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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 26 mars 2012, n° 11/02714

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Mafate (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Francke

Conseillers :

Mme Kueny, Mme Klajnberg

TGI Villefranche-sur-Saône, du 7 févr. 2…

7 février 2008

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme Catherine C. née C. et M. Thierry C. se sont mariés le 26 octobre 1985.

La demande de divorce introduite par l'époux en 1997 a été rejetée suivant jugement du 20 janvier 2000 du tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône.

Une seconde procédure de divorce a été introduite par l'épouse le 30 août 2004 qui a abouti à un jugement de divorce le 4 juin 2007 aux torts exclusifs du mari, seule les dispositions relatives à la prestation compensatoire ayant fait l'objet d'un arrêt confirmatif puis d'un pourvoi en cassation qui a été finalement rejeté.

Le 31 janvier 1998 M. Thierry C. et sa compagne Mme Catherine B. ont constitué la société civile immobilière MAFATE pour l'acquisition d'un bien immobilier situé à Chatillon d'Azergues, chacun faisant apport en numéraire d'une somme de 5.000 F (762,25 €).

Considérant que l'apport fait par son époux avait pour origine de l'argent commun et que celui-ci n'avait sollicité aucune autorisation de sa part, Mme Catherine C. a assigné le 17 août 2006 M. Thierry C., Mme Catherine B. et la SCI MAFATE devant le tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône, en nullité de l'apport fait par M. Thierry C. 1832-2, 1427 et 1131 du Code civil et dissolution de la société par application de l’article 1844-16 du Code civil.

Par jugement du 7 février 2008 le tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône a :

« déclaré irrecevable comme prescrite l'action de Mme Catherine C. épouse C. fondée sur l'article 1427 du Code civil et l'article 1832-2 du Code civil,

débouté Mme Catherine C. épouse C. de sa demande sur le fondement de l'article 1131 du Code civil,

débouté M. Thierry C. et Mme Catherine B. de leurs demandes de dommages-intérêts,

débouté la SCI MAFATE de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

condamné Mme Catherine C. épouse C. à payer à M. Thierry C. et Mme Catherine B. la somme de 1.000 € chacun au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

condamné Mme Catherine C. épouse C. aux dépens. »

Sur appel de Mme Catherine C. épouse C., la cour de Lyon a par arrêt du 10 mars 2009 :

« infirmé partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône,

prononcé la nullité de l'apport en numéraire effectué par M. Thierry C. au capital de la SCI MAFATE et la nullité de cette société sur le fondement de la fraude,

condamné M. Thierry C. et Mme Catherine B. in solidum à verser à Mme Catherine C. la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts et celle de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

débouté M. Thierry C. et Mme Catherine B. de leurs demandes,

condamné les mêmes in solidum aux dépens de première instance et d'appel. »

Sur pourvoi de M. Thierry C. et de Mme Catherine B. la Cour de Cassation a par arrêt du 23 mars 2011 et au visa des articles 1421, 1427 et 1832-2 du Code civil cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, puis condamné la SCI MAFATE, M. Thierry C. et Mme Catherine aux dépens.

Le 26 mai 2011 Mme Catherine C. a saisi la cour de renvoi et lui demande par voie d'infirmation partielle et au visa des articles 1131, 1421, 1427, 1382-2 et 1844-5 du Code civil de :

« Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu au don manuel consenti à M. Thierry C. un caractère fictif.

Dire que la cause du contrat de la SCI MAFATE consistait à soustraire de la communauté le bien immobilier acquis au nom de la SCI MAFATE et ne consistait pas en la volonté de procéder à l'acquisition d'un bien immobilier.

Dire que la cause de ce contrat de société est illicite et entraîne la nullité de la SCI sur le fondement de l'article 1131 du Code civil.

Dire que cette action n'est pas soumise à une prescription abrégée.

Subsidiairement dire que les dispositions de l'article 1421 du Code civil doivent recevoir application.

Dire que l'action fondée sur l'article 1421 du Code civil se prescrit par 30 ans et est sanctionnée par la nullité lorsque le tiers s'est rendu complice de la fraude.

Prononcer la nullité de la SCI MAFATE.

Très subsidiairement dire que Mme Catherine C. n'a eu connaissance du caractère frauduleux de l'acte de constitution de la SCI MAFATE qu'en février 2006.

Déclarer l'action de Mme Catherine C. fondée sur l'article 1427 du Code civil recevable.

Dire que la nullité prononcée aura les conséquences d'une dissolution en application des dispositions de l'article 1444-15 du Code civil.

Dire que les actifs de la SCI MAFATE ont vocation à réintégrer la masse des biens communs.

