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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 4 novembre 2016, n° 16/03711

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

OPTICAL CENTER (SAS)

Défendeur :

BLI-DBP (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Colette PERRIN

Conseillers :

Véronique RENARD, Sylvie NEROT

Avocats :

Me Michèle B. , Me Anne-Flore C. , Me Pascale F., Me Pierre G.

PARIS, du 29 janv. 2016, n° 14/06864

29 janvier 2016

La société BLI-DBP a pour activité la création et la fabrication de montures de lunettes qu'elle commercialise sous les marques J.F. Rey et Boz.

Elle a notamment créé :

- un modèle référencé JF 2270 en octobre 2008, qui a fait l'objet d'un dépôt de dessin et modèle auprès de l'INPI le 12 décembre 2008 enregistré sous le numéro 08/5592

- un modèle référencé JF 2242 (petite taille) et JF 2243 (grande taille) en octobre 2007, ce dernier modèle ayant fait l'objet d'un dépôt de dessin et modèle auprès de l'INPI le 7 décembre 2007 enregistré sous le numéro 07/5567.

Ayant constaté au mois de février 2012 que la société Optical Center proposait à la vente, notamment sur son site internet www.optical-center.eu, sous la marque Oscar Version, deux modèles de monture de lunettes reproduisant selon elle, les caractéristiques des siennes, la société BLI-DBP l'a assignée en contrefaçon de droits d'auteur et de dessins et modèles déposés par acte du 11 mai 2012.

Par jugement du 14 février 2014, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que la société Optical Center avait commis des actes de contrefaçon en reproduisant le modèle JF 2270 par ses montures de lunettes OV 1002, et l'a condamnée à verser à la société BLI-DBP la somme provisionnelle de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la contrefaçon, se réservant d'évaluer le préjudice, ordonnant, sous astreinte, à la société Optical Center de communiquer à la société BLI-DBP tous documents et factures permettant de connaître les quantités commandées, livrées, reçues, commercialisées et vendues du modèle contrefaisant, ainsi qu'une attestation de son expert-comptable (ou commissaire aux comptes) attestant de la sincérité et de l'exhaustivité des renseignements ou documents communiqués.

La société Optical Center a interjeté appel de ce jugement, et la cour d'appel a confirmé le jugement en toutes ses dispositions.

Par jugement contradictoire du 29 janvier 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :

- condamné la société Optical Center à payer à la société BLI-DBP la somme de 137 318 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamné la société Optical Center à payer à la société BLI-BDP la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et dépens.

Par acte du 9 février 2016, la société Optical Center a interjeté appel de ce jugement qui a été confirmé en toutes ses dispositions par arrêt du 19 mai 2015.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 septembre 2016.

Par dernières conclusions signifiées 12 avril 2016, la société Optical Center demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 29 janvier 2016,

Statuant à nouveau :

- réduire à de plus justes proportions des dommages-intérêts réclamés au titre du manque à gagner ;

- débouter la société BLI-DBP de sa demande au titre des bénéfices réalisés par la société Optical Center ;

- débouter la société BLI-DBP de sa demande au titre du préjudice moral.

Par dernières conclusions signifiées le 24 mai 2016, la société BLI-BDP demande à la cour de :

- confirmer le jugement en que qu'il a estimé son gain manqué du fait de la contrefaçon à la somme de 92 475 euros d'une part et les bénéfices matériels indûment réalisés par la société Optical Center à la somme de 34 843 euros d'autre part et en ce qu'il a condamné la société Optical Center à lui régler ces sommes, outre la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 et les dépens ;

- l'infirmer en ce qu'il a estimé que son préjudice moral devait être évalué à 10 000 euros et statuant à nouveau, condamner à ce titre la société Optical Center à lui régler la somme de 40 000 euros ;

- condamner la société Optical Center à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Optical Center aux entiers dépens, dont distractions au profit de Maitre Pascale F., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le préjudice résultant du manque à gagner

Considérant que la société Optical Center soutient qu'aucune précision n'est fournie quant à la nature de la marge, marge commerciale, brute ou nette et qu'aucun document (facture, élément objectif) ne vient corroborer les chiffres de l'expert-comptable de sorte que c'est à tort que le tribunal a évalué le manque à gagner sur la base d'une marge de 75 euros par paire de lunettes sans imputer les frais généraux, notamment les frais de distribution, de marketing, les impôts et taxes, frais et charges que la société BLI-DBP n'a pas engagés pour les montures qu'elle n'a pas fabriquées ; qu'elle produit une étude parue en 2008 dans la revue « Bien vu » qui montre que la marge brute en matière d'optique est de l'ordre de 20%.

Considérant qu'elle ajoute que le chiffre d'affaires qui a été pris en compte par l'expert-comptable de la société BLI-BDP est communiqué globalement, alors qu'il aurait dû être pris en compte annuellement et non globalement et que la marge prétendue nette de 75 euros doit être limitée aux montures vendues, soit 1106 montures et non à l'ensemble des montures contrefaites, soit 1233.

Considérant que la société BLI-DBP réplique que le calcul du manque à gagner nécessite de prendre en compte la masse contrefaisante et de la multiplier par la marge nette pratiquée par BLI-BDP qui, aux termes de l'attestation de son expert comptable est de 75 euros par monture.

