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Décisions

Cass. crim., 17 octobre 2018, n° 17-80.485

COUR DE CASSATION

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocats :

SCP Gadiou et Chevallier, SCP Gatineau et Fattaccini

Chambéry, du 16 nov. 2016

16 novembre 2016

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Laura X..., épouse Y..., contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 16 novembre 2016, qui, pour recel et violation du secret professionnel, l'a condamnée à 3 500 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 6, § 1, 7, § 1, et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 112-2, 121-3, 122-7 et 321-1 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme Y... coupable du délit de recel de biens provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement et l'a condamné à une peine d'amende de 3 500 euros avec sursis ;

"aux motifs, que sur les faits de recel de recel provenant d'un délit reprochés à Mme Y..., aux termes de l'article 321-1 du code pénal, le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit ; que intention frauduleuse pour caractériser le délit suppose que son auteur n'a pas eu le moindre doute sur l'origine de la chose recelée ; qu'en l'espèce il n'est pas contesté que Mme Y... a reçu, de manière anonyme, des documents confidentiels de la société Tefal ; que comme il a été dit, il s'agissait, outre d'un document intitulé « capteurs sociaux », de divers échanges de courriers électroniques entre les responsables des ressources humaines de la société ; que le fait que ces documents aient été obtenus de manière clandestine et anonyme, qu'ils étaient, à l'évidence, confidentiels, que la prévenue ne pouvait ignorer tant par leur contenu que par l'identité de leurs destinataires qu'ils avaient été obtenus sans l'accord des titulaires des boites mail, qu'elle ait supprimé ensuite de sa boîte mail toutes traces de ses correspondances avec son informateur anonyme, qu'elle en fait ensuite un usage privé en les transférant à divers syndicats départementaux et régionaux au lieu de les communiquer au procureur de la République s'ils révélaient, comme elle le soutient, l'existence d'une infraction sont autant d'éléments qui révèlent que la prévenue n'avait pas le moindre doute sur l'origine de ces fichiers litigieux, en sorte que l'intention frauduleuse pour caractériser le délit de recel est parfaitement établie ; que le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la culpabilité de Mme Y... de ce chef de prévention ;

"1°) alors qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 9 décembre 2016, devenu l'article 122-9 du code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ; que cette disposition légale, plus douce car elle retire aux faits poursuivis leur caractère punissable, est immédiatement applicable aux faits commis antérieurement qui n'ont pas donné lieu à une condamnation définitive ; que Mme Y... avait soutenu que les faits reprochés à M. B..., qui lui avait transmis les documents litigieux ayant donné lieu aux poursuites contre elle du chef de recel, n'étaient pas punissables car il avait agi en qualité de lanceur d'alerte et que faute d'infraction principale, le délit de recel n'était pas constitué ; que pour réfuter cette argumentation également soutenue par M. B... la cour d'appel a retenu que les dispositions protectrices du code du travail qu'il invoque ne sont pas applicables et que la protection instaurée par ces textes « ne peut constituer une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale » ; que l'application immédiate de l'article 122-9 du code pénal étant de nature à rendre non punissables les faits reprochés à M. B... et par suite à Mme Y..., l'arrêt attaqué doit être annulé pour permettre l'examen des faits au regard de cette disposition légale nouvelle ;

"2°) alors que l'exercice des droits de la défense contre un employeur ou un supérieur hiérarchique constitue un fait justificatif rendant non punissable la détention et la transmission de documents susceptibles de caractériser le délit de recel mais nécessaires à l'exercice des droits de la défense ; que la cour d'appel a reconnu que Mme X... avait transmis les documents litigieux reçus de manière anonyme sur sa messagerie, au conseil national de l'inspection du travail en même temps qu'à des organisations syndicales du ministère du travail ; que Mme Y... soutenait qu'il s'agissait de personnes susceptibles de la défendre dans le cadre du litige qui l'opposait à son supérieur hiérarchique, le directeur départemental du travail, à la suite de pressions exercées pour entraver sa mission de contrôle de la société Tefal qui sont pénalement répréhensibles ; qu'en se bornant à relever, pour caractériser l'intention délictueuse, que Mme Y... ne pouvait pas avoir de doute sur l'origine délictueuse des documents qui lui avaient été transmis sans se prononcer sur le fait justificatif invoqué, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 6, § 1 et 3, 7, § 1, et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 et 226-13 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme Y... coupable du délit de violation du secret professionnel et l'a condamné à une peine d'amende de 3 500 euros avec sursis ;

