CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 26 mars 1998, n° 2190/97
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Canet (ès qual.)
Défendeur :
Société Coopérative des Producteurs Blanquette de Limoux (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gallet
Conseillers :
M. Boilevin, M. Raffejeaud
Avoués :
SCP Gas, SCP Lambert Debray Chemin
Avocats :
Me Gayraud, Me Aupin
FAITS ET PROCEDURES
Il résulte des pièces versées aux débats que le 14 novembre 1994, le Tribunal de Commerce de PONTOISE a prononcé la liquidation judiciaire de la société ASO RESTAURATION, pour laquelle Me Patrick CANET a été nommé représentant des créanciers et liquidateur.
Parmi les actifs de la société ASO figurerait, selon les dires du gérant de cette société, un lot net de 1968 bouteilles de vins, encore détenu par la Société Coopérative des Producteurs de Blanquette de LIMOUX (ci-après désignée SPBL) au motif que la société ASO n’avait pas effectué le règlement correspondant, ce contrairement au règlement de la vente aux enchères à laquelle ASO RESTAURATION avait participé.
Par lettre du conseil de Me CANET, en date du 1er mars 1995, celui-ci a mis la SPBL en demeure d’avoir à restituer te solde des bouteilles encore détenues dans ses caves.
Cette mesure étant restée sans effet, Me CANET a, par assignation du 25 septembre 1995, porté le litige devant le Tribunal de Commerce de PONTOISE lequel, devant l’exception d’incompétence territoriale invoquée par la SPBL au profit de la juridiction de LIMOUX, s’est déclaré compétent par jugement du 31 mai 1996, lequel a été confirmé par un arrêt de la Cour de VERSAILLES en date du 9 octobre 1997 qui s rejeté le contredit formé par la cave coopérative, a décidé d’évoquer l’affaire et a renvoyé les parties à conclure sur le fond.
PRETENTIONS DES PARTIES DEVANT LA COUR
Le DEMANDEUR A L’ACTION EN RESTITUTION, Me CANET, par ses premières conclusions sur le fond en date du 28 avril 1997 et 20 août 1997, soutient que la SPBL est irrecevable à opposer un droit de rétention fondé sur l’article 119 de la loi du 25 janvier 1985 dès lors qu’elle n’a pas déclaré sa créance et n’a pas bénéficié d’un relevé de forclusion ; que faute de détenir une quelconque créance envers la liquidation judiciaire, la SPBL ne peut retenir des marchandises pour garantir une obligation inexistante de la société ASO RESTAURATION, en liquidation; que d’ailleurs jamais la coopérative ne lui a adressé une quelconque facturation ni aucune relance antérieurement à la liquidation, portant sur le stock de bouteilles qu’elle prétend encore lui appartenir.
En conséquence le liquidateur a sollicité la restitution des bouteilles litigieuses, sous astreinte de 500 f par jour de retard, à compter de l’arrêt à intervenir.
Par des conclusions en date du 9 décembre 1997, postérieures à l’arrêt de la Cour, précité, Me CANET maintient sa position d’origine estimant que la vente a été parfaite dès le jour de l’adjudication et non à chaque livraison partielle.
II n’en veut pour preuve que la livraison partielle de 432 bouteilles a été réalisée, sur l’intervention des Commissaires-Priseurs mandatés par lui, postérieurement à la liquidation.
Enfin le demandeur è la restitution soutient que les bouteilles litigieuses n’appartiennent pas à la SPBL dès lors que les règlements des enchères se faisaient entre les mains du Commissaire-priseur local Me DELEAU.
En conséquence, outre la restitution, Me CANET sollicite l’allocation d’une somme de 20 000 f que devrait lui verser la coopérative au titre de l’article 700 du NCPC, celle-ci devant être condamnée à payer les entiers dépens de l’instance.
LA DÉFENDERESSE À L’ACTION EN RESTITUTION, LA S.P.B.L, réplique que le fait générateur du litige étant un contrat intervenu le 4 mars 1991, son droit de rétention, né antérieurement à la liquidation, est un droit réel “...et non privilégié...” résultant de la loi (1612 du code civil), auquel la législation d’exception sur la suspension des poursuites ne peut déroger.
La SPBL voit d’ailleurs dans les articles 119 et 159 alinéa 1er de la Loi du 25 janvier 1985 l’affirmation de ce principe qui met hors d’atteinte le droit de rétention et au contraire oblige le liquidateur à se faire autoriser par le juge commissaire pour régler des dettes sociales antérieures lorsqu’il veut s’emparer d’une “chose légitimement retenue” (article 33 alinéa 3 de la loi précitée.
