Cass. crim., 20 novembre 1989, n° 88-85.720
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella
Rapporteur :
M. Hecquard
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Waquet et Farge, SCP Rouvière, Lepitre et Boutet
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 408 du Code pénal, 1134 du Code civil, 2, 3 du décret du 5 mars 1949, modifié par le décret du 11 octobre 1966, 2, 3 du décret du 28 décembre 1950, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que la cour d'appel a estimé qu'il existait entre les compagnies Groupe Drouot et Vie Nouvelle et leur agent général, Y..., une convention de compte courant ; qu'en l'absence de l'un des contrats visés à l'article 408 du Code pénal, l'infraction n'était pas constituée et a, en conséquence, relaxé Y... et déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des compagnies ; " aux motifs que si l'article 23, alinéa 2, du décret du 5 mars 1949 portant statut des agents généraux d'assurances n'autorise pas l'agent à se prévaloir de l'indemnité compensatoire pour justifier un déficit de caisse, rien n'empêche ce dernier d'invoquer l'exception de compte courant qui a pu s'instaurer entre les parties et se superposer même de manière tacite et sans forme au contrat de mandat ; que l'existence d'un compte courant tel que défini par la jurisprudence est suffisamment rapportée et qu'il ne s'agissait pas de simples récapitulations de créances réciproques portant sur des opérations qui se succèdent et restent indépendantes les unes des autres et faisant l'objet de règlements séparés ; que l'examen des situations de caisse intitulées pour certaines " arrêté de compte " révèle que les opérations comptables effectuées entre Y... et la compagnie Groupe Drouot étaient enregistrées dans un compte unique dont le solde représentait, après compensation entre les crédits et les débits, ce que l'une des parties devait à l'autre ; qu'en effet, le compte de l'agence était débité des primes émises par la compagnie et crédité des commissions dues à l'agence ; que par ailleurs, les remises réciproques apparaissent démontrées par les bordereaux des opérations comptables mensuelles ; que cela résulte encore du système comptable utilisé aux termes duquel notamment :
- l'agent a bénéficié d'allocations particulières, donc de créances sur la compagnie, qui ont été effectivement créditées,
- l'agent devait retourner au bout de deux mois des quittances impayées qui dès lors lui étaient créditées,
- ou encore toute commission précomptée perçue sur une police qui vient d'être suspendue, annulée ou remplacée ou réduite par anticipation pour quelque motif que ce soit doit être remboursée à la compagnie au prorata des cotisations impayées ;
que la convention de compte courant consiste dans l'inscription dans un compte unique indivisible de toutes les opérations que deux personnes font entre elles, dans la réciprocité des remises avec compensation successive et règlement à la clôture du compte par le paiement de solde ; que les éléments rappelés ci-dessus ne laissent apparemment planer aucun doute et qu'en l'absence de l'un des contrats visés à l'article 408 du Code pénal, l'infraction n'est pas constituée ; " alors, d'une part, que le statut d'ordre public des agents généraux d'assurances spécifiant que l'agent général est un mandataire de la société d'assurances, contrat entrant dans les prévisions de l'article 408 du Code pénal, la cour d'appel ne pouvait, en l'absence de toute autre convention, sans dénaturer les traités de nomination de Y... et violer le décret du 5 mars 1949, affirmer que le prévenu était lié aux compagnies Groupe Drouot et Vie Nouvelle par un contrat de compte courant, échappant comme tel aux prévisions de l'article 408 ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait, pour relaxer le prévenu, estimer que les parties étaient liées par une convention de compte courant, sans constater qu'elles avaient expressément eu la volonté de travailler en compte courant, et qu'un véritable courant en ce sens avait été conclu, les règles de comptabilité appliquées en l'espèce et retenues par les juges du fond pour justifier leur décision n'ayant en réalité que l'apparence d'une telle convention de compte courant " ; Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 408 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2, 3, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ; " en ce que la cour d'appel a estimé que, même en l'absence d'un contrat de compte courant, le délit d'abus de confiance n'était pas constitué ;
