Cass. com., 24 juin 2014, n° 13-18.317
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
Me Bouthors, SCP Célice, Blancpain et Soltner
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 11 mars 2013), que le 4 mai 1991, les sociétés Ferronneries du Midi et Les Portes de Toulouse (les co-aménageurs) ont conclu avec les sociétés 3F, Fonta promotion et Malardeau réalisations un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée en vue de la réalisation d'une zone d'aménagement concerté (ZAC) ; qu'il était stipulé que ces trois sociétés se substitueraient une société en nom collectif Portes de Toulouse ingénierie dans laquelle elles seraient seules associées ; que la ZAC a été créée par délibération du conseil municipal de la ville de Toulouse en date du 20 décembre 1991 ; que le 1er juin 1992, les co-aménageurs ont déposé en mairie le dossier de réalisation de la ZAC ; que la SNC Toulouse Ingénierie, ultérieurement devenue la SARL Toulouse ingénierie, a été immatriculée le 10 décembre 1992 ; que le 21 janvier 1994, elle a conclu avec les co-aménageurs un avenant réduisant le montant de l'honoraire initialement convenu ; qu'après avoir, le 23 décembre 1994, approuvé le dossier de réalisation de la ZAC, la commune a signé avec les co-aménageurs, le 2 janvier 1995, une convention d'aménagement et d'équipement de la ZAC, qu'elle a résiliée le 23 février 1998 ; que la société Toulouse ingénierie a fait assigner en règlement de trois factures d'honoraires restées impayées la société Ferronneries du Midi, laquelle s'est opposée à sa demande ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Ferronneries du Midi fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevables les demandes de la SARL Toulouse ingénierie tendant au paiement des trois factures, alors, selon le moyen : 1°/ que si l'immatriculation d'une société au registre du commerce et des sociétés peut emporter la reprise des engagements souscrits antérieurement à la signature des statuts par ses associés lorsque ces derniers ont indiqué agir pour le compte de la société en formation, avec mention des renseignements permettant d'identifier la société, encore faut-il qu'un état des engagements pris ait été annexé aux statuts, avec l'indication pour chacun d'eux des obligations qui en résulteraient pour la société ; qu'en l'espèce, la société Ferronneries du Midi faisait valoir dans ses dernières écritures que la société Toulouse ingénierie n'avait été immatriculée au registre du commerce et des sociétés que le 10 décembre 1992, et que les statuts de cette société, produits devant les premiers juges, ne portaient aucune mention de reprise du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée conclu le 4 mai 1991 ; qu'elle observait que si une version différente des statuts de la société Toulouse Ingénierie était produite en appel, cette version ne correspondait pas à celle qui était seule consultable au registre du commerce et des sociétés de Toulouse et, à ce titre, seule opposable aux tiers ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que le contrat de maîtrise d'ouvrage délégué en date du 4 mai 1991 avait fait l'objet d'une reprise par la société Toulouse ingénierie de sorte que l'action en paiement de cette dernière devait être déclarée recevable, que « l'article 34 des statuts de la SNC Toulouse ingénierie (pièce 52) contenait la reprise du contrat de maîtrise d'ouvrage délégué en date du 4 mai 1991 » sans examiner, ne serait-ce que sommairement, la pièce invoquée par la société Ferronneries du Midi, produite sous le numéro 26 devant le tribunal et sous le numéro 62 en appel et dont il résultait le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 2°/ que l'immatriculation d'une société n'emporte la reprise des engagements souscrits antérieurement à la signature des statuts par ses associés qu'à la condition que ces derniers aient indiqué agir pour le compte de la société en formation, avec mention des renseignements permettant d'identifier la société ; que cette condition n'est pas remplie lorsque les associés ont agi en leur nom personnel en se réservant simplement la faculté de se substituer une société dont ils seraient les seuls associés ; qu'en l'espèce, pour retenir que le contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée conclu le 4 mai 1991 entre d'une part les sociétés Ferronneries du Midi et Les Portes de Toulouse, maîtres d'ouvrage, et, d'autre part, les sociétés 3F, Fonta et Marladeau réalisations, en qualité de maître d'ouvrage délégué, avait fait l'objet d'une reprise par la SNC Toulouse Ingénierie de sorte que l'action en paiement de cette dernière contre la société Ferronneries du Midi devait être déclarée recevable, la cour d'appel s'est bornée à relever que « l'article 34 des statuts de la SNC Toulouse Ingénierie (pièce 