Elle soutient en outre que l’invocation de son droit de rétention ayant été exercé par “voie d’exception” et non par “voie d’action “, son exercice ne constituant pas une “poursuite”, le liquidateur ne peut pas lui opposer le défaut de déclaration de créance, créance qu’elle n’a pas elle-même revendiquée dès lors que le défaut de paiement délibéré de Me CANET a empêché toute livraison et en conséquence a empêché tout transfert de propriété.
Elle affirme qu’en choisissant délibérément de ne pas solliciter la livraison des marchandises litigieuses, Me CANET doit être réputé comme ayant renoncé à donner suite à la vente prévue dès l’origine “au comptant” et qu’en conséquence elle est restée propriétaire des 1968 bouteilles impayées.
La SPBL voit dans le droit de rétention une prérogative “. .. nullement liée à l’existence d’une quelconque déclaration de créance”, surtout qu’aucun texte n’impose au vendeur qui souhaite exercer ce droit spécifique, de procéder à une telle déclaration et qu’il serait contradictoire de forcer le vendeur è cette démarche qui le réduirait à la qualité de “chirographaire” alors qu’il dispose déjà de la marchandise comme étant la sienne
La coopérative estime que le droit positif est unanime pour considérer que seule la livraison fait perdre au vendeur son droit de rétention.
Subsidiairement, la SPBL sollicite la résolution de la vente par appIication de l’exception d’inexécution contenue à l’article 1613 du code civil qui demeure, selon elle, applicable dans le cadre de la Loi de 1985 précitée, dès lors qu’à défaut d’avoir pour le liquidateur, justifié qu’il e sollicité fa poursuite de l’activité, le défaut de paiement résultant de l’inertie de Me CANET conduit à la résolution du contrat de vente aux torts de l’acquéreur d’origine.
En conséquence la société coopérative sollicite le débouté du demandeur à la restitution et sa condamnation à lui verser une somme de 20 000 f au titre de l’article 700 du NCPC, outre celle aux entiers dépens,
L’ordonnance de clôture est prononcée avant l’audition des plaidoiries prévue par l’arrêt de la Cour du 9 octobre 1997 qui a statué sur le contredit de compétence (n°365).
SUR CE, LA COUR
A - SUR LA PROPRIETE DES MARCHANDISES LITIGIEUSES
Considérant qu’en vertu de l’article 1583 du Code civil, "la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur â l’égard du vendeur, dès lors qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé”;
Qu’il est établi toutefois qu’en l’espèce, le “Cahier des Charges” de la vente aux enchères publiques auquel s’est nécessairement soumise la société ASO RESTAURATION, aujourd’hui en liquidation, a reporté le transfert matériel des bouteilles litigieuses (tradition), soit après l’encaissement du chèque dans le cas de paiement selon ce mode, soit après paiement complet du lot adjugé” dans tous les autres cas,
Que cette stipulation, à laquelle l’adjudicataire a nécessairement adhéré au moins le 4 mars 1991, date de la vente, non contestée par le demandeur, a eu pour effet de renverser la priorité dans l’accomplissement réciproque des obligations nées du contrat de vente alors qu’il incombe habituellement, d’abord au vendeur de délivrer la chose, et d’imposer, en l’espèce à l’acheteur, de payer prioritairement le prix avant de se voir délivrer la marchandise;
Que ce reclassement chronologique des obligations de faire découlant du contrat de vente contractuellement ainsi aménagé, est renforcé par les dispositions légales reconnaissant au vendeur un “droit de rétention”, portant sur la possession de la chose non encore délivrée, dès lors que l’acheteur n’en paye pas le prix (article 1612 du Code civil);
Qu’en outre l’article 1613 du même Code étend les droits du rétenteur quand même il aurait accordé un délai de paiement, si, depuis la vente, l’acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix
Que cette disposition fondamentale a été reprise dans l’article 119, applicable au régime de la liquidation en vertu de l’article 153-4 de la loi du 25 janvier 1985 “Peuvent être retenues par le vendeur les marchandises qui ne sont pas délivrées ou expédiées au débiteur ou à un tiers agissant pour son compte”;
Que toutefois, l’existence non contestée par le liquidateur, d’un droit de rétention dont est titulaire la SPBL, ne manifeste pas le maintien de celui de propriété au profit de celle-ci
