CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 22 mai 2017, n° 15/02550
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
GIPA (SCI)
Défendeur :
SOCIÉTÉ NOUVELLE ZOUM (SARL), AGA (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. FORCADE
Conseillers :
M. MOULIS, M. MULLER
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte reçu par Maître Bernard T., Notaire à Foix (09), le 21 février 2002, la commune de Foix a vendu à la SCI Gipa un immeuble en état de grande vétusté situé à [...], figurant au cadastre sous le n°583 section C avec une contenance au sol de 33 ca.
Par acte d'huissier en date du 26/04/2012, la SARL société nouvelle ZOUM, indiquant être locataire depuis le 1/08/1992 de divers locaux à usage commercial dans cet immeuble, a demandé à la SCI GIPA le renouvellement de son bail pour une durée de neuf années à compter du 1/07/2012, premier jour du trimestre civil qui suit la demande.
Par acte d'huissier en date du 24/07/2012, la SCI GIPA a fait savoir à la SARL société nouvelle ZOUM qu'elle lui donnait congé pour la date du 31/03/2013 lui exposant que le titre d'occupation résulte de conventions signées avec la commune, qu'elle est depuis devenue propriétaire de l'immeuble qu'elle souhaite démolir pour le reconstruire et qu'elle entendait se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'article L145-18 du code de commerce en offrant un local de remplacement situé [...].
Suivant acte d'huissier du 29 septembre 2012, la SARL société nouvelle ZOUM, qui conteste la validité de ce congé, a saisi le tribunal de grande instance de Foix pour voir constater que la SCI GIPA ne justifie pas le refus de renouvellement au visa de l'article L145-18 du code de commerce, subsidiairement pour voir constater que le local offert n'est pas sa propriété, plus subsidiairement pour voir dire qu'il ne correspond pas à ses besoins et pour voir obtenir une indemnité d'éviction.
Suivant acte notarié du 26/04/2013, la société GIPA revendait à la société AGA l'immeuble litigieux ainsi que des biens limitrophes qui étaient regroupés en un immeuble figurant au cadastre sous les numéros 583,584 et 585 section C.
Il était indiqué dans l'acte que le local commercial qui était loué à la SARL société nouvelle ZOUM était totalement libre à l'initiative de la SCI GIPA suite à une procédure judiciaire engagée par elle.
Par acte d'huissier du 12/03/2014, la SCI GIPA a appelé la société AGA dans la cause.
Par jugement du 29 avril 2015, le tribunal de grande instance a :
- débouté la SARL société nouvelle ZOUM de sa demande de nullité du refus de renouvellement du bail commercial portant sur les locaux sis [...] notifié par la SCI GIPA,
- dit que l'offre de local faite par la SCI GIPA à la SARL société nouvelle ZOUM pour se soustraire à l'indemnité d'éviction ne correspondait pas aux exigences de l'article L 145 - 18 du code de commerce,
- avant dire droit sur la fixation d'une indemnité d'éviction sur le fondement de l'article L145-14 du code de commerce a ordonné une mesure d'instruction confiée à Madame M., expert,
- rejeté la demande de dommages et intérêts de la SCI GIPA au titre du refus de local proposé par la SARL société nouvelle ZOUM,
- réservé les autres demandes de la SARL société nouvelle ZOUM et de la SCI GIPA à la fin de l'instance,
- débouté la SARL société nouvelle ZOUM de ses demandes à l'encontre de la SARL AGA,
- condamné la SARL société nouvelle ZOUM à payer à la SCI GIPA la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL société nouvelle ZOUM aux dépens.
La SCI GIPA a relevé appel de ce jugement, uniquement à l'égard de la SARL société nouvelle ZOUM.
Par jugement du 11 juin 2015, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de cette société et désigné Maître Sébastien V. en qualité d'administrateur et la Selarl B. comme mandataire judiciaire.
La SCI GIPA a appelé en cause Maître V., par assignation du 21 septembre 2015 et la Selarl B. le 28 août 2015.
De son côté, la SARL société nouvelle ZOUM a, par acte d'huissier du 6/10/2015, appelé en cause, dans le cadre d'un appel provoqué, la SARL AGA .