Condamner in solidum M. Thierry C. et Mme Catherine B. à lui payer 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et 5.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. »

Au soutien de son recours elle fait valoir en substance que :

- l'apport en numéraires fait à la SCI MAFATE par M. Thierry C. ne provient pas d'un don manuel du père de celui-ci mais des deniers communs,

- le contrat de société conclu dans une perspective de fraude comme en l'espèce a une cause illicite et doit être annulé,

- en restreignant les termes du débat à la seule question relative au champ d'application respectif des articles 1421 et 1427 du Code civil, la Cour de Cassation a limité la portée réelle de l'arrêt rendu et de la cassation opérée,

- si elle a eu connaissance de la constitution de la SCI MAFATE en 1999 elle n'a eu connaissance de 'l'apport en biens propres' de son mari et de son caractère fictif que fin 2006 après investigation,

- la cause illicite de la société était la volonté des intimés de soustraire de la communauté, le bien immobilier acquis au nom de la SCI MAFATE,

- ce bien immobilier est en effet remboursé au moyen de loyer supporté par la communauté qui par le montage opéré se trouve exclue d'un droit récompense,

- le contrat ayant une cause illicite encourt par application de l'article 1131 du Code civil la nullité absolue,

- c'est la date de la connaissance du caractère frauduleux du don manuel qui doit déterminer le début du délai de prescription de l'article 1427 alinéa 2 du Code civil,

- l'action qu'elle a engagée sur ce fondement n'est donc pas prescrite.

M. Thierry C., Mme Catherine B. et la SCI MAFATE demandent à la cour au visa des articles 1405, 1832-2 et 1427 alinéas 2 du Code civil de :

« Débouter Mme Catherine C. de toutes ses demandes.

Dire que l'apport de M. Thierry C. est constitué par un bien propre.

Dire que l'obligation de M. Thierry C. comporte une cause.

Subsidiairement confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action engagée par Mme Catherine C. sur le fondement de l'article 1427 du Code civil.

Condamner Madame Catherine C. à leur payer une somme de 3.000 € chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et 2.500 € chacun par application de l'article 700 du Code de procédure civile. »

Ils concluent pour l'essentiel que :

- la cause du contrat de société était que M. Thierry C. devienne associé de la SCI MAFATE en contrepartie de son apport,

- M. Thierry C. pouvait disposer de ses gains et salaires sans en rendre compte à son conjoint à condition qu'il contribue aux charges du mariage à proportion de ses facultés,

- le don manuel de 762,25 € a été effectué par virement du compte de son père à la Banque Populaire du Massif Central sur son compte le 16 janvier 1998,

- que ce don soit réel ou fictif il n'en demeure pas moins un bien propre,

- il n'était donc pas en situation de dépassement de pouvoir tel qu'envisagé par l'article 1832-2 du Code civil,

- Mme Catherine B. n'a en aucune façon concouru à la constitution illicite de la société,

- l'action fondée sur l'article 1427 se prescrit par deux ans à partir du moment où l'acte est parvenu à la connaissance de l'époux,

- en l'espèce le délai de prescription court au moins depuis le mois de janvier 1999.

MOTIFS ET DÉCISION

Sur la nature de l'apport

Attendu qu'aux termes de l'article 6 des statuts de la SCI MAFATE l'apport de M. Thierry C. résulte d'un don manuel d'une somme d'argent fait par M. Jean Marie C. son père pour permettre à son fils de souscrire des parts de ladite société en usufruit et en nue-propriété ;

Que l'extrait du compte bancaire de M. Thierry C. à la banque Populaire du Massif Central mentionne au 16 janvier 1999 un virement « téléplus de M. Jean Marie C. » d'un montant de 5.000 F ;

Que ce seul document est inopérant pour retenir que ce virement constitue un don manuel destiné à constituer l'apport litigieux, don qui n'a d'ailleurs pas été déclaré à l'administration fiscale par M. Thierry C. ;

Qu'il ressort en effet des pièces versées aux débats, que M. Jean Marie C. dont les capacités de gestion étaient amoindries d'une part et la situation financière inquiétante en 1996 d'autre part, en raison de ses faibles ressources et d'importants contrats de prêts à la consommation contractés, a fait l'objet d'une mise sous sauvegarde de justice le 14 novembre 1996, son fils Thierry étant désigné en qualité de mandataire spécial ;

Que les pièces produites ne permettent pas de savoir si Monsieur Jean Marie C. était placé sous curatelle ou sous tutelle en janvier 1999.

Que M. Thierry C. exposait ainsi dans sa requête en divorce du 10 juillet 1997 qu'il contribuait à l'entretien de son père à hauteur de 5.100 F par mois, car les ressources (72.775 F) de celui-ci ne lui permettaient pas de faire face à ses charges ;

Que s'il résulte de la déclaration de succession du 1er décembre 1999, que la part de M. Jean Marie C. dans la succession de sa mère décédée représentait une somme de 241.302 F, celui-ci ne disposait pas de cette somme en janvier 1999 dès lors que sa mère est décédée en juin 1999 ;

Que faute pour M. Thierry C. d'apporter la preuve que la somme litigieuse de 5.000 F est un propre, l'apport de cette somme à la SCI MAFATE est présumée provenir de la communauté ;

Que c'est donc à bon droit, que le premier juge a considéré que la société MAFATE avait été constituée grâce à un apport de la communauté C. ;

Sur l'action en nullité de la SCI MAFATE pour cause illicite.

