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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 10 octobre 2017, n° 16/00220

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

CINQUARRE (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. GREINER

Conseiller :

M. BALAY

ribunal de Grande Instance de BONNEVILLE…

3 février 2016

EXPOSÉ DU LITIGE

M. Romuald M. et Mme Corinne M. épouse M. sont titulaires d'un bail commercial pour des locaux situés à Amancy (Haute-Savoie), appartenant à la SCI Cinquarre, dans lesquels ils exploitent un fonds de commerce de boulangerie - pâtisserie. Le bail, qui a pris effet le 1er avril 2009 pour se terminer le 31 mars 2018, fixe le loyer annuel à 9.000 euros H.T. révisable à chaque période triennale à la demande de l'une ou l'autre des parties.

Par arrêtés successifs, le propriétaire bailleur a sollicité et obtenu, courant 2013, l'autorisation de construire, sur le même tènement immobilier, un nouveau bâtiment à usage commercial, et de démolir le bâtiment existant. Une proposition amiable a été faite aux époux M. de transférer leur fonds de commerce dans le nouveau bâtiment avec la signature d'un nouveau bail. Les parties ne sont pas parvenues à un accord, les conditions posées par chacune des parties ne recueillant pas le consentement de l'autre. M. et Mme M. ont donc poursuivi l'exploitation dans le bâtiment ancien, dont la démolition a été menée, à l'exception de leur local.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 février 2014, M. et Mme M. ont mis en demeure la SCI Cinquarre d'interrompre les travaux de démolition et de rétablir la jouissance paisible des lieux loués, notamment s'agissant de l'aspect, la consistance et la visibilité du bâtiment depuis la voie publique, ainsi que son accessibilité.

Le 12 mars 2014, une explosion de gaz accidentelle est survenue dans le local commercial des époux M.. Ceux-ci ont alors fait assigner la SCI Cinquarre devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bonneville pour obtenir l'interruption des travaux de démolition, la remise en état des lieux avec paiement d'une provision et que soit ordonnée une expertise portant à la fois sur les causes et conséquences de l'explosion, et sur les conditions de relogement qui leur sont proposées en chiffrant les indemnités pouvant être dues au preneur en application des articles L. 145-18 du code de commerce en cas de relogement, et L. 145-14 en cas d'éviction.

Par ordonnance rendue le 17 avril 2014, le juge des référés a :

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'interruption immédiate des travaux de démolition,

- ordonné au bailleur de restaurer la consistance des lieux permettant l'exploitation paisible du fonds de commerce ensuite de l'explosion du 12 mars 2014, sous astreinte,

- rejeté les demandes de provision et celle tendant à une expertise portant sur l'application des dispositions des articles L. 145-14 et L. 145-18 du code de commerce en l'absence de congé délivré par le bailleur,

- ordonné une expertise sur les causes et conséquences de l'explosion du 12 mars 2014.

L'expert désigné, M. C., a établi son rapport le 2 février 2015. Cette partie du litige a fait l'objet d'une instance distincte dont la cour n'est pas saisie.

Par acte du 22 septembre 2014, la SCI Cinquarre a fait délivrer à M. et Mme M. un commandement visant la clause résolutoire insérée au bail, avec mise en demeure de procéder à des travaux de mise en conformité des locaux (sécurité des installations de gaz, d'électricité, ventilation et protection contre le risque d'incendie). Il n'a pas été donné suite à ce commandement dont les termes ont été immédiatement contestés par les preneurs.

Par acte du 30 septembre 2014, la SCI Cinquarre a fait délivrer à M. et Mme M. un congé, prenant effet le 31 mars 2015, avec offre d'un nouveau bail sur un local équivalent dans le nouveau bâtiment, pour un loyer annuel de 32.532 euros H.T.

C'est dans ces conditions que, par acte du 22 décembre 2014, M. et Mme M. ont fait assigner la SCI Cinquarre devant le tribunal de grande instance de Bonneville aux fins de la voir, à titre principal, condamnée au paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-14 du code de commerce, avec expertise préalable, et subsidiairement au paiement d'une indemnité compensatrice de privation temporaire de jouissance et de la moins-value du fonds de commerce en cas de déménagement. Ils ont également contesté le montant du loyer proposé.