"aux motifs qu'aux termes des dispositions de l'article 226-13 du code pénal, constitue une atteinte au secret professionnel la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ; qu'en l'espèce, il n'est pas discutable que Mme Y... a eu connaissance, en raison de ses fonctions d'inspecteur du travail, d'un certain nombre d'informations à caractère secret ; qu'il est constant qu'elle les a transmis à des organisations syndicales divers documents confidentiels émanent des cadres dirigeants de la société Tefal, documents obtenus frauduleusement, ce qu'elle n'ignorait pas ; qu'elle ne peut aujourd'hui utilement soutenir que cette communication et cette divulgation d'informations confidentielles à des organisations syndicales étaient nécessaires à l'exercice de ses fondions ou à sa défense dans le cadre d'une procédure pénale ou disciplinaire dès lors qu'aucune action de ce type n'était dirigée à son encontre, que si ces informations étalent de nature à caractériser une infraction à l'encontre de leurs auteurs, ces documents auraient dû être communiqués et transmis par ses soins au procureur de la République ; que pas davantage, la prévenue ne peut invoquer le statut de lanceur d'alerte dès lors que le champ d'application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, est strictement limité aux relations de travail entre employeurs et salariés de droit privé, que le fait dénoncé doit nécessairement être constitutif d'un délit ou crime et non simplement susceptible de constituer un délit ou un crime, qu'enfin la protection contre les discriminations du lanceur d'alerte prévue par l'article précité du code de travail, ne saurait être interprétée comme une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale puisque que cet article ne prévoit pas, au-delà d'une protection fonctionnelle, un fait justificatif des infractions que le lanceur d'alerte pourrait commettre ; qu'enfin, ainsi qu''il a été dit plus haut, aucune cause d'irresponsabilité ne saurait justifier les agissements de Mme Y..., dès lors que les documents obtenus irrégulièrement, puis divulgués n'étaient pas strictement nécessaires à l'exercice des droits de sa défense, la prévenue n'étant nullement mise en cause dans aucune procédure, qu'au demeurant la transmission de ces documents litigieux à des organisations syndicales ne pouvait qu'alimenter les vives tensions existant au sein de l'entreprise ; que ces documents n'ont d'ailleurs pas été transmis aux autorités compétentes pour y donner une suite judiciaire s'ils étaient de nature à démontrer l'existence d'une infraction, que ces circonstances établissent ainsi, outre la mauvaise foi, une volonté évidente de nuire à la direction de l'entreprise, ce qui révèle que la prévenue n'a pas agi de manière désintéressée ;