52) contenait la reprise du contrat de maîtrise d'ouvrage délégué en date du 4 mai 1991 » et que « l'assemblée de la SNC Toulouse ingénierie, par délibération en date du 10 janvier 1994 (pièce 53) avait décidé de transformer la société en une société à responsabilité limitée » ; qu'en se déterminant par un tel motif, sans constater que, pour la signature du contrat de maîtrise d'ouvrage délégué en date du 4 mai 1991, les sociétés 3F, Fonta et Marladeau réalisations, maître d'ouvrage délégué, auraient indiqué agir pour le compte d'une société en formation, avec mention des renseignements permettant d'identifier ladite société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1843 du code civil ; 3°/ que pour produire ses effets, la reprise des contrats conclus par les associés d'une société en formation doit être expresse et univoque ; que pour retenir que la SARL Toulouse ingénierie avait valablement repris les engagements de ses associés, les premiers juges ont relevé que deux procès-verbaux d'assemblée générale du 14 décembre 1993 et du 21 décembre 1994 visaient la convention de maîtrise d'ouvrage et son avenant ; qu'à le supposer adopté, en statuant par un tel motif inopérant, sans constater que ces procès-verbaux auraient renfermé une décision expresse et suffisamment précise de reprise de ces contrats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1843 du code civil ; 4°/ que, subsidiairement, pour produire ses effets, la reprise expresse des contrats conclus par les associés d'une société en formation ne peut résulter que d'un acte postérieur à l'immatriculation de celle-ci ; que pour retenir que la SARL Toulouse ingénierie avait valablement repris les engagements de ses associés, les premiers juges ont relevé que les contrats du 19 novembre 1991 entre Toulouse ingénierie en cours de constitution et 3F, Fonta promotion et Malardeau réalisations faisaient mention de la reprise des engagements depuis la signature du contrat de maîtrise d'ouvrage ; qu'en statuant par un tel motif, impropre à faire ressortir que la société Toulouse ingénierie aurait, postérieurement à son immatriculation survenue le 10 décembre 1992, repris les contrats litigieux, la cour d'appel a violé l'article 1843 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate, par motifs adoptés, que la société Ferronneries du Midi, à qui la société Toulouse ingénierie avait facturé la quote-part la concernant, n'a jamais, au travers de ses correspondances, remis en cause la qualité de son cocontractant ; qu'il relève que l'avenant conclu le 21 janvier 1994 entre, d'une part, les co-aménageurs, d'autre part, la société Toulouse ingénierie en est l'illustration puisque cet avenant, qui comporte des modifications de nature financière, précise que les autres termes du contrat du 4 mai 1991 demeurent inchangés ; qu'en l'état de ces constatations faisant ressortir l'accord des parties pour substituer la société Toulouse ingénierie, postérieurement à son immatriculation, aux sociétés 3F, Fonta promotion et Malardeau réalisations dans l'exécution du contrat initialement conclu entre ces dernières et les co-aménageurs, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire application des dispositions de l'article 1843 du code civil, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Ferronneries du Midi fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer certaines sommes à la société Toulouse ingénierie, alors, selon le moyen : 1°/ que l'exécution d'une obligation contractée sous une condition suspensive et dépendant d'un événement futur et incertain ne devient exigible que s'il s'avère que l'événement s'est réalisé ; qu'en l'espèce, pour s'opposer au paiement des deuxième et troisième factures émises par la société Toulouse ingénierie au titre de la convention de maîtrise d'ouvrage déléguée modifiée par avenant en date du 21 janvier 1994, la société Ferronneries du Midi faisait valoir que les obligations dont elles procédaient étaient subordonnées à la condition tenant à la survenance d'une délibération du conseil municipal de la ville de Toulouse approuvant définitivement la réalisation de la ZAC des Ponts Jumeaux, et que cette condition n'était pas remplie en l'espèce dès lors que la délibération invoquée par la société Toulouse ingénierie en date du 23 décembre 1994 avait approuvé la réalisation de la ZAC sur la base d'une convention soumise à une condition de maîtrise foncière des terrains par les co-aménageurs, condition qui avait défailli, de sorte que la délibération d'approbation de la ZAC ne pouvait revêtir un caractère définitif ; qu'en se bornant à relever, pour retenir que les factures litigieuses étaient exigibles, qu'une délibération du conseil municipal avait été prise qui avait approuvé le dossier de réalisation de la ZAC et qu'aucun recours