La SCI Cinquarre s'est opposée aux demandes et a indiqué accepter de ramener le montant du loyer à la somme de 22.600 euros H.T. proposée par l'expert M. F. qu'elle a elle-même missionné. Elle a sollicité à titre reconventionnel la condamnation des preneurs à lui payer des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Par jugement contradictoire rendu le 3 février 2016, le tribunal de grande instance de Bonneville a :

- constaté la régularité de forme et de fond du congé délivré par la SCI Cinquarre à M. et Mme M. le 30 septembre 2014,

- constaté que le nouveau local proposé en relogement est conforme aux exigences légales,

- débouté M. et Mme M. de leur demande d'expertise,

- fixé le montant de la valeur locative du bail commercial renouvelé pour le nouveau local à la somme de 10.900 euros hors taxes par an, à compter de l'installation effective de M. et Mme M. dans les lieux,

- condamné en tant que de besoin M. et Mme M. à payer cette somme à la SCI Cinquarre,

- condamné la SCI Cinquarre à rembourser M. et Mme M. des frais engagés au titre du déménagement et de l'emménagement dans le nouveau local,

- dit que le locataire devra justifier des dépenses engagées par la production des factures afférentes,

- dit que le locataire devra présenter sa demande de remboursement au bailleur par courrier recommandé avec accusé de réception, au plus tard dans un délai de trois mois suivant l'entrée effective dans les nouveaux locaux,

- dit que le bailleur sera tenu au remboursement des montants engagés, dans un délai de trois mois à compter de la demande du locataire (date de première présentation de l'AR),

- débouté la SCI Cinquarre de sa demande de dommages et intérêts,

- condamné la SCI Cinquarre à payer à M. et Mme M. la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé chaque partie supporter la charge de ses dépens.

Par déclaration du 8 février 2016, M. et Mme M. ont interjeté appel de ce jugement.

L'affaire a été clôturée à la date du 26 juin 2017 et renvoyée à l'audience du même jour, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 10 octobre 2017.

Par conclusions notifiées le 7 juin 2017, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme et M. M. demandent en dernier lieu à la cour de :

- vu les dispositions des articles L. 145-14 et suivants, et L. 145-56 et suivants du code de commerce,

- déclarer leur appel recevable et bien fondé et ce faisant, réformant la décision entreprise,

au principal,

- dire et juger que le bailleur ne saurait se prévaloir du régime d'exonération d'indemnité d'éviction prévu par les dispositions de l'article L. 145-18 du code de commerce, dès lors qu'il n'a ni envisagé, ni engagé la reconstruction de l'immeuble actuellement objet du bail litigieux, mais qu'il a procédé à la construction d'un immeuble différent de celui existant qui n'entre pas dans le champ d'application de la disposition précitée,

- en conséquence, dire et juger que le bailleur est tenu au paiement de l'indemnité prévue aux dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce,

subsidiairement,

si la cour devait considérer que le bailleur peut se prévaloir du régime d'exonération de l'indemnité d'éviction de l'article L. 145-18 du code de commerce,

- dire et juger que le local offert par le bailleur ne correspond ni à ses besoins, ni à ses possibilités au sens des dispositions de l'article L. 145-18 alinéa 3 du code de commerce,

- en conséquence, dire et juger que le bailleur ne saurait se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction par application des dispositions de l'article L. 145-18 alinéa 1 du code de commerce,

en tout état de cause,

- désigner un expert, avec pour mission :

' de se rendre sur les lieux pour les examiner et recueillir contradictoirement les explications des parties,

' de procéder au recollement de l'ensemble des éléments propres à déterminer la valeur de l'indemnité d'éviction conformément aux dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce, et de procéder à ladite évaluation par recoupement d'au moins trois méthodes d'évaluation différentes dont il décrira les principes et applications,

' de donner son avis sur les observations formulées par les parties à l'issue de ses investigations, et le cas échéant, de compléter celle-ci,

à titre infiniment subsidiaire,

- ajouter à la mission de l'expert celle de l'examen comparatif des caractéristiques du local offert et du local existant au regard des besoins et possibilités du preneur tels que visés par les dispositions de l'article L. 145-18 alinéa 3 du code de commerce et donner à la cour tous les éléments propres à déterminer si le local offert correspond, ou non, aux besoins et possibilités du preneur,

à titre plus infiniment subsidiaire,

- condamner le bailleur au versement de l'indemnité prévue à l'article L. 145-18 alinéa 4, soit l'indemnité compensatrice de privation temporaire de jouissance et de la moins-value du fonds, outre frais normaux de déménagement et d'emménagement, fixée à dire d'expert,

- ajouter à la mission de l'expert celle de chiffrer les indemnités prévues à l'article L. 145-18 alinéa 4 du code de commerce, dont l'indemnité de relogement, de diminution de la valeur du fonds qui résulterait d'un relogement, et d'un déménagement et emménagement,

en tout état de cause,

- leur donner acte ce qu'ils contestent, en toute hypothèse, le montant du nouveau loyer annuel exigé par le bailleur à 32.532 euros et/ou 22.600 euros et/ou 10.900 euros,

- condamner le bailleur à leur verser la somme de 12.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise à venir, avec distraction pour ceux d'appel au profit de la Selarl C. B..

