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Décisions

Cass. crim., 23 mars 2016, n° 15-80.513

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Germain

Avocat général :

Mme Guéguen

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Richard

Versailles, du 19 déc. 2014

19 décembre 2014

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-1 du code pénal, 1382 du code civil, 591, 592 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d'extorsion et lui a infligé des sanctions pénales et civiles ;

"aux motifs que, selon les dispositions de l'article 312-1 du code pénal, « l'extorsion est le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contraintes soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque » ; que, selon la plainte de M. Nabil Y..., M. X..., alors adjoint au maire, lui avait plusieurs fois emprunté de l'argent, devenant de plus en plus insistant et menaçant ; qu'à cet égard, il aurait laissé entendre à M. Y... qu'il aurait des problèmes dans son travail, s'il refusait de lui prêter ces sommes ; qu'en outre, M. Y... affirmait être traumatisé et harcelé par M. X... ; que ces affirmations avaient été réitérées à plusieurs reprises devant les services de police ; qu'en outre M. X..., tout en reconnaissant avoir emprunté de l'argent à M. Y..., a toujours nié les accusations de menaces ; que ses allégations étaient corroborées par celles de Mme Françoise Z..., épouse A..., également adjointe au maire, qui laissait entendre que cette affaire aurait été utilisée par M. Frédéric B..., en rivalité avec le prévenu ; qu'il était également rapporté par M. X... des attestations de plusieurs personnes selon lesquelles les relations entre MM. X... et Y... étaient amicales ; qu'en outre, il niait avoir une quelconque autorité hiérarchique sur M. Y... ; que, toutefois que plusieurs autres personnes affirment avoir été témoins d'une pression exercée sur la personne de M. Y... par M. X... ; que M. Salah C..., auditionné le 5 février 2013, déclarait avoir été présent certaines fois où M. X... rodait autour du domicile de M. Y... et que « M. Y... a toujours eu peur de M. X..., de par la fonction qu'il incarnait » ; que M. C... mentionnait également que M. X... avait appelé M. Y... quatre-vingt fois après sa démission ; qu'il avait également été établi que M. C... avait déclaré en 2009 être victime de menaces de la part de M. X... sur son lieu de travail ; qu'en outre, d'autres personnes ont confirmé la peur de M. Y... à l'égard de M. X... ; qu'à ce titre, le maire de Saint-Cyr-l'Ecole, M. Bernard D..., indiquait dans son audition du 25 janvier 2013, que « M. Y... semblait terrorisé » ; qu'il en était de même pour Mme Sonia E..., épouse F..., qui affirmait que « M. Y... avait peur mais refusait de déposer plainte parce qu'il avait peur de perdre son travail » et qu'elle l'avait vu en larmes suite à ces faits ; que Mme Francine G... corroborait ces versions, indiquant que « M. Y... m'a dit avoir eu très peur et avoir quitté son domicile pour aller se réfugier au théâtre qu'il était en pleurs » ; que, de surcroît, Mme Lydie H..., évoquant le soir de la démission de M. X..., déclarait que M. B... avait indiqué que M. Y... « s'était réfugié au gymnase, s'était enfermé parce qu'il avait peur de M. X... qui était venu le menacer chez lui (..) » et que, sur place, ils avaient découvert « M. Y... apeuré, tremblant », n'osant pas parler de peur d'avoir des problèmes ; qu'en outre, le fait que M. X..., adjoint au maire, n'exerçait pas, au moment des faits, d'autorité hiérarchique officielle sur M. Y... n'est pas en soi de nature à exclure l'existence du sentiment de contrainte morale que la victime pouvait ressentir, dès lors que celui-ci, compte tenu de son état de fragilité, signalé par plusieurs témoins et constaté par la cour, lors de l'audience, pouvait croire à l'existence d'une telle autorité ; qu'il résulte de ce qui précède que M. X... a véritablement usé de l'ascendant qu'il exerçait sur M. Y... et a maintenu, durant ces années, une pression morale sur ce dernier pour obtenir satisfaction, sans craindre que celui-ci dénonce son comportement à des tiers ; que selon la plainte de M. Y... et de ses déclarations ultérieures, le but poursuivi par M. X... était la remise de fonds, il affirmait que ce dernier lui avait emprunté la somme de 35 740 euros, soit en numéraire, soit en lui faisant payer directement ses factures ; que, dans ses conclusions, il évalue la somme totale de ces remises à la somme de 49 000 euros ; que, même s'il nie l'état de dépendance et les pressions répétées exercées sur son interlocuteur, M. X... ne conteste pas, quant à lui, avoir emprunté des sommes d'argent à M. Y... ; qu'il en résulte qu'il s'est bien fait remettre des fonds par M. Y... ; que l'élément matériel de l'infraction est donc établi ; que, s'agissant de l'élément moral du délit d'extorsion, il découle des circonstances, telles que relatées plus haut, des déclarations des diverses personnes entendues et des moyens mis en oeuvre par M. X... ; qu'en effet, le prévenu ne pouvait ignorer qu'en usant, de manière répétée, d'un tel comportement sur la personne de M. Y..., il allait obtenir, sous la contrainte et au moyen de la pression morale qu'il exerçait sur celui-ci, le versement de sommes d'argent ; qu'en outre, il ressort de l'audition de M. B... du 7 juin 2012, mais aussi d'autres témoignages, qu'il était connu que M. Y..., modeste employé de la mairie, était timoré et que M. X..., adjoint au maire, avait des problèmes financiers ; que, de surcroît, l'intention ressort également de la visite de M. X... à M. Y..., la veille de la réunion avec le maire, lui demandant de donner une autre version des faits ; qu'il en ressort que l'infraction est constituée en tous ses éléments ; que le jugement entrepris sera donc infirmé sur la déclaration de culpabilité ; que, s'agissant de la sanction à prononcer, la mention « néant » figure sur le casier judiciaire de M. X... ; que, toutefois, il ressort des pièces, et notamment de la main courante de M. C... et des déclarations du maire, M. D..., que d'autres employés ressentaient une pression de la part de M. X... ; qu'en outre, au vu de la nature de l'infraction commise sur une personne, choisie pour sa fragilité et son lien de dépendance sociale, sinon hiérarchique, de sa persistance, et de la personnalité de M. X..., il sera prononcé à son encontre un peine d'emprisonnement de six mois avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve, d'une durée de deux ans, avec obligation de réparer le préjudice subi par la partie civile ;