Attendu que par application de l'article 1844-10 du Code civil la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des article 1832, 1832-1 alinéa 1er et 1833 ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ;

Qu'en l'espèce, Mme Catherine C. soutient que la SCI MAFATE est nulle en ce qu'elle repose sur une cause illicite qui est constituée par la volonté de son ex-époux de soustraire à la communauté le bien immobilier acquis au nom de la société et d'exclure la communauté d'un droit à récompense ;

Qu'il est constant qu'une société doit, en vertu de l'article 1131 du Code civil avoir une cause licite et qu'à défaut, cette société est nulle ;

Que doit par conséquent être annulé le contrat de société conclu uniquement dans un but frauduleux, à condition que tous les associés aient concouru à la fraude ;

Qu'il en est ainsi d'une société qui serait constituée dans le seul but de faire échec aux droits du conjoint ;

Attendu qu'il appartient en l'espèce à Mme C. de démontrer que la SCI MAFATE a été constituée par M. Thierry C. et Mme Catherine B. pour soustraire à la communauté existant entre M. Thierry C. et Mme Catherine C. le bien immobilier acquis au nom de la SCI MAFATE et d'exclure la communauté d'un droit à récompense, dès lors que les remboursements d'emprunts sont réalisés par la société elle-même au moyen des loyers supportés par la communauté ;

Qu'il n'est pas contesté que la SCI MAFATE a acquis l'immeuble de Chatillon d'Azergues pour une somme de 130.000 € et a emprunté une somme de 167.000 € pour financer cet achat ainsi que des travaux d'aménagement en 1999, 2001 et 2002, comme cela ressort de l'estimation des parts de la société effectuée par le cabinet G., lequel évalue au 11 mars 2005 à 182.329 € le passif cumulé au titre des emprunts ;

Que la SCI MAFATE a consenti le 20 janvier 1998 un bail sur l'immeuble acquis, à M. Thierry C. et Mme Catherine B. moyennant un loyer mensuel de 7.408,60 F droit au bail compris ;

Attendu qu'en l'espèce, il apparaît que la SCI a été constituée dans le but déterminant d'acquérir en marge du régime matrimonial de M. Thierry C. un bien immeuble et que l'artifice sus-visé employé par M. Thierry C. pour faire croire que l'argent investi était de l'argent qui lui appartenait en propre et ainsi échapper aux dispositions de l'article 1832-2 du Code Civil, témoigne de l'objectif frauduleux qui l'a conduit à constituer cette SCI ;

Que Mme Catherine B. son associée co gérante de la société a également déclaré dans les statuts de la société que son apport était constitué par un don manuel de 5.000 F fait par son père ;

Que la relation continue depuis 1996 entretenue par M. Thierry C. avec cette personne qui partage sa vie et cohabite avec lui dans l'immeuble acquis par la SCI MAFATE, laisse présumer qu'elle a en toute connaissance de cause, concouru à la fraude initiée par celui-ci ;

Que Mme Catherine C. est donc bien fondée à invoquer la nullité de la SCI MAFATE, dont le prononcé aura les conséquences d'une dissolution en application des dispositions de l'article 1444-15 du Code civil ;

Que Mme Catherine B. ayant également participé à hauteur de 5.000 F à la constitution de la SCI MAFATE dont elle a, tout comme M. Thierry C., souscrit 50 parts en usufruit et 50 parts en nue-propriété, les actifs de la SCI MAFATE ont vocation à réintégrer la masse des biens communs à concurrence de la moitié ;

Sur le préjudice moral

Attendu que les conditions de la constitution de la SCI MAFATE par M. Thierry C. et Mme Catherine B. au détriment des intérêts de Mme Catherine C. ont occasionné à cette dernière un préjudice moral qui sera réparé par l'allocation de 5.000 € de dommages et intérêts ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement par arrêt contradictoire après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 23 mars 2011,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a retenu que l'apport de 5.000 F fait par M. Thierry C. à la SCI MAFATE provenait de la communauté ayant existé entre M. Thierry C. et Mme Catherine C..

Statuant à nouveau,

Prononce la nullité de la SCI MAFATE sur le fondement de l'article 1131 du Code civil.

Dit que les actifs de la SCI MAFATE ont vocation à réintégrer la masse des biens communs entre M. Thierry C. et Mme Catherine C. à concurrence de la moitié.

Condamne M. Thierry C. et Mme Catherine B. in solidum à payer à Mme Catherine C. 5.000 € en réparation de son préjudice moral.

Condamne en cause d'appel M. Thierry C. et Mme Catherine B. in solidum à payer à Mme Catherine C. une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamne M. Thierry C. et Mme Catherine B. in solidum aux dépens des procédures de première instance et d'appel y compris ceux de la procédure devant la cour d'appel de Lyon avec application de l'article 699 au profit de la SCP G. qui en a demandé le bénéfice.