Par conclusions notifiées le 22 juin 2017, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la SCI Cinquarre demande en dernier lieu à la cour de :

- vu les dispositions des articles L. 145-4 et L. 145-18 du code de commerce et 75 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bonneville du 5 février 2016, sauf s'agissant de la fixation du loyer des locaux offerts,

- constater que la société Cinquarre était bien fondée à entreprendre la démolition du bâtiment dans lequel se trouvent les locaux exploités par M. et Mme M. compte tenu de son état de ruines attesté par M. G.,

- constater également que la société Cinquarre était tenue de décaler le nouveau bâtiment du fait du mauvais état du terrain sur lequel était implanté le bâtiment existant,

- constater que la société Cinquarre a satisfait au formalisme des dispositions des articles L. 145-4 et L. 145-18 du code de commerce,

- dire et juger que la société Cinquarre a proposé à M. et Mme M. un local correspondant à leurs besoins et possibilités situé à un emplacement équivalent, ce qui est étayé par le rapport de M. F.,

- débouter en conséquence M. et Mme M. de leur demande tendant à voir dire qu'il n'aurait pas été satisfait au formalisme de l'article L. 145-18 du code de commerce par la société Cinquarre,

- débouter en conséquence M. et Mme M. de leur demande du paiement de l'indemnité d'éviction,

- les débouter également de leur demande d'expertise tant au titre de la valorisation d'une telle indemnité d'éviction que de l'examen comparatif des caractéristiques du local offert et du local existant au regard des besoins et possibilités du preneur,

- donner acte à la société Cinquarre de ce qu'elle accepte la proposition de fixation du loyer par M. F. à hauteur de 22.600 euros HT par an après avoir déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée pour la première fois en cause d'appel,

- condamner solidairement M. et Mme M. au paiement d'une somme de 10.000 euros pour procédure abusive et totalement injustifiée,

- se voir également condamner solidairement au paiement d'une somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP B.Arnaud B., avocats associés.

MOTIFS ET DÉCISION

En application de l'article L. 145-4 du code de commerce, le bailleur a la faculté de donner congé au preneur à l'expiration d'une période triennale, dans les formes et délai de l'article L. 145-9, s'il entend invoquer les dispositions notamment de l'article L. 145-18, afin de reconstruire l'immeuble existant.

L'article L. 145-18 du même code dispose que le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l'immeuble existant, à charge de payer au locataire évincé l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-14. Toutefois, le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent. Le cas échéant, le locataire perçoit une indemnité compensatrice de sa privation temporaire de jouissance et de la moins-value de son fonds. Il est en outre remboursé de ses frais normaux de déménagement et d'emménagement. Lorsque le bailleur invoque le bénéfice du présent article, il doit, dans l'acte de refus de renouvellement ou dans le congé, viser les dispositions de l'alinéa 3 et préciser les nouvelles conditions de location. Le locataire doit, dans un délai de trois mois, soit faire connaître par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception son acceptation, soit saisir la juridiction compétente dans les conditions prévues à l'article L. 145-58. Si les parties sont seulement en désaccord sur les conditions du nouveau bail, celles-ci sont fixées selon la procédure prévue à l'article L. 145-56.

1/ Sur la validité du congé

En l'espèce, M. et Mme M. font grief au jugement déféré d'avoir considéré que la SCI Cinquarre pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-18 précité pour leur délivrer congé, alors que selon eux le critère de reconstruction posé par le texte n'est pas rempli, faute pour le bailleur de reconstruire le bâtiment existant (s'agissant d'une construction entièrement nouvelle avec une implantation différente).

Toutefois, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a rappelé que la reconstruction, lorsqu'elle est envisagée par le bailleur, ne doit pas nécessairement être réalisée à l'identique et peut consister en un remplacement par construction d'un nouveau bâtiment, même sur un terrain voisin.

