CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 27 juin 2012, n° 09/29057
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Réghi, Mme Blum
Avocats :
Me Summa, Me Couturier, Me Oualid
Par acte du 1er janvier 1992, M. et Mme L., aux droits desquels est venu M. B., ont donné à bail commercial à M. G. Lazo, pour une durée de neuf années à compter du même jour, des locaux situés ... pour l'exercice de la seule activité d'artiste peintre.
Par acte extrajudiciaire du 17 mai 2006, M. B. a donné congé à M. G. Lazo pour le 31 décembre2006 avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction de 6.500 €.
M. C. est devenu propriétaire de l'ensemble immobilier comprenant les locaux loués le 25 octobre 2006.
Par acte du 21 novembre 2006, M. C. et M. G. Lazo sont convenus de la résiliation amiable du bail au 31 décembre 2006, date de la restitution des clés, sans paiement d'une indemnité d'éviction, le bailleur remboursant au locataire la somme versée à titre de dépôt de garantie non productive d'intérêts.
Ces parties ont signé le même jour une transaction en vertu de laquelle M. C. accordait aux époux G.L. la jouissance des lieux jusqu'au 31 décembre 2007 moyennant paiement d'une indemnité d'occupation égale au loyer ainsi que le droit d'acquérir le bien immobilier au prix de 230.000 € à condition que la vente soit réalisée au plus tard le 30 novembre 2007 avec la mise en copropriété horizontale, cette date pouvant être reportée au 28 février 2008 pour l'exécution de formalités, les- époux G.L. acceptant en contrepartie de renoncer à l'indemnité d'éviction de 6.500 € et à la procédure en fixation d'une indemnité d'éviction.
Le 25 février 2008, M. G. Lazo a assigné M. C. en nullité des deux actes du 21 novembre 2006 pour vice de son consentement et violation des règles d'ordre public.
Par jugement rendu le 19 octobre 2009 rectifié par jugement du 15 février 2009, le tribunal de grande instance de Créteil a :
- débouté M. G. Lazo de toutes ses demandes,
- déclaré valables les actes signés le 21 novembre 2006,
- condamné M. C. à payer à M. G. Lazo la somme de 4.000 € en réparation du préjudice de jouissance,
- ordonné l'expulsion de M. G. Lazo et de tous les occupants de son chef des locaux concernés ainsi que le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meuble qu'il désignera ou dans tel autre lieu au choix du bailleur, et ce, en garantie de toutes sommes qui pourront être dues,
- débouté du surplus,
- condamné M. G. Lazo aux dépens et à payer à M. C. la somme de 1.200 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. G. Lazo a relevé appel le 31 décembre 2009 du jugement du 19 octobre 2009 puis le 15 mars2010 de ce même jugement et du jugement rectificatif.
Les deux appels ont été joints par ordonnance du 27 avril 2011.
Par ses dernières écritures du 28 avril 2010, M. G. Lazo demande à la cour de :
- dire nul et de nul effet l'acte de résiliation amiable du bail commercial et l'acte de transaction du 21novembre 2006,
- dire la clause de renonciation à indemnité d'éviction nulle et non avenue,
- dire de plus qu'en application de l'adage « nul ne plaide par procureur », la clause de renonciation à une indemnité d'éviction est nulle et réputée non écrite,
- condamner M. C. à le garantir du paiement de l'indemnité d'éviction à laquelle il a droit en application de l'article L. 145-14 du code de commerce dans l'hypothèse où le congé délivré par M.B. serait validé avec toutes ses conséquences de droit,
- condamner M. C. à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- le condamner à 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction ;
Par ses dernières écritures du 1er décembre 2010, M. C. demande à la cour de :
- débouter M. G. Lazo de son appel,
- confirmer le jugement sauf sur les dommages et intérêts qui lui ont été alloués et sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. G. Lazo à lui payer la somme de 252.444,48 € à titre de dommages et intérêts, tous préjudices confondus,
- condamner M. G. Lazo à lui payer la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distractions.