Qu’il est donc vain pour le demandeur de prétendre que la SPBL n’est pas propriétaire de bouteilles revendiquées, dès lors que la coopérative n’en est assurément que le rétenteur ; que de même le demandeur qui ne rapporte aucune preuve pertinente à ce sujet est mal fondé à prétendre que ces breuvages appartiennent à Me DELEAU, commissaire-priseur, dès lors qu’à l’évidence celui-ci n’intervenait que pour le compte de la SPBL, même si, de part la règlementation des ventes aux enchères, celui-ci avait l’obligation première, de percevoir tous les paiements comptants
Qu’ainsi, si aucune disposition de la Loi de 1985 précitée n’oblige le rétenteur à se dessaisir de la chose “… légitiment retenue... “, celui-ci n’en redevient pas ipso facto propriétaire en raison de l’inexécution persistante du débiteur tant en vertu du principe général du Droit selon lequel nul ne peut se faire justice à lui-même, qu’en conséquence des dispositions de la loi de 1985 sur les contrats en cours (article 37 dernier alinéa) qui précise:
“Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune... résiliation ou résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire”;
Qu’en conséquence, à défaut d’un retour contractuel du droit de propriété dans le patrimoine de la cave coopérative qui en l’espèce, n’était pas prévu dans le cahier des charges de la vente “toques et clochers”, ou d’un retrait amiable contre paiement de l’acquéreur ou des organes de la procédure collective dûment autorisés, il revient au rétenteur de faire purger, judiciairement, son droit de rétention;
B - SUR LE SORT DU DROIT DE RETENTION
Considérant que la disposition de l’article 37 rappelée ci-dessus, prévue pour le redressement judiciaire, demeure valable lorsque la liquidation du débiteur principal s été prononcée, en application de l’article 153-2 alinéa 2 qui accorde expressément au liquidateur les pouvoirs conférés, à l’administrateur au redressement judicaire ;
Qu’en l’espèce, il convient de relever que, par le jugement prononcé le 18 novembre 1994, le Tribunal de Commerce de PONTOISE a, en application des articles 153 de la Loi du 25 janvier 1985 et 119-2 du Décret du 27 décembre 1985, autorisé Me CANET “...à maintenir l’activité et à administrer l’entreprise ASO RESTAURATION... pour une période qui ne saurait excéder deux mois à compter du jugement de liquidation judiciaire rendu le 14 novembre 1994...” qui l’a prononcée;
Qu’en conséquence les dispositions des articles 37 et 159 de la loi de 1985, trouvent ici à s’appliquer;
Considérant les pouvoirs ainsi accordés au liquidateur Me CANET, durant deux mois, celui-ci n’avait qu’une alternative :
- soit se faire autoriser par le juge-commissaire, en payant le prix afin de pouvoir “... retirer ... la chose retenue” (alinéa 1er de l’article 159 de la Loi du 25.01,1985),
- soit “A défaut de retrait, le liquidateur doit, dans les six mois du jugement de liquidation judiciaire, demander au juge-commissaire l’autorisation de procéder à la réalisation ; le liquidateur notifie l’autorisation au créancier quinze jours avant la réalisation (alinéa 2 du même article)
Que dans ce dernier cas (alinéa 2) le liquidateur, qui par le fait de la procédure “en réalisation” de la chose retenue, contraint le rétenteur à prendre la qualité de “créancier”, est tenu de reporter sur le prix le droit de rétention (dernier alinéa de l’article 159 précité)
Que dans cette alternative, à supposer pour les besoins du raisonnement que la procédure en réalisation ait été en l’espèce régulièrement conduite, le rétenteur devenu “créancier” du prix de fa vente de la chose auparavant retenue, devait déclarer sa créance;
Considérant qu’en l’espèce, le liquidateur ne rapporte aucunement la preuve, qu’il ait soit retiré les bouteilles adjugées contre paiement, soit qu’il ait demandé l’autorisation au juge-commissaire de réaliser le lot retenu par SPBL, dans le délai légal imparti par l’alinéa 2 de l’article 159 rappelé ci-dessus;
Qu’en l’espèce, le liquidateur, sachant qu’il était forclos, a tenté en assignant par acte du 25 septembre 1995, soit plus de 6 mois après le jugement de liquidation (14.11.1994), directement le rétenteur en restitution de la chose légitiment retenue, y compris après l’expiration du délai de 2 mois accordé par le même tribunal par son jugement du 18 novembre 1994, rappelé ci-dessus, et surtout sans faire la preuve de l’autorisation du juge commissaire compétent;