En effet, il est constant que la SCI Cinquarre a entrepris la construction d'un nouveau bâtiment, sur le même terrain que celui existant, mais avec une emprise différente. La proximité des deux bâtiments, éloignés de seulement 40 mètres l'un de l'autre, justifie qu'il soit considéré qu'ils s'agit bien d'une reconstruction au sens de l'article L. 145-18 précité. En effet, l'intention du bailleur de démolir l'intégralité du bâtiment existant est incontestable et amplement justifiée par l'état de vétusté avancée de celui-ci, sans compter des problèmes liés à la nature même du sol, sans qu'il soit toutefois nécessaire de justifier d'une décision administrative, celle-ci n'étant prescrite que dans les cas prévus par l'article L. 145-17 du code de commerce qui n'est pas invoqué par les parties. La démolition partielle n'est ici justifiée que par le maintien dans les lieux de M. et Mme M., les autres occupants, qui ont accepté l'offre du bailleur, ont transféré leur activité dans le nouveau bâtiment.

Sur le plan formel, le congé n'est l'objet d'aucune autre critique, il a été délivré dans le délai prescrit à l'article L. 145-9 du code de commerce.

C'est donc à bon droit que le tribunal a jugé le congé régulier.

2/ Sur l'indemnité d'éviction

L'article L. 145-18 du code de commerce précité dispose que le bailleur peut se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent.

Ces dispositions n'imposent pas au bailleur de proposer au preneur un local identique au précédent.

M. et Mme M. font grief au jugement d'avoir rejeté leur demande d'indemnité d'éviction, alors selon eux que le local qui leur est proposé en remplacement ne répond pas à ces critères, celui-ci présentant une surface de vente inférieure, sans vitrine extérieure, la réserve étant à l'étage, tandis que ses caractéristiques extérieures sont très défavorables (absence de visibilité, nombre réduit de places de parking, accès aux livraisons malcommode).

Toutefois, c'est par des motifs pertinents que la cour approuve que le premier juge a, après une analyse complète des pièces produites aux débats, particulièrement des divers plans fournis par le bailleur et du rapport de M. F., missionné par la SCI Cinquarre, retenu que les caractéristiques intérieures du local proposé par le bailleur, après comparaison des surfaces utiles avec le local actuel, et de la disposition des différents espaces, correspondent aux besoins et possibilités des preneurs.

En effet, en termes de surfaces, force est de constater que les preneurs n'ont produit que très tardivement un constat d'huissier avec un certificat de superficie (pièce n° 62) qui ne prend d'ailleurs pas en compte l'intégralité des locaux loués, puisqu'une pièce annexe de 40,48 m² (ancien logement transformé en réserve) n'y est pas mentionnée. Ce document, qui n'apporte rien de nouveau, ne fait que conforter l'analyse du tribunal qui a constaté que les locaux proposés, d'une surface utile de 169,94 m² (portée à 225,92 m² si prise en compte des surfaces sous-pentes d'une hauteur inférieure à 1,80 m), sont d'une taille supérieure aux locaux actuels, d'une surface utile de 163,08 m². Les superficies de chacun des espaces (vente, bureau, laboratoire, réserve, espace de repos...) en fonction de leur usage sont parfaitement comparables. Les surfaces utiles pondérées des deux locaux sont très comparables (87,63 m² pour l'ancien, 89 m² pour le nouveau).

La disposition sur deux étages, qui n'est pas une amélioration par rapport à la situation actuelle, a été à juste titre mise en balance par le tribunal avec le fait que la réserve actuelle ne communique pas directement avec le laboratoire, nécessitant ainsi des manutentions.

Le linéaire de vitrine du nouveau local est effectivement inférieur au local actuel, mais n'apparaît pas, compte tenu des aménagements envisageables proposés par le bailleur (pièces n° 33), comme déterminant.

Les autres griefs des preneurs, relatifs à la prétendue inadaptation à leur activité des équipements intérieurs (chauffage, ventilation notamment), ne sont étayés par aucun élément concret, étant d'ailleurs souligné que le rapport de M. F. fait état d'un chauffage électrique par convecteurs et non d'un chauffage au sol.

Enfin, il n'est pas discutable que les nouveaux locaux, à l'état neuf, présentent sur ce point un indéniable avantage par rapport aux anciens locaux particulièrement vétustes.