L'ordonnance de clôture a été fixée au 27 septembre 2016.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions en date du 21/09/2016, la SCI GIPA demande de :
- Réformer le jugement
Statuant à nouveau,
Vu l'article L145-18 du code de commerce,
- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société NOUVELLE ZOOM
Reconventionnellement,
- Condamner la SARL SOCIETE NOUVELLE ZOOM à payer à la SCI
GIPA :
- 4 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamner la SARL SOCIETE NOUVELLE ZOOM aux entiers dépens.
Concernant sa volonté de procéder à la destruction et à la reconstruction de l'immeuble litigieux, elle soutient que, conformément à une jurisprudence bien établie, sa sincérité doit être présumée et que c'est au locataire de rapporter la preuve contraire. Elle indique que ce n'est qu'à cause du refus de la banque de financer le projet qu'elle n'a pas mené son projet à son terme et qu'elle a été contrainte de vendre l'immeuble.
Concernant son offre d'un local correspondant aux besoins et possibilités de la locataire évincée, elle considère que celle ci est satisfactoire et demande à ce que la SARL NOUVELLE ZOOM soit déboutée de sa demande d'indemnité d'éviction.
Sur l'indemnité de déménagement et de réinstallation, la SCI GIPA demande à ce que la demande d'expertise de la SARL NOUVELLE ZOOM soit rejetée car elle n'apporte pas de commencement de preuve par écrit au soutien de son allégation.
La SCI GIPA demande 4 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du comportement déloyal de la SARL NOUVELLE ZOOM.
Au terme de ses conclusions récapitulatives du 22/07/2016, la SARL société nouvelle ZOUM assistée par Maître V. administrateur au redressement judiciaire demande de :
Au principal
Vu les articles L 145- 14 et suivants du Code de Commerce,
Vu l'article 1382 du Code civil, en ce qui concerne la SARL AGA
Accueillant la SARL NOUVELLE ZOUM en son appel incident et provoqué et réformant le jugement entrepris :
- Constater la collusion de la SCI GIPA et de la SARL AGA
- Dire et juger que les conditions de l'article L 145-18 ne sont pas remplies, en l'espèce,
- l'acte de vente du 26 avril 2013 établissant que le bailleur n'avait aucune intention de démolir, cette intention appartenant à l'acquéreur,
- Dire et juger que la SCI GIPA n'avait pas l'intention de démolir et reconstruire lorsqu'elle a signifié le congé, le 24 juillet 2012,
- Dire et juger en conséquence que la SCI GIPA est redevable à la SARL NOUVELLE ZOUM de l'indemnité d'éviction prévue et organisée par l'article L 145-14,
- Dire et juger que la SARL AGA, auteur de manoeuvres dolosives destinée à priver la SARL NOUVELLE ZOUM des indemnités auxquelles elle pouvait légalement prétendre, a commis une faute.
- La condamner in solidum avec la SCI GIPA au paiement à titre de dommages intérêts du montant de l'indemnité d'éviction.
Subsidiairement,
Réformant le jugement entrepris,
- Constater que le local offert par la SCI GIPA n'était pas sa propriété,
- Dire et juger en conséquence que ce local n'est pas susceptible de faire l'objet d'une offre.
Plus subsidiairement,
- Dire et juger que le local proposé en remplacement par la SCI GIPA n'existait pas au moment où le congé a été délivré, le titre locatif dont elle se prévaut étant postérieur au refus de renouvellement.
Plus subsidiairement encore,
Confirmant le jugement entrepris,
- Dire et juger que le local offert ne correspondait pas aux besoins et aux possibilités de la SARL NOUVELLE ZOUM et qu'il n'est pas situé dans un emplacement équivalent au local dont elle est actuellement locataire.
Dans tous les cas,
- Dire et juger que la SCI GIPA est redevable à la SARL NOUVELLE ZOUM de l'indemnité d'éviction prévue à l'article L 145-14 du Code de Commerce,
- Confirmer la mesure d'instruction ordonnée par le jugement du 29 avril 2015.
Très subsidiairement, dans l'hypothèse où la Cour jugerait fondé le refus de renouvellement opposé par le bailleur,
- Désigner tel expert qu'il appartiendra, pour déterminer l'indemnité compensatrice de la privation temporaire de jouissance et de la moins-value du fonds ainsi que le montant des frais de déménagement et d'emménagement tel qu'elle est prévue et organisée par L145 18 alinéa 4 du code de commerce.
Dans tous les cas,
- Condamner la SCI GIPA et la SARL AGA à payer à la SARL NOUVELLE ZOUM la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, pour les frais non répétibles exposés en appel,
- Condamner la SCI GIPA et la SARL AGA aux dépens d'appel.
Au terme de ses conclusions du 14/09/2016, la SARL AGA demande de :
Vu l'article 1382 du code civil
Vu les articles L145-14 et suivants du Code de commerce
Vu l'article 462 du code de procédure civile
- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SARL société nouvelle ZOUM de ses demandes à l'encontre de la SARL AGA,
En conséquence :
- Débouter la SARL société nouvelle ZOUM et Maître V. ès qualité de l'ensemble de leurs demandes et en particulier de sa demande de condamnation solidaire de la société AGA,
- Dire et juger que l'erreur contenue au dispositif du jugement déféré sera réparée et rectifiée en ce sens que la SARL société nouvelle ZOUM est condamnée à payer à la SARL AGA la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la SARL société nouvelle ZOUM à payer à la SARL AGA la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la SARL société nouvelle ZOUM aux entiers dépens.
Elle conteste toute collusion frauduleuse avec la SCI GIPA et avance qu'elle ne peut être condamnée au paiement d'une indemnité d'éviction puisque seul le bailleur est débiteur d'une telle indemnité.
La Selarl B. , appelée dans la cause par la SCI GIPA en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL société nouvelle ZOUM , n'a pas constitué avocat .
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour refuser le renouvellement du bail, la SCI GIPA a indiqué qu'elle entendait démolir l'immeuble loué pour le reconstruire. En conséquence elle disait donner congé à la SARL société nouvelle ZOUM pour le 31/03/2013.
L'article L145-18 du code de commerce dispose que :
' Le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l'immeuble existant, à charge de payer au locataire évincé l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-14.
Toutefois, le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent'.
Sur la validité du congé
La SARL société nouvelle ZOUM conteste la validité du congé en prétendant que le bailleur n'avait pas l'intention de démolir et de reconstruire et qu'il y avait collusion entre le bailleur et l'acquéreur.
Les juges du fond dont l'appréciation est souveraine doivent contrôler la réalité du motif invoqué, la déclaration de reprise du bailleur n'étant pas présumée sincère. Il convient donc de rechercher l'intention de la bailleresse et de procéder à un contrôle a priori de la sincérité du congé.
Il ressort des pièces produites que la SCI GIPA avait obtenu le permis de démolir dès le 14/06/2010 et le permis de construire le 28/09/2010.
Son intention de démolir et de reconstruire l'immeuble était donc très antérieure à la signification du congé par acte extra judiciaire.
Cependant malgré les autorisations accordées elle n'a jamais fait réaliser les travaux projetés puis a vendu l'immeuble à la SARL AGA.
Il ressort du contenu de l'acte de vente de l'immeuble litigieux établi le 26/04/2013 que ces deux permis de démolir et de construire ont fait l'objet d'un transfert au nom de l'acquéreur le 25/04/2012 et d'une prorogation délivrée le 10/04/2013.
Dès lors, au moment où le congé a été délivré, la SCI GIPA savait qu'elle n'exécuterait pas les travaux puisqu'elle n'était plus titulaire des permis.
Pour expliquer son inaction, la SCI GIPA indique qu'elle n'aurait pas obtenu l'accord de financement de sa banque mais elle ne produit aucun justificatif à l'appui de ses allégations.
La preuve de l'absence de sincérité de la société bailleresse résulte dès lors de la chronologie des actes de laquelle il ressort qu'au moment de la délivrance du congé elle savait qu'elle ne pouvait exécuter les travaux, puisque les permis de construire et de démolir avaient été transférés à la société AGA, et que l'immeuble litigieux allait être vendu à cette dernière.
Certes, le fait que la société AGA ait fait réaliser les travaux de démolition et de reconstruction envisagés par la SCI GIPA pourrait tendre à établir que le congé lui aurait été transmis ce qui lui ferait perdre son caractère frauduleux.
Cependant le texte prévoit que c'est le bailleur qui doit avoir l'intention de démolir ou de construire et non son ayant droit.
Mais surtout il est mentionné dans l'acte de vente du 26/04/2013 que le local commercial qui était loué à la SARL Zoum est totalement libre à la date de la vente à l'initiative de la SCI GIPA et qu'en conséquence la société AGA ne peut en aucun cas être concernée par cette procédure judiciaire de libération.
Cette mention démontre qu'il n'y a eu aucune transmission du congé et que les lieux ont été libérés en vertu de ce congé avant la vente. Dès lors les travaux réalisés par la société AGA n'ont pu régulariser a posteriori le congé délivré et manifestement irrégulier puisqu'il est démontré que la société bailleresse, qui n'était plus titulaire des permis, ne pouvait plus avoir l'intention de reconstruire l'immeuble existant au moment de la délivrance du congé.
Compte tenu du caractère frauduleux du congé et de la nullité qui en résulte, la demande en dommages et intérêts de la SARL société nouvelle ZOUM est justifiée et il convient d'y faire droit.
Elle demande que ceux-ci soient équivalents au montant de l'indemnité d'éviction, ce qui paraît justifié.
Il sera fait droit à sa demande qui nécessite une mesure d'expertise, à défaut d'éléments suffisants pour en déterminer la valeur.
La décision du tribunal qui a ordonné cette expertise sera dès lors confirmée.
Sur la collusion entre la société bailleresse et la société AGA
Ainsi que l'a retenu le tribunal, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir une faute à la charge de la société AGA, les liens existants entre les deux sociétés n'étant pas démontrés.
En outre la SARL société nouvelle ZOUM limite sa demande de dommages et intérêts au montant de l'indemnité d'éviction, indemnité qui, par principe, est à la charge du bailleur.
La mise hors de cause de la SARL AGA sera dès lors confirmée.
Sur la rectification de l'erreur matérielle
La SARL AGA demande que le dispositif du jugement qui condamne la SARL société nouvelle ZOUM à payer à la SCI GIPA la somme de 800 € alors qu'aux termes de la motivation c'est la SARL AGA qui est bénéficiaire de cette condamnation soit rectifié.
Eu égard aux circonstances de la cause il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SARL AGA les frais irrépétibles exposés et non compris dans les dépens .
Dès lors il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de rectification d'erreur matérielle telle qu'elle est formulée.
La SCI GIPA qui succombe supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour
Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la SARL société nouvelle ZOUM de sa demande de nullité de refus de renouvellement du bail commercial portant sur les locaux sis [...] notifié par la SCI GIPA, condamné la SARL société nouvelle ZOUM à payer à la SCI GIPA la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la SARL société nouvelle ZOUM aux dépens ;
Statuant à nouveau,
Dit que le refus de renouvellement du bail commercial est irrégulier ;
En conséquence,
Dit que le congé délivré par la SCI GIPA à la SARL société nouvelle ZOUM le 24/07/2012 pour le 31/03/2013 est nul ;
Condamne la SCI GIPA à payer des dommages et intérêts à la SARL société nouvelle ZOUM représentée par les organes de la procédure de redressement judiciaire, Maître V., administrateur et la Selarl B. prise en la personne de Maître Alix B., mandataire judiciaire ;
Dit que ces dommages et intérêts seront équivalents au montant de l'indemnité d'éviction qui sera fixée par expert et dont la mission est détaillée dans le jugement déféré ;
Déboute la SARL AGA de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en 1ère instance ;
Condamne la SCI GIPA aux dépens de 1ère instance ;
Confirme la décision entreprise en ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SCI GIPA à payer à la SARL société nouvelle ZOUM représentée par les organes de la procédure de redressement judiciaire, Maître V., administrateur et la Selarl B. prise en la personne de Maître Alix B., mandataire judiciaire, la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés devant la cour ;
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;
Condamne la SCI GIPA aux dépens d'appel.