Considérant que la société BLI-DBP a produit une attestation de son expert comptable en date du 23 avril 2012 confirmée par une nouvelle attestation du 14 octobre 2014 qui indique que le prix de vente du modèle JF 2270 est de 125 et la marge nette de 75€ ; que l'expert comptable précise que celle-ci est déterminée « compte tenu des charges et frais spécifiques et de l'évolution des cours des devises » ; que la société Optical Center ne saurait contester le prix de vente qui est celui qui lui a été facturé lors de l'achat de ces montures ; que s'agissant d'une marge nette, comme l'indique l'expert comptable, les charges ont été prises en compte pour sa détermination ; que force est de relever que la marge nette se calcule sur le chiffre d'affaires réalisé dont sont déduites les charges, notamment les frais de conception, les taxes ; que dès lors les frais relatifs à la masse contrefaisante ne sauraient être pris en compte ; que, si la société Optical Center produit aux débats une étude parue en 2006 dans a revue « Bien Vu » faisant état d'une marge brute en matière d'optique de 20% ce qui réduirait la marge de la société BLI-DBP à 25€ par monture, la cour constate que cette étude concerne les prix de détail ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la société BLI-DBP étant un fabricant qui conçoit ses modèles de sorte qu'une étude visant le commerce de détail ne saurait la concerner ; que dès lors c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu le montant de 75€ par monture.

Considérant que, pour apprécier le préjudice de la société BLI-DBP il y a lieu de prendre en considération la masse contrefaisante soit 1233 montures importées d'Asie, chiffre que ne conteste pas la société Optical Center qui affirme seulement n'en avoir commercialisé que 1106, le reste étant demeuré en stock ; qu'il n'en demeure pas moins que la société Optical Center a importé la totalité des pièces pour les offrir à la vente ; qu'il n'y a pas lieu de limiter le préjudice de la société BLI-DBP aux seules pièces vendues.

Considérant, en conséquence, qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à 92 475 euros le manque à gagner subi par la société BLI-DBP.

Sur le préjudice résultant des bénéfices réalisés par la société Optical Center

Considérant que la société Optical Center fait valoir que par cette demande, la société BLI-DBP tente d'obtenir une double réparation la plaçant dans une situation meilleure que si elle avait vendu les montures en cause.

Considérant que la société Optical Center indique avoir réalisé un chiffre d'affaires de 104 529,82€ pour 1106 montures ce qui aux termes de l'étude qu'elle a produite sur le commerce de détail aurait généré une marge brute de 34 843€ ; que s'agissant de produits contrefaits elle ne saurait alléguer de frais de développement, de savoir faire et d'impôts pour diminuer cette marge et évaluer sa marge nette à 5,96% soit 6 229,97€.

Considérant qu'aux termes des articles L331-1 et L521-7 du code de la propriété intellectuelle le législateur a pris en considération toutes « les conséquences économiques négatives » de la contrefaçon qui, si elle a entrainé un manque à gagner pour la victime, a assuré un bénéfice pour le contrefacteur.

Considérant que, si la société BLI-DBP a perdu un gain sur la masse contrefaisante, elle a également subi un préjudice économique résultant de la mise sur le marché de cette masse qui a affecté son propre développement économique, un certain nombre de clients potentiels s'étant déportés vers la société Optical Center d'autant que la vente a porté sur un nombre important de montures, soit 1 106 montures, que les montures de la société BLI-DBP étaient des montures haut de gamme et que la société Optical Center indique que la comparaison des deux modèles n'a jamais permis de qualifier de mauvaise qualité le second quand bien même il était vendu à un prix inférieur ; qu'en conséquence c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la société Optical Center à verser à la société BLI-DBP la somme de 34 843€.

Sur le préjudice moral

Considérant que la société BLI-DBP fait valoir qu'elle ne commercialise plus le modèle de montures JF 2270 depuis novembre 2012 à cause de l'ampleur de la contrefaçon dont elle a été victime, qui a contribué à dévaloriser ses produits entraînant leur obsolescence.

Considérant que la société Optical Center fait valoir que ses produits étant fabriqués dans des matériaux identiques, ils n'ont pas vulgarisé le modèle de la société BLI-DBP, société qui n'est pas connue du grand public.

Considérant que si la société BLI-DBP n'est pas connu du grand public par sa raison sociale, elle l'est à travers sa marque « Rey » ; qu'il n'est pas contesté en revanche qu'elle est un fabricant connu des détaillants qui sont ses clients, participant régulièrement à raison de deux fois par an au Salon International de l'Optique ce qui lui a valu des récompenses.

Considérant que dès lors la commercialisation par un détaillant d'un modèle contrefait à un prix inférieur constitue un obstacle à la fidélisation de ses clients habituels et prive ses investissements de conception et de promotion de leur efficacité d'autant que le contrefacteur occupe une position stratégique dans le secteur de l'optique possédant plus d'une centaine de points de vente en France outre le développement de ses ventes sur internet ;

Considérant que le préjudice moral de la société BLI-DBP est important et n'a pas été suffisamment réparé par les premiers juges ; qu'il y a lieu de réformer la décision entreprise et de condamner la société Optical Center à lui verser la somme de 30 000€ ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Considérant que la société BLI-DBP a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le préjudice moral de la société BLI-DBP.

Et statuant à nouveau de ce chef,

CONDAMNE la société Optical Center à payer à la société BLI-DBP la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

CONDAMNE la société Optical Center à payer à la société BLI-DBP la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société Optical Center aux entiers dépens, dont distractions au profit de Maître Pascale F., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.