"1°) alors que, dès lors que les juges du fond ont formellement constaté que des remboursements étaient intervenus révélant l'existence de prêts, ils devaient rechercher si, les prêts faisant naître des créances dans le patrimoine de M. Y..., cette circonstance, faute de dépouillement, n'excluait pas l'extorsion, que faute de se prononcer sur ce point, les juges du fond ont affecté leur décision d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés ;

"2°) alors que, et en tout cas, si les juges du fond ont analysé les différents éléments figurant au dossier, ils se sont contentés de retenir in fine l'usage d'un ascendant de la part de M. X..., croyance de M. Y... à l'existence d'une autorité hiérarchique ; que, toutefois, l'extorsion, par voie de contraintes, suppose non pas seulement l'existence d'un état, quel que soit le ressentiment de la victime, mais l'existence d'actes positifs de la part du prévenu ; que faute d'avoir caractérisé la contrainte, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, que M. X..., qui, à l'époque des faits, était adjoint au maire de Saint-Cyr-l'Ecole, a été poursuivi du chef d'extorsion de fonds commise au préjudice de M. Y..., fonctionnaire territorial ; que le tribunal l'a relaxé par une décision dont le ministère public et la partie civile ont relevé appel ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer le prévenu coupable des faits reprochés, l'arrêt relève qu'il a, à plusieurs reprises, emprunté des sommes d'argent à M. Y... en le menaçant de lui causer des difficultés professionnelles en cas de refus ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que le fait de se faire remettre des fonds sous la contrainte, fût-ce à titre de prêt, constitue une extorsion, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-1 du code pénal, 1382 du code civil, 591, 592 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... à payer à M. Y... la somme de 32 500 euros au titre du préjudice matériel, ensemble la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral ;

"aux motifs que M. Y... affirme que M. X... ne lui aurait pas remboursé les sommes empruntées et que certains de ses chèques sont revenus impayés ; qu'il estime que la somme totale prêtée à M. X... s'élève à 49 000 euros ; que, de l'examen des pièces remises par la partie civile et de ses écritures, il ressort que M. X... ne l'aurait remboursé qu'à hauteur de 13 260 euros, soit un solde dû de 35 740 euros ; que, toutefois, M. X... a versé au débat vingt-six chèques à l'ordre de M. Y..., d'un montant total de 14 400 euros ainsi que trois chèques de 500 euros et un chèque de 600 euros, régularisés ultérieurement ; qu'il en résulte que, selon ce décompte, M. X... lui aurait remboursé 16 500 euros ; que M. X... devrait encore rembourser la somme 32 500 euros ; que la cour retiendra donc cette somme ; qu'en outre M. Y... sollicite le paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts légaux à compter de la décision à intervenir, en réparation de son préjudice moral ; qu'il ressort de l'enquête et de l'audience que M. Y... était sous pression permanente, ayant peur que l'affaire soit rendue publique ; qu'il était également décrit comme impressionnable face à M. X... ; qu'à l'évidence, il a subi un préjudice moral du fait des agissements de M. X... ; que, compte tenu de la gravité des faits et de l'impact qu'ils ont eus sur la partie civile, qui les a vécus durant de longs mois, il sera fait droit à la demande formulée ;

"alors que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit pour quiconque ; qu'à cet effet, il appartient aux juges du fond, dès lors qu'il en admette le principe, de rechercher l'étendue du préjudice subi par la victime ; que, par suite, avant de se prononcer sur le préjudice matériel et de déterminer les sommes qui avaient été remboursées, les juges du fond se devaient de rechercher quel avait été le montant des sommes prêtées par la victime ; qu'en faisant simplement état d'une allégation de la victime en énonçant que M. Y... « estime que la somme totale prêtée à M. X... s'élève à 49 000 euros », les juges du fond ont à tout le moins privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;

Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour M. Y... de l'infraction, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.