilières de sa clientèle privée ; que la Commission des opérations de bourse, enquêtant en 1992 sur les activités de la société OF, a constaté de nombreuses irrégularités, notamment, dans la gestion des comptes de la clientèle, qui l'ont conduite à retirer l'agrément donné à cette société et à saisir le procureur de la République ; que plusieurs clients dont les portefeuilles avaient subi d'importantes pertes à partir de 1990, ont alors déposé plainte pour abus de confiance ;

Qu'à la suite de l'enquête ordonnée par le procureur de la République, Pierre Y... a été poursuivi devant la juridiction correctionnelle, notamment, pour abus de confiance ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de ce chef au préjudice des époux X..., les juges du second degré relèvent que, par lettre du 25 février 1991, adressée à "l'Occidentale financière Ducatel-Duval, à l'attention de Pierre Y...", André X... a fait "interdiction jusqu'à nouvel ordre, de procéder à une opération quelconque sur son portefeuille" et constatent qu'à la suite de cette interdiction les opérations ont cessé jusqu'au 31 mars 1991, sauf écritures de liquidation, mais ont ensuite repris jusqu'au 31 décembre 1991, en générant une perte supplémentaire de 467 967,34 francs ; que les juges ajoutent que "Pierre Y... a consciemment et volontairement outrepassé son mandat" ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, tout en relevant, par ailleurs, que du 1er janvier 1990 au 30 juin 1991, le prévenu n'avait pas personnellement géré les comptes d'André X... et que postérieurement à cette date, les choix qu'il avait faits "ne sont pas d'une imprudence telle qu'on puisse en déduire que Pierre Y... ne pouvait qu'avoir conscience, en les pratiquant, d'effectuer des opérations hasardeuses et de dépasser les limites de ses mandats" la cour d'appel, qui ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, déclarer le prévenu coupable d'abus de confiance, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qu'elles imposaient ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 16 mars 2000, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.