Quant aux caractéristiques extérieures comparées des deux locaux, c'est encore à juste titre que le tribunal a, après avoir analysé les photographies et plans produits aux débats, retenu que la visibilité extérieure du nouveau local n'est pas significativement moins bonne que celle du local actuel, les enseignes prévues au permis de construire suppléant pour l'essentiel la situation antérieure.

La zone de stationnement aux abords du commerce n'apparaît pas inférieure à ce qu'elle était précédemment, étant souligné que, lorsque le bâtiment ancien sera complètement détruit, de nouveaux espaces de parking seront libérés, notamment au profit des logements qui ont été construits à proximité, ce qui augmentera le nombre de places disponibles pour les commerces. A cet égard, le constat d'huissier produit par les preneurs en pièce n° 64 ne peut être retenu comme probant car, ainsi que le souligne la SCI Cinquarre, il a été établi à 12h30, soit à une heure où le restaurant voisin est au maximum de son activité. Il n'est pas démontré que, après aménagement définitif des espaces extérieurs (lorsque le bâtiment ancien aura pu être entièrement démoli), ceux-ci seraient insuffisants pour desservir les commerces. En tout état de cause, le bail liant les parties ne prévoyait aucun espace de stationnement réservé à la boulangerie des époux M..

Enfin, et ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le nouveau local se situe sur le même terrain que l'ancien, distant seulement de 40 mètres de ce dernier, et doit dès lors être considéré comme répondant au critère d'emplacement équivalent.

Ainsi, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que le local proposé répond aux critères posés par l'article L. 145-18 du code de commerce et permet au bailleur d'être dispensé du paiement de l'indemnité d'éviction, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise sur ce point.

3/ Sur les conditions du nouveau bail

M. et Mme M. soutiennent, dans leurs conclusions, que le bailleur n'était pas recevable à solliciter la fixation du nouveau loyer et que le tribunal n'avait pas compétence pour fixer le nouveau loyer.

Toutefois, les appelants, qui n'ont pas repris ces exception et fin de non recevoir dans le dispositif de leurs conclusions, n'ont pas soulevé en première instance l'incompétence du tribunal pour statuer sur le montant du loyer réclamé par le bailleur et sont désormais irrecevables à le faire conformément aux dispositions de l'article 74 du code de procédure civile. Concernant l'irrecevabilité prétendue de cette demande elle n'est fondée sur aucun texte et les appelants ne précisent pas l'exception qu'ils soulèvent. La demande en fixation du loyer sera donc déclarée recevable.

En application des dispositions de l'article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1° les caractéristiques du local considéré,

2° la destination des lieux,

3° les obligations respectives des parties,

4° les facteurs locaux de commercialité,

5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Les articles R.145-3 à R. 145-8 du même code précisent la consistance de ces éléments.

Les époux M. font grief au jugement d'avoir retenu la valeur locative proposée par M. F., dont le rapport ne leur est pas opposable faute d'être contradictoire, tandis que la SCI Cinquarre demande que le loyer soit fixé à la somme de 22.600 euros H.T. par an.

Ainsi que l'a justement retenu le tribunal, si le rapport de M. F. n'est pas contradictoire, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un élément de preuve soumis à la discussion des parties qui n'a pas lieu d'être écarté des débats. Il était parfaitement loisible aux époux M., qui en contestent les conclusions, de fournir les éléments de contradiction permettant de remettre sérieusement en cause le travail réalisé par M. F..

Or la lecture de ce rapport et des pièces produites par les parties ne met en évidence aucune incohérence, tant sur la description des locaux et de leur environnement, que sur les éléments de comparaison pris en compte pour l'évaluation de la valeur locative, lesquels apparaissent pertinents. Les appelants ne produisent aucune pièce de nature à contredire ces différents éléments, et particulièrement aucun élément de comparaison.

Ainsi que l'a justement retenu le premier juge, M. F., qui est par ailleurs expert spécialisé en matière immobilière, et particulièrement en baux commerciaux, a pris en compte dans son rapport l'ensemble des critères fixés par les articles R. 145-3 à R. 145-8 du code de commerce.

Il a par ailleurs déterminé la surface utile pondérée, qui doit seule être retenue pour fixer la valeur locative, et non la surface utile brute comme le prétend à tort la SCI Cinquarre. A cet égard, le bailleur prétend que M. F. aurait estimé la valeur locative du nouveau local à 22.600 euros H.T., soit 100 euros / m² de surface utile brute. Or les pièces produites aux débats révèlent que cette évaluation ne ressort aucunement du rapport en lui-même, mais seulement d'une feuille volante ajoutée par le bailleur dans ledit rapport, qui n'en fait donc pas partie. Cette évaluation est d'ailleurs inexacte puisque fondée sur une surface utile totale de 226 m², alors qu'elle n'est que de 169,94 m² (cf. ci-dessus).

