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Décisions

Cass. com., 3 avril 2012, n° 11-14.848

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Bertrand, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Cass. com. n° 11-14.848

3 avril 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'aux termes d'un contrat en date du 22 octobre 1990, inscrit le 25 janvier 1991 au registre national des brevets, Rafaela X a consenti à la société Cardis une licence exclusive concernant un brevet français n° 86 094 12, déposé le 25 juin 1986 et délivré le 30 mars 1990, ayant pour titre "système particulier de fermeture automatique par couvercle spécial destiné à tous les emballages conteneurs" et une demande de brevet européen, déposée le 19 juin 1987, sous priorité du brevet précité ; que cette demande a abouti à la délivrance définitive du brevet européen n° 0 251 945 concernant un "procédé de fermeture automatique destiné aux emballages conteneurs" le 24 septembre 1997 ; que le 27 mars 1995, l'huissier de justice a procédé à une saisie descriptive et réelle de conteneurs et, le 28 octobre 1998 à la description de l'un d'eux ; que Rafaela X et la société Cardis, aux droits de laquelle est venue la société Or-n-vi, ont assigné en contrefaçon les sociétés Doucey équipement et Cartonnage de Colmar, actuellement dénommée la société Seviac-Cartonnage de Colmar (la société Seviac) ; que la société Or-n-vi ayant été placée en redressement judiciaire, M. Y est intervenu à l'instance en qualité d'administrateur judiciaire de cette société, puis en qualité de commissaire à l'exécution du plan ; que Rafaela X étant décédée , MM. Gérard et Laurent X ainsi que Mme Lydia X sont intervenus en qualité d'ayants droit ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Seviac fait grief à l'arrêt de rejeter les exceptions de nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon dressés les 27 mars 1995 et 28 octobre 1998, et, en conséquence, de retenir qu'elle avait commis, ainsi que la société Doucey équipement, des actes de contrefaçon des revendications 1, 2 et 3 du brevet européen n° 0 251 945, alors, selon le moyen :

1°) qu'il appartient à l'huissier instrumentaire de distinguer, dans son procès-verbal de saisie-contrefaçon, ce qui relève de ses propres constatations personnelles des explications techniques fournies par l'expert qui l'assiste ; qu'en se bornant à constater qu'il ne serait pas démontré que l'huissier n'avait pas personnellement constaté les informations portées dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon et qu'il s'était contenté de retranscrire les déclarations de l'expert, sans rechercher, comme elle y était précisément invitée, si, tout en procédant à des constatations personnelles, l'huissier avait bien pris soin de distinguer les explications techniques fournies par l'expert de ses propres constatations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) qu'en refusant, en l'espèce, d'annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 27 mars 1995, quand elle relevait que les constatations de l'huissier avaient été faites, d'une part, à l'aide de schémas pré constitués, fournis par l'expert, que l'huissier n'avait «manifestement pas établis» puisque des dessins identiques avaient été annexés à trois autres procès-verbaux de saisie-contrefaçon établis par d'autres officiers ministériels, et, d'autre part, en utilisant une «terminologie particulière» que l'on trouvait reprise dans ces autres procès-verbaux de saisie-contrefaçon, ce dont il résultait que l'huissier avait incorporé le contenu technique du dessin et des explications de l'expert à ses propres constatations, sans les distinguer, la cour d'appel a volé l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle ;

3°) qu'en retenant, par motifs adoptés des premiers juges, que les données techniques fournies par le conseil auraient fait l'objet du contrôle de l'huissier , sans constater que ce dernier aurait précisément identifié ces explications techniques dans son procès-verbal et distingué celles-ci de ses propres constatations, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, en violation de l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que l'arrêt retient que même s'il a dans son procès-verbal, compte tenu du caractère technique des opérations, utilisé une terminologie particulière, reprise dans les autres procès-verbaux de saisie-contrefaçon et jugé opportun de se référer aux schémas qui lui avaient été remis par le conseil en propriété industrielle qui l'accompagnait, l'huissier de justice a procédé à une description précise des diverses phases de l'opération d'emballage exécutée sous ses yeux et du conteneur utilisé ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d‘appel, qui a répondu en l'écartant au moyen tiré de ce que l'huissier de justice n'aurait pas distingué les explications techniques fournies par l'expert de ses propres constatations, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Seviac fait grief à l'arrêt de retenir qu'elle avait commis, ainsi que la société Doucey Equipement, des actes de contrefaçon des revendications 1, 2 et 3 du brevet européen n° 0 251 945 alors, selon le moyen, que la contrefaçon par équivalence de moyens suppose que le brevet n'exerce pas une fonction connue ; qu'en l'espèce, pour juger que les emballages des sociétés Cartonnage de Colmar et Doucey équipement constitueraient la contrefaçon des revendications 1 à 3 de la partie française du brevet européen n° 0 251 945, la cour d'appel a retenu que si les emballages litigieux ne reprenaient pas la caractéristique tenant à la présence, sur le conteneur, de rabats «continus dans les angles et discontinus entre les angles», les rabats du conteneur exerçaient toutefois la même fonction que celle du procédé objet du brevet, à savoir «bloquer le couvercle repoussé par la marchandise emballée» ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la fonction des discontinuités dans les rabats n'avait pas déjà été enseignée par le document WO 81/01398, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 613-2 et L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les rabats du conteneur argué de contrefaçon étaient continus, tandis que ceux du conteneur décrit par le brevet européen sont discontinus entre les angles et qu'en dépit de cette différence minime de structure, qui se traduit par des résultats de moindre qualité, les rabats du conteneur ont toujours pour fonction de bloquer le couvercle repoussé par la marchandise emballée ; qu'il retient encore que la demande internationale du brevet Swan WO A 81/01398 relative à des cartons d'emballage, décrivant l'état antérieur de la technique, ne divulguait pas un procédé de fermeture automatique ni ne mentionnait l'utilisation de matière compressible pour assurer la mise en place des diverses parties de l'emballage de sorte que les enseignements tirés de ce brevet ne permettaient pas à l'homme de métier par de simples opérations d'exécution de concevoir le procédé décrit par le brevet européen ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations qui font ressortir que le brevet litigieux était nouveau dans sa fonction, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article 73 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 modifiée sur la délivrance des brevets, les articles 23 et 24 du règlement d'exécution de cette Convention et les articles L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable à l'espèce, et les articles L. 614-11 et L. 615-2 du même code ;

Attendu que jusqu'à la date de délivrance définitive d'un brevet européen, un licencié n'est recevable à agir en contrefaçon qu'à la condition que son contrat de licence soit inscrit au registre européen des brevets ;

Attendu que pour déclarer recevable à agir en contrefaçon la société Or-n-vi, licencié exclusif du brevet européen en cause, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 614-11 du code de la propriété intellectuelle n'érigent pas la publication de la licence au registre européen des brevets en une condition de recevabilité de l'action en contrefaçon du licencié ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré la société Or-n-vi recevable à exercer une action en contrefaçon du brevet européen n° 0 251 945, l'arrêt rendu le 25 janvier 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.