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Décisions

Cass. com., 28 janvier 2003, n° 00-12.149

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Garnier

Avocats :

SCP Thomas-Raquin et Benabent, SCP Delaporte et Briard, SCP Masse-Dessen et Thouvenin

Paris, du 8 déc. 1999

8 décembre 1999

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Hesston Braud, actuellement dénommée New Holland Braud et la société Fiat Agri France actuellement dénommée New Holland France, aux droits desquelles se trouvent la société CNH France (les sociétés New Holland) , respectivement propriétaire et licenciée d'un brevet français déposé le 7 avril 1977, intitulé "procédé de bottelage et ramassage-presse correspondante", ont poursuivi judiciairement en contrefaçon de la revendication n° 52 de ce brevet, la société Rivierre Casalis, filiale de la société Renault agriculture, aux droits de laquelle se trouve la société X... France, actuellement dénommée Kverneland Orléans (société X...) ; que par arrêt du 8 novembre 1989, la cour d'appel a rejeté la demande d'annulation de la revendication, a déclaré la société X... coupable de contrefaçon du brevet, lui a fait interdiction de poursuivre la commercialisation des machines contrefaisantes et avant dire droit a ordonné une expertise sur l'évaluation du préjudice ; que le 16 février 1990, les parties ont conclu une "transaction" aux termes de laquelle la société X... acceptait de verser aux sociétés New Holland une indemnité de 10 227 220 francs pour tous dommages, pertes et dépenses supportées par celles-ci jusqu'à la date du "jugement" et (notamment afin d'éviter les dépenses liées à la nouvelle procédure visant à établir le montant du préjudice résultant de la contrefaçon) ; que pour permettre à la société X... de poursuivre la fabrication et la vente des machines, la société New Holland Braud lui a consenti une licence non exclusive d'exploitation du brevet, moyennant le versement d'une redevance ; que la cour d'appel, dans une procédure opposant les sociétés New Holland à un autre contrefacteur, a, par arrêt du 24 janvier 1995 devenu irrévocable après rejet du pourvoi, annulé la revendication n° 52 du brevet pour défaut d'activité inventive ;

qu'invoquant l'effet absolu de cette annulation, la société X... a mis en demeure les sociétés New Holland de lui restituer les sommes versées en exécution du protocole d'accord puis les a assignées en nullité de celui-ci ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par les sociétés New Holland, pris en sa première branche :

Attendu que les sociétés New Holland font grief à l'arrêt d'avoir déclaré nul le contrat de licence qu'elles ont consenti le 16 février 1990 à la société X..., alors, selon le moyen, que si la décision d'annulation d'un brevet a un effet absolu, elle n'autorise pas le tiers déclaré contrefacteur par un précédent arrêt à remettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à celui-ci ; que la transaction conclue après cet arrêt pour lui permettre, au moyen d'une licence prévoyant le paiement de redevances, d'échapper à la mesure d'interdiction prononcée n'est donc privée ni d'objet ni de cause par l'annulation ultérieure du brevet, qui n'annule pas la mesure d'interdiction que cette transaction avait pour objet d'écarter ; qu'en déclarant cet accord nul pour défaut d'objet, la cour d'appel a violé ensemble les articles L 613-27 du Code de la propriété intellectuelle, 480 du nouveau Code de procédure civile et 1126 et suivants du Code civil ;

Mais attendu, qu'aux termes de l'article L 613-27 du Code de la propriété intellectuelle, la décision d'annulation d'un brevet a un effet absolu ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a prononcé l'annulation du contrat de licence portant sur le brevet, consenti par les sociétés New Holland à la société X..., peu important la transaction antérieure à l'annulation du titre, ayant autorisé cette société à poursuivre la commercialisation des produits couverts par le brevet ;

que ce moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident relevé par la société Renault agriculture, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Renault agriculture reproche à l'arrêt d'avoir validé la transaction du 16 février 1990 et refusé la restitution des sommes versées à ce titre, alors, selon le moyen :