Qu’en conséquence Maître CANET doit être déclaré irrecevable en sa demande principale de restitution
Considérant toutefois, malgré la tardiveté et l’irrégularité de l’action formée par Me CANET, la SPBL dont la qualité de rétenteur demeure toujours valable, ne peut se faire justice à elle-même et n’avait le choix qu’entre deux alternatives:
- soit elle sollicitait du Tribunal de Commerce l’autorisation de réaliser la chose et de se payer sur le prix, conformément au dernier alinéa de l’article 159 ci-dessus, au risque qu’en prenant l’initiative de l’action, la SPBL, devenue « rétenteur-poursuivant » elle doive justifier de sa déclaration de créance, surtout si elle sollicite des dommages et intérêts complémentaires censés réparer notamment les frais divers d’immobilisation (article 37 alinéa 5);
- soit, par voie d’exception, profitant de l’action initiée par le liquidateur, elle demandait en sa seule qualité de rétenteur, de constater la résiliation de plein droit prévue à l’article 37 alinéa 3, pour défaut de paiement, sinon de prononcer la résolution judiciaire sur le fondement de l’article 1613 du code civil et du droit commun des contrats
Qu’il résulte des conclusions de la SPBL, en date du 19 novembre 1997, valant mise en demeure de payer, que c’est de cette dernière voie d’exception, qu’en sa seule qualité de rétenteur, elle saisit subsidiairement la Cour; qu’il convient d’observer que la SPBL s’est gardée de solliciter des dommages et intérêts censés réparer notamment des frais divers d’immobilisation de la marchandise du fait de l’inexécution de mauvaise foi du débiteur principal sinon en indemnisant l’inertie ou le refus du liquidateur de continuer le contrat comme l’y autorisait le jugement du 18.11.1994 durant 2 mois, demande qui lui aurait fait prendre la qualité de « créancier poursuivant » soumis à la déclaration de créance ;
Que dans ce cas, le rétenteur, qui n’est pas un créancier poursuivant en raison du caractère personnel de son droit qui n’est autre qu’une exception fondée sur la possession, protégée expressément par la loi, sans pouvoir être assimilée à un privilège ou à une sûreté au sens de l’article 2102 du code civil, n’est pas tenu, pour opposer valablement cette exception, à la déclaration préalable de l’article 48 de la loi précitée;
Considérant qu’il convient de constater qu’à ce jour ni l’acquéreur, ni par la suite le liquidateur, ne s’est acquitté du prix des bouteilles vendues par la SPBL ; qu’en conséquence il échet de prononcer la résolution de le vente relative aux 1968 bouteilles litigieuses, encore on possession du rétenteur;
C - SUR LES AUTRES DEMANDES
Considérant que le liquidateur qui succombe sur le principal de son action, déclarée irrecevable, sera débouté de toutes ses demandes incidentes qui en dépendent par un lien nécessaire de connexité ou d’indivisibilité;
Qu’il devra toutefois régler les entiers dépens de l’instance tant de contredit, qu’au fond
Considérant que les circonstances de l’affaire ne rendent pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties, les frais non compris dans les dépens qu’elles ont dû engager pour la totalité de l’instance;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Vu l’arrêt de contredit prononcé par la Cour de céans, le 9 octobre 1997 (n° 365), portant évocation de l’affaire au fond,
Vu les conclusions des parties
- du 28 avril, 20 août et 9 décembre 1997, pour le demandeur,
- du 7 avril, 4 septembre et 19 novembre 1997 pour la défenderesse;
Reçoit Me Patrick CANET en son action, régulière en la forme,
Vu les articles 153 et suivants, 159 de la Loi du 25 janvier 1985,
Le déclare irrecevable en son action en restitution intentée à l’encontre de la SPBL, rétenteur;
Vu les articles 1613 et 1184 du Code civil,
Déclare la Société Coopérative des Producteurs de Blanquettes de LIMOUX, en sa qualité de rétenteur, recevable et fondée en son exception d’inexécution,
Prononce la résolution de la vente des 1968 bouteilles “Blanquette de Limoux” litigieuses;
Déboute les parties de toutes leurs autres prétentions plus amples ou contraires, comme irrecevables, mal fondées ou devenues sans objet;
Condamne Me Patrick CANET, es-qualité de liquidateur de la SARL ASO RESTAURATION, aux entiers dépens de l’instance, tant de contredit que sur le fond, avec distraction au profit de la SCP LAMBERT DEBRAY CHEMIN, Avoués, conformément aux dispositions de l’article 699 du N .C P. C.