SUR CE,
Considérant que M. G. Lazo soutient que le congé qui lui a été donné pour le 31 décembre 2006 est nul car non motivé, que les actes du 21 novembre 2006, préparés par le conseil du bailleur, ont été signés sous la contrainte morale exercée par M. C. sur sa famille, à la suite d'un congé qui participait de manoeuvres d'intimidation, sans remise préalable d'un projet, au cours d'un rendez-vous dont l'objet véritable lui avait été caché ; qu'il fait valoir que les actes sont nuls pour vice de son consentement ainsi qu'en vertu du principe selon lequel la fraude corrompt tout, le bailleur ayant abusé de sa faiblesse morale pour obtenir qu'il renonce à ses droits et à une indemnité d'éviction d'ordre public ; qu'il ajoute que l'acte de résiliation de bail est nul pour fraude, faute de l'indication du terme du bail au 31 décembre 2009 et de la véritable destination des locaux qui étaient aussi à usage d'habitation ; qu'il prétend que l'acte dit de transaction ne répond pas aux conditions de l'article 2044 du code civil n'ayant pour but que de décharger M. B., non partie à l'acte, de son obligation de payer l'indemnité d'éviction dont il est le seul débiteur et qu'il est nul en application de l'article 2055 du code civil ; qu'il fait valoir enfin que la fraude ressort de l'absence d'information sur l'étendue de ses droits et de la clause de décharge du rédacteur des actes ;
Mais considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont dit que M. G. Lazo ne rapporte pas la preuve des vices du consentement qu'il allègue ; que les attestations qu'il produit, si elles montrent le curieux comportement de M. C. qui n'hésitait pas à pénétrer sans y être invité dans les locaux concernés et son animosité envers l'épouse de l'appelant, n'établissent pas la violence morale, l'abus de faiblesse, la fraude ou les manoeuvres qui aurait conduit M. G. Lazo, personnellement, à signer, le 21 novembre 2006, les actes qu'il argue à présent de nullité ;
Considérant par ailleurs que le bail commercial conclu pour neuf années le 1er janvier 1992 s'était tacitement prolongé au-delà de son terme du 31 décembre 2000 ; que le bailleur avait en conséquence la faculté d'y mettre fin à tout moment dans le respect des règles du statut des baux commerciaux ; que le congé donné dans les formes légales, pour le 31 décembre 2006, à M. G.Lazo par le précédent propriétaire est un congé refus de nouvellement avec offre d'une indemnité d'éviction qui porte donc en lui-même une motivation suffisante ; que l'exercice par le bailleur de son droit de donner congé avec offre d'une indemnité d'éviction ne constitue nullement une « manœuvre » dont le locataire commercial pourrait se plaindre et qui serait en lui-même de nature à vicier son consentement à des actes postérieurs ;
Considérant que pour les motifs ci-dessus, l'argument tiré d'une prétendue tacite reconduction du bail jusqu'au 31 décembre 2009 et de « l'omission volontaire » de cette date dans l'acte dit de résiliation du 21 novembre 2006 n'est pas fondé ; que le fait que M. G. Lazo ait pu régulièrement habiter les lieux avec sa famille est indifférent dès lors que le bail consenti est un bail commercial pour le tout, à destination de la seule activité d'artiste peintre ; que M. G. Lazo ne peut dès lors valablement soutenir que l'acte dit de résiliation est nul pour fraude en raison d'une prétendue inexactitude sur la destination des locaux et sur la date du congé effectivement donné pour le 31décembre 2006 ;
Considérant que M. C. devenu propriétaire le 25 octobre 2006, après la délivrance du congé, s'est vu transférer les effets du bail pour la période restant à courir et se trouvait tenu de garantir au locataire évincé son droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction même si, n'étant pas l'auteur du congé, il n'était pas personnellement tenu au paiement de cette indemnité ; qu'il avait dès lors intérêt et qualité pour convenir avec le locataire d'une résiliation amiable du bail et pour transiger avec lui sur leurs droits et obligations réciproques quand bien même la transaction ne lierait pas le précédent propriétaire débiteur de l'indemnité d'éviction ;