1 ) qu'un arrêt annulant un brevet postérieurement à une transaction y relative, est un titre nouvellement découvert permettant de constater qu'une des parties à la transaction n'avait aucun droit au sens de l'article 2057, alinéa 2, du Code civil, qui impose l'annulation de la transaction dans ce cas ; qu'en décidant au contraire que l'arrêt du 24 janvier 1995 qui a annulé le brevet n'existait pas à la date de la transaction en 1990 et ne saurait être assimilé à un titre nouvellement découvert de nature à remettre en cause la transaction, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2 ) qu'en tout état de cause, on ne peut transiger sur les matières qui intéressent l'ordre public ; que dès lors en l'espèce, en validant une transaction portant sur la nullité d'un brevet, matière qui intéresse l'ordre public, la cour d'appel a violé l'article 2046 du Code civil ;

3 ) qu'en vertu de l'article 1351 du Code civil, il ne peut y avoir autorité de la chose jugée en l'absence d'identité des demandes ;

que dès lors, qu'ayant constaté qu'il n'y avait pas d'identité d'objet entre l'objet de la demande ayant donné lieu à l'arrêt du 8 novembre 1989 et celui de la présente instance, la cour d'appel qui a décidé que la demande de restitution des sommes réglées dans le cadre de la transaction remettait en cause les effets résultant de l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt, a violé le texte susvisé ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la transaction avait eu pour objet de mettre fin au litige concernant les conséquences pécuniaires résultant de l'arrêt ayant condamné la société X... pour contrefaçon de brevet ; que c'est à bon droit, dès lors que la transaction ne portait pas sur la nullité du brevet comme allégué à la deuxième branche, et que l'arrêt rendu en 1995 ne constituait pas un titre nouvellement découvert, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée, a statué comme elle a fait, peu important l'annulation ultérieure de la revendication n° 52 du brevet ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par la société X..., pris en ses deux branches :

Attendu que la société X... reproche à l'arrêt d'avoir déclaré valable la transaction ayant mis fin au différend ayant opposé les parties sur les conséquences pécuniaires d'un arrêt ayant retenu des actes de contrefaçon, alors, selon le moyen :

1 ) que le jugement qui se borne dans son dispositif à ordonner une mesure d'instruction ou une mesure provisoire n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée ; qu'en affirmant que la demande en restitution de l'indemnité transactionnelle pour contrefaçon se heurtait à des dispositions définitives concernant la réparation du préjudice subi, quant cette question n'avait fait l'objet que d'une mesure d'instruction, la cour d'appel a violé l'article 480 du nouveau Code de procédure civile ;

2 ) que toute transaction peut être rescindée si elle a été faite en exécution d'un titre nul ; qu'en omettant de vérifier ainsi qu'elle y était invitée, que la question d'annulation du brevet sur le fondement duquel les parties avaient transigé était de nature à justifier l'anéantissement de la transaction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2054 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt qui tranche au principal une partie du litige a autorité de la chose jugée ; qu'ayant relevé que la transaction avait eu pour objet l'exécution de l'arrêt de 1989, lequel avait condamné la société X... pour contrefaçon d'une revendication du brevet et n'avait ordonné une mesure d'instruction que pour évaluer le montant du préjudice en résultant, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu la validité de la transaction portant sur les conséquences pécuniaires de la condamnation, peu important l'annulation partielle ultérieure du brevet ;

que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi principal :

Vu les articles L 613-27 du Code de la propriété intellectuelle et 1134 du Code civil ;

Attendu que pour ordonner la restitution des redevances versées par la société X... en exécution du contrat de licence annexé à la transaction du 16 février 1990, l'arrêt relève que l'effet absolu attaché à l'annulation du brevet entraîne l'annulation des concessions de licence portant sur ce titre pour défaut d'objet ; qu'il en déduit que l'avantage retiré par la société X... du contrat de licence ne saurait faire échec à la restitution des redevances versées ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'invalidité d'un contrat de licence résultant de la nullité du brevet sur lequel il porte, n'a pas, quelque soit le fondement de cette nullité, pour conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions ayant ordonné la restitution des redevances dues en exécution du contrat de licence antérieurement au prononcé de l'annulation du brevet, l'arrêt rendu le 8 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société X... France, aux droits de laquelle vient la société Kverneland Orléans ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par Mme Garnier conseiller le plus ancien qui en a délibéré, en remplacement du président l'audience publique du vingt-huit janvier deux mille trois.