Le seul avis de valeur émis par M. F. est celui figurant en page 37 du rapport, qui retient une valeur de 123 euros / m² de surface utile pondérée, soit pour 89 m² de SUP une valeur de 10.900 euros H.T. par an.

Il convient de souligner que les locaux antérieurs, d'une surface utile pondérée de 87,63 m², étaient loués pour une valeur de 103 euros / m² de SUP (soit 9.000 euros H.T. par an), sans que le loyer ait jamais été révisé depuis l'entrée dans les lieux en 2009, ce qui est parfaitement cohérent avec le loyer proposé par M. F. compte tenu des caractéristiques légèrement plus favorables du nouveau local (état neuf, surface utile brute plus importante). Il est d'ailleurs à noter que la construction, pour partie par le bailleur, d'une trentaine de logements neufs à proximité immédiate du fonds de commerce est un élément de commercialité plus favorable que lors de la souscription du bail.

C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu la valeur locative à 10.900 euros H.T. par an, cette valeur correspondant aux possibilités des locataires qui produisent une évaluation du fonds de commerce (pièce n° 17 des appelants) faisant apparaître un chiffre d'affaires de 245.471 euros H.T. pour l'exercice clos au 30 septembre 2013 (en augmentation sur trois exercices) et un résultat net de 9.381 euros.

4/ Sur les autres demandes

M. et Mme M. réclament une indemnité compensatrice de privation temporaire de jouissance fixée à dire d'expert.

Toutefois, pour pouvoir y prétendre, encore faut-il qu'ils aient été effectivement privés de la jouissance de leurs locaux par les travaux de démolition et de reconstruction. Or en l'espèce, il est constant qu'ils ont été maintenus dans les lieux pendant toute la durée des travaux de construction et que le nouveau local est immédiatement disponible, sauf le temps du déménagement.

C'est donc à bon droit que le tribunal les a déboutés de cette demande.

M. et Mme M. réclament encore une indemnité compensatrice de moins-value de leur fonds de commerce.

Toutefois, force est de constater qu'ils ne produisent pas la moindre pièce de nature à justifier la perte de valeur qu'ils allèguent, la seule évaluation qu'ils produisent étant en date du 14 février 2014 (pièce n° 17) qui met en lumière une augmentation du chiffre d'affaires pour les trois exercices précédents, et ne fait état d'aucune perte de valeur du fait du déménagement. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Concernant les frais de déménagement et d'emménagement, le jugement n'est pas critiqué par les parties en ce qu'il a mis ces frais à la charge du bailleur conformément aux dispositions de l'article L. 145-18 du code de commerce.

La SCI Cinquarre a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive qu'elle renouvelle devant la cour.

Toutefois, c'est à juste titre que le tribunal a souligné que les preneurs n'avaient, aux termes des dispositions de l'article L. 145-18 du code de commerce, que deux possibilités: soit accepter la proposition de relogement du bailleur, soit saisir la juridiction compétente, ce qu'ils ont fait. Par ailleurs, l'exercice d'une voie de recours ne dégénère en abus que s'il révèle une faute ou une erreur grave dont la commission a entraîné un préjudice pour le défendeur, ce qui n'est pas démontré en l'espèce.

Le jugement sera donc encore confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCI Cinquarre la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, M. et Mme M., qui succombent à titre principal, supporteront les entiers dépens de l'appel, avec distraction au profit de la SCP B.Arnaud B., avocats associés, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bonneville le 3 février 2016 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit que M. Romuald M. et Mme Corinne M. épouse M. sont irrecevables à soulever l'incompétence du tribunal de grande instance concernant la fixation du loyer du nouveau bail,

Déclare la demande de la SCI Cinquarre en fixation du loyer du nouveau bail recevable,

Déboute la SCI Cinquarre de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive en cause d'appel,

Condamne solidairement M. Romuald M. et Mme Corinne M. épouse M. à payer à la SCI Cinquarre la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne solidairement M. Romuald M. et Mme Corinne M. épouse M. aux entiers dépens de l'appel, avec distraction au profit de la SCP B.Arnaud B., avocats associés, en application de l'article 699 du code de procédure civile.