Considérant que contrairement à ce que soutient M. G. Lazo « le véritable objet » de l'acte de transaction n'est pas de décharger M. B., précédent propriétaire, auteur du congé et tiers aux actes du 21 novembre 2006, de son obligation à payer l'indemnité d'éviction ; qu'en effet, en contrepartie de la renonciation par M. G. Lazo à son droit au maintien dans les lieux jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction, M. C. lui a consenti la faculté pendant un an d'acquérir les locaux à un prix dont il n'est pas contesté qu'il était largement inférieur au prix du marché ainsi que la jouissance des lieux durant cette période au prix antérieur ; que cet acte est le fruit de concessions réciproques sur des droits dont M. G. Lazo et M. C. avait la libre disposition ; que le droit de M. G. Lazo au paiement d'une indemnité d'éviction et dès lors son droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, avait pris naissance le 17 mai 2006, à la date du congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction ; que nonobstant le caractère d'ordre public de ce droit, M. G. Lazo a pu en conséquence valablement y renoncer le 21 novembre 2006 après l'avoir acquis ;
Considérant enfin que M. C., dont il n'est pas établi qu'il soit un professionnel de l'immobilier et qui n'est pas le rédacteur des actes, n'était tenu vis-à-vis de M. G. Lazo d'aucune obligation particulière d'information sur l'étendue de ses droits ;
Considérant que la demande en nullité des actes du 21 novembre 2006 est mal fondée ;
Considérant que par l'effet des conventions signées entre eux, M. G. Lazo est irrecevable en sa demande tendant à voir M. C. condamné à le garantir du paiement de l'indemnité d'éviction à laquelle il indique avoir droit en application de l'article L. 145-14 du code de commerce dans l'hypothèse où le congé délivré par M. B. serait validé ;
Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. G. Lazo de ses demandes, déclaré valables les actes critiqués et ordonné l'expulsion ;
Considérant que M. G. Lazo a libéré les lieux à la suite d'un incendie volontaire survenu le 9 janvier 2009 ; que M. C. demande sa condamnation à lui payer la somme de 58.044,48 € au titre des travaux de remise en état des locaux non pris en charge par l'assurance, celle de 16.800 €au titre de la perte financière due à une indemnité d'occupation inférieure à la valeur locative, celle de 39.600 € au titre d'un préjudice financier résultant de la non-perception d'une indemnité d'occupation depuis janvier 2009, celle de 38.000 € au titre du loyer qu'il a dû régler faute de n'avoir pu habiter les locaux en cause et celle de 100.000 € à titre de préjudice moral ;
Mais considérant que l'origine de l'incendie du 9 janvier 2009 n'est pas déterminée ; que M. C. n'établit pas la responsabilité de M. G. Lazo dans sa survenance ; que sa demande au titre d'un solde de travaux de remise en état, dont au surplus il ne justifie pas du règlement, sera donc rejetée ainsi que sa demande au titre d'une indemnité d'occupation postérieurement à la libération des locaux ; que par ailleurs, le montant de l'indemnité d'occupation due par M. G. Lazo a été librement convenu entre les parties ; que M. C. n'établit pas le bien-fondé de sa demande d'une indemnité d'occupation supérieure ni d'une perte financière ou d'un préjudice, moral ou pécuniaire, excédant celui exactement réparé par les premiers juges ; qu'il sera débouté du surplus de sa demande de dommages et intérêts ;
Considérant que M. G. Lazo qui succombe sur son recours supportera la charge des dépens d'appel ; que vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, les dispositions du jugement sur ce chef seront confirmées et les parties déboutées de toutes autres demandes à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 19 octobre 2009 rectifié par jugement du 15février 2010 ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne M. G. Lazo aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.