" aux motifs qu'à supposer que Y... ne puisse être considéré comme bénéficiaire d'un véritable contrat de compte courant, n'étant qu'un simple mandataire, il appartient aux compagnies de démontrer que le déficit constaté résulte d'un détournement coupable ou d'une dissipation frauduleuse ; qu'à supposer établie la dissipation des fonds, il n'est pas établi que le prévenu ait agi avec une intention frauduleuse ; que ce dernier, qui ne conteste pas que le déficit constaté résultait des prélèvements effectués tant pour les besoins de sa famille que pour les frais généraux de l'agence, soutient que ce déficit ne provient nullement d'agissement frauduleux de sa part ; que cette affirmation n'est nullement contredite, ni par les pièces versées aux débats, ni par les écritures des parties civiles qui ne font qu'affirmer, sans le démontrer, que le détournement n'aurait été commis qu'à partir de fin 1985 ou que le déficit précédemment constaté n'aurait été " assuré " qu'à cette époque ; qu'il apparaît que le solde du compte ressortait depuis le début au débit de l'agent et que cette situation était parfaitement connue du Groupe Drouot ; que ce n'est que le 24 septembre 1985, et pour la première fois, que le solde comptable apparaît avoir été estimé trop important par rapport à l'encaissement, alors que l'attention de l'inspecteur avait été maintes fois attirée sur cette situation par Y... lui-même, alors que ses résultats et son activité lui auraient auparavant valu des félicitations ; que cette situation peut s'expliquer, comme il est prétendu à l'audience sans que cela soit démontré en l'espèce, par une volonté délibérée des compagnies désireuses de se constituer une clientèle qui laissent l'agent sciemment s'engager avec les déficits de caisse, avant d'intervenir en situation de force pour discuter ensuite de l'indemnité compensatrice due par elles alors que, dans un tel mandat, le mandataire peut utiliser des valeurs appartenant au mandant, non pour son profit exclusif personnel, mais pour développer et faire prospérer les affaires communes ; qu'en tout état de cause, une utilisation des fonds à des fins étrangères n'est pas démontrée ; qu'il en résulte que l'intention frauduleuse n'est pas établie ;
" alors, d'une part, que Y... ayant lui-même admis avoir délibérément utilisé les fonds à des fins personnelles, c'est-à-dire à des fins étrangères au mandat qui lui avait été confié par les compagnies d'assurances, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses propres constatations, ne pouvait, sans violer les dispositions de l'article 408 du Code pénal, estimer que le délit n'était pas constitué, l'utilisation faite délibérément des fonds caractérisant à la fois le détournement et l'intention frauduleuse ; alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait, sans contradiction, constater que Y... ne contestait pas que le déficit relevé résultait des prélèvements effectués tant pour les besoins de sa famille que pour les frais généraux de son agence, tout en affirmant par ailleurs qu'une utilisation des fonds à des fins étrangères au mandat confié n'était pas démontrée ; " alors encore que la cour d'appel ne pouvait, pour relaxer Y..., se fonder sur un prétendu débit constant du compte antérieur à 1985 et connu des assureurs, sans répondre aux conclusions des parties civiles faisant valoir et démontrant que ces débits résultaient du système de comptabilité appliqué et étaient totalement étrangers au détournement commis par le prévenu lors de sa démission au moment de son divorce pour faire échapper au partage de communauté la valeur de son portefeuille, qu'il ne pouvait par ailleurs compenser avec sa dette à l'égard des assureurs ; " alors enfin que la cour d'appel ne pouvait affirmer que, dans un tel contrat de mandat, le mandataire pouvait utiliser des valeurs appartenant au mandant pour développer et faire prospérer les affaires communes, sans spécifier comment Y... avait utilisé les fonds litigieux au profit des compagnies d'assurances, et ce d'autant plus que l'intéressé avait admis, dans la reconnaissance de dette signée le 21 mars 1986, avoir utilisé les fonds à des fins personnelles ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que les deux sociétés parties civiles ont cité directement Y..., leur agent général d'assurances devant le tribunal correctionnel pour abus de confiance, lui reprochant d'avoir détourné à leur préjudice une somme globale de 452 823, 62 francs ;
Attendu que pour relaxer Y... des fins de la poursuite, la cour d'appel énonce pour les motifs que l'arrêt précise, qu'il existe en plus du contrat de mandat liant les parties des opérations de compte courant ; qu'elle ajoute que dans le cadre de l'exécution du mandat, le prévenu avait pris soin d'attirer l'attention du groupe des sociétés sur le déficit de son exploitation depuis le début de leurs relations et que dès lors son intention frauduleuse n'était pas établie ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs dont il se déduit en l'espèce l'autorisation donnée par le mandant au mandataire de retenir pour son compte une partie des sommes encaissées, circonstance excluant l'intention frauduleuse, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.