Cass. 3e civ., 16 juin 1999, n° 97-16.764
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
M. Pronier
Avocat général :
M. Sodini
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 7 mai 1997), que, suivant un acte du 27 juin 1968, les époux Y..., aux droits desquels se trouvent les consorts Y..., ont donné à bail à la société Boutique Antoine, aux droits de laquelle se trouve la société Les Produits d'Alsace, le rez-de-chaussée et le premier étage d'un immeuble ; que l'acte comportait un pacte de préférence au profit du preneur pour le cas où, au cours du bail, le bailleur déciderait de vendre l'immeuble loué ; que, par acte du 22 juin 1994, les bailleurs ont délivré à la société Les Produits d'Alsace un congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction pour le 31 décembre 1994 ; qu'un expert a été désigné pour l'évaluation de cette indemnité ; que, suivant un acte notarié du 7 mai 1996, les consorts Y... ont vendu l'immeuble à la société Irion sous la condition suspensive, à réaliser avant le 10 juillet 1996, du non-exercice par la société Les Produits d'Alsace de son éventuel droit de préférence ; que, le 28 mai 1996, M. X..., notaire, a notifié la vente projetée à la société Les Produits d'Alsace avec cette précision que cette démarche était accomplie en tant que de besoin ; que, par une lettre du 19 juin 1996, la société Les Produits d'Alsace a déclaré accepter la vente aux conditions fixées dans la notification ; que la société Irion a assigné la société Les Produits d'Alsace en annulation de la condition suspensive et de l'exercice du droit de préférence et en constatation de la résiliation du bail commercial ;
Attendu que la société Irion fait grief à l'arrêt de dire que la société Les Produits d'Alsace avait régulièrement exercé son droit de préférence alors, selon le moyen, 1° que le pacte de préférence qui liait les consorts Y..., bailleurs, à la société Les Produits d'Alsace, preneur, avait été expressément conclu pour la durée du bail ; qu'en retenant que la société Les Produits d'Alsace avait valablement exercé son droit de préférence, aux motifs qu'elle n'avait à aucun moment manifesté son intention de renoncer à ce droit, tout en constatant qu'à la date de son acceptation du bénéfice de la clause du bail qui lui conférait un tel droit, ce bail avait été définitivement résilié, en sorte que la société locataire ne disposait plus, à cette date, d'aucun droit de préférence, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2° que, sauf abus, le bailleur est en droit de se libérer d'un pacte de préférence qui le lie à son locataire en délivrant congé à celui-ci ; qu'en affirmant le contraire, et sans relever aucune circonstance permettant de déduire que la rupture des négociations avec la société locataire aurait dégénéré en abus, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil et l'article 5 du décret du 30 septembre 1953 ; 3° qu'en énonçant encore que les " conditions de l'exercice du droit de préférence ont été réunies pendant le bail ", tout en constatant qu'aucun accord sur le prix n'était intervenu entre le bailleur et le locataire avant la délivrance du congé, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1583 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le bail comportait une clause instituant un pacte de préférence au profit du preneur pour le cas où, au cours du bail, le bailleur se déciderait à vendre l'immeuble loué et que les bailleurs avaient délivré, le 22 juin 1994, pour le 31 décembre 1994, date d'expiration du bail, un congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le preneur pouvait exercer le droit de préférence tant qu'il était maintenu dans les lieux ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Irion fait grief à l'arrêt de dire que la société Les Produits d'Alsace avait régulièrement exercé son droit de préférence et que, par voie de conséquence, la vente de l'immeuble était parfaite, alors, selon le moyen, d'une part, que le promettant d'un pacte de préférence est tenu d'une obligation de faire dont l'inexécution se résoud en dommages-intérêts ; qu'en déclarant la vente parfaite entre les consorts Y... et la société Les Produits d'Alsace, bien que les promettants ne puissent être tenus du fait de l'inexécution de leurs obligations contractuelles envers le bénéficiaire qu'au paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel a violé l'article 1142 du Code civil, d'autre part, que le pacte de préférence n'avait vocation à s'appliquer que pour les locaux donnés à bail, soit le rez-de-chaussée et le premier étage de l'immeuble dont les consorts Y... étaient propriétaires ; qu'en l'espèce, la vente conclue par ceux-ci avec la société Irion avait pour objet la totalité de l'immeuble ; qu'en déclarant parfaite la vente entre les époux Y... et la société Les Produits d'Alsace, nonobstant le fait que celle-ci portait sur une partie de l'immeuble qui n'entrait pas dans le champ d'application du pacte de préférence, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt que la société Irion ait soutenu que le champ d'application du pacte de préférence était limité à la seule partie louée ; que le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que les consorts Y... avaient vendu l'immeuble à la société Irion sous la condition suspensive du non-exercice par la société Les Produits d'Alsace de son droit de préférence au prix fixé dans l'acte et que M. X..., notaire, avait notifié à cette société la convention conclue avec la société Irion, la cour d'appel, qui a constaté que la vente consentie à celle-ci était caduque dès lors que la condition suspensive n'avait pas été levée avant la date prévue et qui a retenu que la société Les Produits d'Alsace avait déclaré accepter expressément la vente aux conditions figurant dans la notification, en a exactement déduit que la vente de l'immeuble à cette dernière société était parfaite ;
D'où il suit que, pour partie irrecevable, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.