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Décisions

Cass. com., 10 novembre 2015, n° 14-18.179

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Piwnica et Molinié

Aix-en-Provence, du 20 mars 2014

20 mars 2014

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X... que sur le pourvoi incident relevé par la société Urbat et la société Les Terrasses de l'hippodrome ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 mars 2014), que la société Urbat promotion (la société Urbat), souhaitant réaliser une opération immobilière, pour laquelle elle a constitué la société civile de construction vente Les Terrasses de l'hippodrome, a obtenu un permis de construire que la société à responsabilité limitée G sport international (la société G sport), dont M. X... était le gérant associé, a attaqué devant le tribunal administratif ; que la société Urbat, constatant que ce recours avait été rejeté pour défaut d'intérêt à agir et, estimant que la société G sport n'avait été constituée qu'à seule fin de contester le permis de construire et de monnayer un éventuel désistement, a assigné celle-ci afin d'obtenir son annulation ainsi que sa condamnation, avec M. X..., à lui verser des dommages-intérêts ; que la société G sport a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de juger qu'il a commis une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions de gérant alors, selon le moyen :

1°/ que le gérant d'une société à responsabilité limitée est personnellement responsable envers les tiers des fautes commises dans sa gestion, lorsqu'elles sont séparables de ses fonctions sociales ; qu'engage sa responsabilité à ce titre le gérant qui commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions ; que pour condamner M. X... personnellement, la cour d'appel s'est bornée à constater que le recours contre le permis de construire introduit par la société G sport avait été rejeté ; qu'en n'expliquant pas en quoi ce rejet pouvait constituer une faute d'une particulière gravité de nature à engager la responsabilité personnelle de son gérant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22, alinéa 1er, du code de commerce ;

2°/ que pour retenir une faute séparable de ses fonctions sociales, la cour d'appel a retenu « l'introduction intentionnelle » par M. X... de recours contre d'autres projets de construction ; qu'en n'indiquant pas en quoi il résultait de ces recours que M. X... avait agi « nécessairement à des fins d'enrichissement personnel », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 223-22, alinéa 1er, du code de commerce, et 1382 du code civil ;

3°/ que la cour d'appel a constaté que la société G sport avait une véritable activité et n'avait pas été constituée à seule fin de monnayer le désistement de recours en justice ; qu'en énonçant cependant, pour considérer que M. X... avait commis une faute séparable de ses fonctions sociales et le condamner personnellement, qu'il avait usé de « moyens frauduleux » ; la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 223-22, alinéa 1er, du code de commerce ensemble l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que le recours engagé par M. X..., au nom de la société G sport, à l'encontre du permis de construire de la société Urbat, a été déclaré irrecevable, pour défaut d'intérêt à agir, en première et seconde instance, et a donné lieu à une décision de non-admission devant le Conseil d'Etat, outre une condamnation à payer une amende civile, et qu'il a été définitivement jugé que le projet immobilier de la société Urbat n'avait aucune répercussion sur l'existence et le fonctionnement de la société G sport ; qu'il relève que d'autres recours similaires contre d'autres projets ont connu le même sort ; qu'il en déduit que M. X..., en engageant de multiples recours étrangers à l'objet et l'intérêt de la société, a nécessairement agi dans un but d'enrichissement personnel et a ainsi commis, à l'égard de la société Urbat, une faute intentionnelle d'une particulière gravité, séparable de ses fonctions de gérant ; que par ces constatations et appréciations, dont elle n'a pas méconnu les conséquences légales, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et, sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que la société Urbat et la société Les Terrasses de l'hippodrome font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'annulation de la société G sport alors, selon le moyen :

1°/ que la nullité d'une société peut résulter d'une disposition expresse du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent la nullité des contrats ; qu'il en est ainsi lorsque l'objet réel de la société est illicite ; qu'en affirmant cependant, pour débouter la société Urbat promotion de sa demande en nullité de la société G sport international, que la nullité d'une société ne pouvait avoir une cause autre que les cas énumérés par l'article 11 de la directive européenne du 9 mars 1968, repris par l'article 12 de celle du 16 septembre 2009, au nombre desquels figure le caractère illicite ou contraire à l'ordre public de l'objet statutaire, et non de l'objet réel, la cour d'appel a violé l'article L. 235-1 du code de commerce ;

2°/ que la nullité d'une société peut être prononcée en cas de fraude à laquelle ont concouru tous les associés ; qu'en déboutant la société Urbat de son action en nullité de la société G sport, au motif qu'il ne pouvait être conclu de manière certaine que cette dernière n'avait été constituée qu'en vue d'opération de chantage à l'introduction et au maintien de recours, tout en constatant que les associés de la société G sport avaient nécessairement agi à des fins d'enrichissement personnel par des « moyens frauduleux », faisant ainsi ressortir que cette société avait été constituée à des fins frauduleuses de sorte qu'elle encourait la nullité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 235-1 du code de commerce ;

3°/ qu'en affirmant, pour débouter la société Urbat de sa demande en nullité de la société G sport international, qu'il ne pouvait être conclu de manière suffisamment certaine que la société G sport international n'avait eu aucune activité réelle et n'avait été constituée qu'en vue d'opérations de chantage à l'introduction et au maintien de recours, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette absence d'activité réelle ressortait nécessairement d'une existence juridique artificielle et d'une vie sociale inexistante, limitée à deux assemblées générales ordinaires de transfert de siège social, préalable nécessaire aux nombreux recours abusifs initiés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 235-1 du code de commerce ;

4°/ qu'en affirmant, pour débouter la société Urbat promotion de sa demande de nullité de la société G sport international, que compte tenu des chiffres révélés par les bilans, il ne pouvait être conclu de manière suffisamment certaine que la société G sport international n'avait eu aucune activité réelle et n'avait été constituée qu'en vue d'opérations de chantage à l'introduction et au maintien de recours, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le fait que les chiffres portés sur les bilans n'étaient corroborés par aucune pièce comptable ni document contractuel était de nature à faire ressortir l'absence d'activité réelle de la société G sport international, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 235-1 du code de commerce ;

Mais attendu qu'il résulte des dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l'article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l'article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, tel qu'interprété par l'arrêt de la Cour de justice de l'union européenne du 13 novembre 1990, (Marleasing SA/Comercial Internacional de Alimentación SA, C-106/89) que la nullité d'une société tenant au caractère illicite ou contraire à l'ordre public de son objet doit s'entendre comme visant exclusivement l'objet de la société tel qu'il est décrit dans l'acte de constitution ou dans les statuts ; qu'après avoir rappelé l'objet statutaire de la société G sport, l'arrêt relève que la société Urbat soutient que cette dernière n'a pas d'activité propre et n'a été constituée qu'en vue d'opérations de chantage par l'introduction de recours ; que par ces seuls motifs, dont il résulte que la société Urbat soutenait que la société G sport était nulle en raison du caractère illicite, non de son objet statutaire, mais de son objet réel, et abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par les trois dernières branches, le rejet de la demande se trouve justifié ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident.