CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 20 juin 2012, n° 10/10098
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Monsieur (J-P) B.
Défendeur :
Monsieur (A) N., Madame (V) N. épouse M., Monsieur (M) N., Madame (A) N. épouse T., Madame (C) épouse R.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Chantal BARTHOLIN
Conseillers :
Odile BLUM, Isabelle REGHI
Avocats :
Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, Me Francis BAILLET, Me Denis TALON
Par acte du 1er juin 2001, M. André Noblet a donné à bail commercial en renouvellement à M. Jean-Paul Beaujard, pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2000, un local en rez-de-chaussée sur cour, situé [...], à destination de "Dépôt de vente de commerce d'antiquités avec atelier pour petits travaux de remise en état afférents à ce commerce, sans entreposage de bois ou d'objets ou matériels inflammable".
Par acte extrajudiciaire du 12 juillet 2007, M. André Noblet ainsi que Véronique, Marc, Anne et Christine Noblet (consorts Noblet) ont donné congé à M. Beaujard pour le 30 septembre 2009, avec refus de renouvellement et sans offre d'indemnité d'éviction aux motifs qu'il n'était pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés à l'adresse du fonds, subsidiairement, qu'il n'était pas propriétaire du fonds exploité dans les lieux par une société Garden Jardin, très subsidiairement, qu'il avait consenti une sous-location irrégulière ou une cession irrégulière du fonds de commerce à la société Garden Jardin.
Le 2 novembre 2007, les consorts Noblet ont assigné M.Beaujard, en validation du congé, expulsion et paiement de diverses sommes. M. Beaujard a reconventionnellement demandé la nullité du congé et, outre la résiliation du bail aux torts des bailleurs, des dommages et intérêts.
Par jugement rendu le 11 mars 2010, le tribunal de grande instance de Paris a :
- déclaré la demande des consorts Noblet irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,
- débouté M. Beaujard de ses demandes reconventionnelles,
- fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.
M. Jean-Paul Beaujard a relevé appel de cette décision le 7 mai 2010.
Par ses dernières conclusions du 1er décembre 2011, il demande à la cour de :
- vu les articles 31 et 122 du code de procédure civile, confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande des consorts Noblet relative à la validation du congé, à titre subsidiaire, constater la nullité du congé délivré le 12 juillet 2007 et débouter en conséquence les consorts Noblet de l'intégralité de leurs demandes, à titre infiniment subsidiaire, fixer à 4.265,82 € le montant de l'indemnité d'occupation annuelle qui serait due jusqu'à libération effective des lieux,
- vu les articles 1134, 1147 et 1719 du code civil, infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes reconventionnelles,
- dire que les consorts Noblet ont manqué à leurs obligations contractuelles de délivrance et de garantie de jouissance paisible des locaux loués et ce, depuis l'origine du bail,
- en conséquence, condamner les consorts Noblet à lui payer la somme de 75.000 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
- condamner les consorts Noblet à lui payer une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civileainsi qu'aux dépens dont distraction pour ceux d'appel.
Les consorts Noblet, par leurs dernières conclusions du 24 février 2012, demandent à la cour de :
- débouter M. Beaujard de son appel et confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes reconventionnelles,
- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable leur demande pour défaut d'intérêt à agir ;
- valider le congé signifié à M. Beaujard à effet du 30 septembre 2009 minuit,
- ordonner son expulsion en l'absence de départ volontaire et celle de tout occupant éventuel de son chef,
- condamner M. Beaujard à leur payer une indemnité d'occupation de 30.000 € par an en principal à compter du 1er octobre 2009 jusqu'à libération effective des lieux,
- condamner M. Beaujard à leur rembourser la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens y compris ceux de première instance qui comprendront le coût du congé.