"1°) alors que Mme Y... avait soutenu dans ses conclusions d'appel en se fondant sur l'article 15 de la convention n° 81 de l'organisation internationale du travail, sur l'article 26 de la loi du 13 juillet 19983 relative au statut des fonctionnaires et aux articles L. 8113-10, L. 6361-5 du code du travail que l'étendue du secret professionnel de l'inspecteur du travail est limitée à la source des plaintes qui leur sont adressées, aux secrets de fabrication, aux secret de commerce ou des procédés d'exploitation et aux informations relatives à la formation continues et que par suite la communication par un inspecteur du travail d'une autre information que celle visées par les textes applicables ne peut pas constituer le délit de violation du secret professionnel et que tel était le cas en l'espèce dès lors que les informations transmises n'étaient pas couvertes par le secret professionnel dans des conditions le rendant pénalement punissable ; qu'en se bornant à énoncer que Mme Y... « a eu connaissance en raison de ses fonctions d'inspecteur du travail, d'un certain nombre d'information à caractère secret » sans procéder à aucune analyse des informations contenues dans les documents litigieux qui aurait permis de déterminer si elle étaient couvertes par le secret professionnel, la cour d'appel a omis de répondre au moyen des conclusions d'appel de Mme Y... et n'a donc pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 9 décembre 2016, devenu l'article 122-9 du code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ; que cette disposition légale, plus douce car elle retire aux faits poursuivis leur caractère punissable, est immédiatement applicable aux faits commis antérieurement qui n'ont pas donné lieu à une condamnation définitive ; que Mme Y... avait invoqué pour elle-même cette qualité de lanceur d'alerte ; que pour réfuter ce moyen de défense la cour d'appel a retenu que les dispositions protectrices du code du travail concernant les lanceurs d'alerte ne sont pas applicables et que la protection instaurée par ce texte « ne saurait être interprété comme une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale puisque ce texte ne prévoit pas, au-delà d'une protection fonctionnelle, un fait justificatif des infractions que le lanceur d'alerte pourrait commettre » ; que l'application immédiate de l'article 122-9 du code pénal étant de nature à rendre non punissables les faits reprochés à Mme Y..., l'arrêt attaqué doit être annulé pour permettre l'examen des faits au regard de cette disposition légale nouvelle ;

"3°) alors que l'exercice des droits de la défense contre un employeur ou un supérieur hiérarchique constitue un fait justificatif rendant non punissable la détention et la transmission de documents susceptibles de caractériser le délit de violation du secret professionnel, mais nécessaires à l'exercice des droits de la défense ; que la cour d'appel a reconnu que Mme Y... avait transmis les documents litigieux reçus de manière anonyme sur sa messagerie, au conseil national de l'inspection du travail en même temps qu'à des organisations syndicales du ministère du travail ; que Mme Y... soutenait qu'il s'agissait de personnes susceptibles de la défendre dans le cadre du litige qui l'opposait à son supérieur hiérarchique, le directeur départemental du travail à la suite de pressions exercées pour entraver sa mission de contrôle de la société Tefal qui sont pénalement répréhensibles ; qu'en se bornant à relever que Mme Y... n'était pas poursuivie dans le cadre d'une procédure pénale ou disciplinaire sans rechercher si les tentatives de déstabilisation et d'atteinte à son indépendance dont elle avait été victime et qui relevaient de la qualification d'entrave aux fonctions d'inspecteur du travail ne rendaient pas nécessaire la transmission des informations révélant ces faits au conseil national de l'inspection du travail et aux organisations syndicales ayant pour mission notamment de défendre les salariés en difficulté, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 112-1, alinéa 3, du code pénal, ensemble l'article 7 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, créant l'article 122-9 du même code ;

Attendu que les dispositions d'une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ;

Attendu que, pour confirmer le jugement déclarant Mme Y... coupable de recel et violation du secret professionnel, l'arrêt prononce par les motifs reproduits aux moyens ;

Mais attendu que la situation de la prévenue n'a pas été examinée au regard de l'article 7 de la loi du 9 décembre 2016 susvisée, qui a institué, à compter du 11 décembre 2016, une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale au bénéfice de la personne ayant, dans certaines conditions, porté atteinte à un secret protégé par la loi ;

Attendu qu'il y a lieu, dès lors, de procéder à un nouvel examen de l'affaire au regard de ces dispositions plus favorables ;

D'où il suit que l'annulation est encourue ; qu'elle sera limitée aux dispositions de l'arrêt concernant Mme Y..., dès lors que M. B... s'est désisté de son pourvoi, ce dont le président de la chambre criminelle lui a donné acte par ordonnance du 24 février 2017 ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé :

ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 16 novembre 2016, mais en ses seules dispositions concernant Mme Y..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de l'annulation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de LYON, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.