SUR CE,
Sur le congé
Considérant que c'est à tort que les premiers juges ont dit que les bailleurs étaient irrecevables à agir en nullité du congé qu'ils ont fait délivrer au locataire le 12 juillet 2007 pour le 30 septembre 2009 au motif qu'au 2 novembre 2007, date de leur assignation introductive de la première instance, ils n'étaient pas en mesure de déterminer si le preneur allait ou non libérer les lieux à l'échéance du bail et qu'ils n'avaient dès lors aucun intérêt né et actuel ;
Considérant en effet que le bail consenti à M. Beaujard est un bail commercial et non un bail d'habitation ; que son droit au renouvellement dudit bail s'apprécie à la date de délivrance du congé ;
Que les bailleurs avaient intérêt à voir constater qu'au jour de la délivrance du congé, M. Beaujard n'était pas inscrit au registre du commerce, qu'il était en conséquence privé du bénéfice du statut des baux commerciaux et que le congé qu'ils lui avaient fait délivrer pour le terme du bail en cours ne lui ouvrirait droit ni à renouvellement ni à indemnité d'éviction ; que la fin de non-recevoir opposée par M. Beaujard à la demande de validation du congé est mal fondée ;
Considérant qu'il n'était pas interdit aux consorts Noblet de donner congé à l'avance pour le terme du bail ; que l'abus de droit invoqué par M. Beaujard n'est pas démontré et ne saurait résulter de ce que la délivrance du congé, alors qu'il n'était pas immatriculé au registre du commerce, le privait du bénéfice du statut des baux commerciaux ;
Considérant que M. Beaujard ne prétend pas avoir jamais été immatriculé au registre du commerce et des sociétés pour le local considéré ni pour aucun autre local avant le 21 décembre 2007 ; qu'au 12 juillet 2007, date de délivrance du congé, les bailleurs étaient fondés à lui dénier le droit au bénéfice du statut des baux commerciaux ; que ce congé régulièrement délivré est valable ; qu'il a mis fin au bail au 30 septembre 2009 ; que depuis le 1er octobre 2009, M. Beaujard est occupant sans droit ni titre du local concerné ; que son expulsion sera ordonnée dans les termes du dispositif ; que M. Beaujard sera par ailleurs condamné à payer aux consorts Noblet une indemnité d'occupation égale au montant du dernier loyer contractuel, outre les taxes et charges, à compter du 1er octobre 2009 et jusqu'à restitution des lieux ; que les consorts Noblet seront déboutés du surplus de leur demande à ce titre ;
Sur la demande de dommages et intérêts
Considérant que M. Beaujard soutient que depuis l'origine du bail, les bailleurs ont manqué à leur obligation de délivrance et de garantie de jouissance paisible des locaux loués ; qu'il fait valoir qu'en dépit de l'ambiguïté et de la rédaction maladroite du contrat de bail, les parties avaient entendu conférer aux lieux loués une destination de dépôt-vente d'antiquités et non de simple dépôt, que ces locaux étaient cependant inaccessibles à la clientèle, étant situés en fond de cour dans un immeuble dont la porte cochère était fermée en permanence avec un digicode activé sept jours sur sept à partir de février 2009 et sans qu'aucune plaque en façade ne signale son activité ; qu'il estime avoir subi de ce fait un trouble commercial et une perte d'exploitation dont il évalue la réparation à 75.000 € ;
Mais considérant qu'il suffit de relever que les conditions permettant de voir engager la responsabilité des bailleurs ne sont pas réunies dès lors que M. Beaujard ne fait la preuve d'aucun préjudice qu'il aurait personnellement subi ; que les premières réclamations remontent à l'année 2003 et émanent non de M. Beaujard mais de la s.a.r.l. Garden Jardin domiciliée dans le local loué à M. Beaujard ; que le congé avec refus de renouvellement vise outre l'absence d'immatriculation de celui-ci au registre du commerce, le fait qu'il n'est pas propriétaire du fonds exploité dans les lieux et à titre subsidiaire, la sous-location ou la cession irrégulière du fonds à la société Garden Jardin ; que M. Beaujard ne verse aux débats aucun document permettant d'établir la perte d'une clientèle qui lui aurait été personnelle, la perte d'exploitation qu'il aurait personnellement subie par la faute des bailleurs ou le trouble commercial qui aurait pu en résulter pour lui ; qu'il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts ;
Considérant que M. Beaujard qui succombe sur son recours, sera condamné aux entiers dépens ; que le coût du congé délivré par les bailleurs n'a pas à être compris dans ceux-ci ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, M. Beaujard sera condamné à payer aux consorts Noblet la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et verra sa demande à ce titre rejetée ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. Beaujard de ses demandes reconventionnelles ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Dit que les consorts Noblet ont intérêt à agir et sont recevables en leurs demandes ;
Dit que le congé avec refus de renouvellement a été régulièrement délivré par les consorts Noblet pour le 30 septembre 2009 et qu'il a mis fin à cette date au bail entre les parties ;
Ordonne, à défaut de restitution volontaire par remise des clés, l'expulsion de M. Beaujard et celle de tous occupants de son chef des locaux situés [...] avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est ;
Condamne M. Beaujard à payer aux consorts Noblet, à compter du 1er octobre 2009 jusqu'à restitution des lieux par remise des clés ou expulsion, une indemnité d'occupation égale au montant du dernier loyer contractuel, outre les taxes et charges ;
Déboute les parties de toutes autres demandes ;
Condamne M. Beaujard à payer au consorts Noblet la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de M. Beaujard à ce titre ;
Condamne M. Beaujard aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.