contentieux n'avait été formé contre ladite délibération, sans rechercher si la défaillance de la condition suspensive de maîtrise foncière de terrains n'interdisait pas de retenir que la réalisation de la ZAC avait été « approuvée » au sens où l'avaient entendu les parties à l'avenant du 21 janvier 1994, de sorte que les factures litigieuses émises par la société Toulouse ingénierie ne pouvaient être regardées comme exigibles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1181 du code civil ; 2°/ que pour retenir que l'ensemble des factures litigieuses étaient exigibles, la cour d'appel a relevé « que le caractère définitif de la délibération était la condition du troisième paiement défini à l'avenant du 21 janvier 1994, les deux paiements précédents intervenant à des étapes préalables à la délibération qui ont été nécessairement exécutées » ; qu'en statuant par un tel motif inopérant, quand il lui appartenait, ainsi qu'elle y était invitée, de constater concrètement, pour chacune des factures, que l'événement dont dépendait l'exigibilité de l'obligation afférente s'était réalisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1181 du code civil ; 3°/ que la société Ferronneries du Midi faisait valoir, dans ses dernières écritures, que l'intention des parties était de ne permettre la mise en paiement de la troisième facture qu'une fois la réalisation de la ZAC assurée et que la purge du droit des tiers n'avait pas suffi à rendre définitive une décision dont la condition suspensive d'acquisition des terrains n'avait jamais été levée ; qu'elle soutenait que l'absence de réalisation de cette condition à laquelle était subordonnée la mise en paiement de la troisième facture ressortait du fait que la SNC Les Portes de Toulouse s'était abstenue de tout commencement de réalisation de la ZAC sur les terrains dont elle était propriétaire ; qu'en se bornant à relever, pour retenir que les factures litigieuses étaient exigibles, que le caractère définitif de la délibération était la condition du troisième paiement défini à l'avenant du 21 janvier 1994, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la circonstance que la SNC Les Portes de Toulouse elle-même se soit abstenue de tout commencement d'exécution des travaux de réalisation de la ZAC sur les terrains dont elle était propriétaire n'établissait pas que, dans l'esprit des parties, la troisième facture ne pouvait être mise en paiement qu'une fois la réalisation de la ZAC assurée, de sorte que, cette condition ayant défailli, la facture litigieuse émise par la société Toulouse ingénierie ne pouvait être regardée comme exigible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1181 du code civil, ensemble l'article 1134 du même code ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation du sens et de la portée de la clause litigieuse de l'avenant du 21 janvier 1994, retenu que la délibération approuvant le dossier de réalisation de la ZAC était devenue définitive en l'absence de recours contentieux formé contre cette délibération, la cour d'appel n'avait pas à effectuer les recherches dès lors inopérantes invoquées par les première et troisième branches ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant constaté que le caractère définitif de la délibération était la condition du troisième paiement défini par cet avenant, et relevé que les deux premiers paiements devaient intervenir à des étapes antérieures qui avaient été nécessairement exécutées, la cour d'appel a, par ces motifs, légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Ferronneries du Midi fait également grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'intégralité de ses demandes, alors, selon le moyen : 1°/ qu'elle faisait valoir qu'en exécution du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée en date du 4 mai 1991, le mandataire avait accompli des prestations bien au-delà de la signature de l'avenant du 21 janvier 1994, de sorte que rien n'interdisait à la cour d'appel de procéder à la réduction de la rémunération convenue dès lors que son caractère excessif était démontré ; qu'en effet, en contrepartie d'une rémunération globale, le contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée en date du 4 mai 1991 confiait aux sociétés 3F, Fonta et Marladeau réalisations la réalisation de prestations dépassant la seule mise au point des dossiers de création et de réalisation de la ZAC (PAZ, RAZ, Bilan etc.), et incluant en outre une mission d'ingénierie nécessaire à la réalisation des VRD, le pilotage et la coordination des travaux de VRD, ainsi que la gestion juridique, administrative et financière relative aux études et à la réalisation de la ZAC ; qu'en retenant que la prestation mise à la charge du maître d'ouvrage délégué avait été réalisée le 1er juin 1992, date de remise par la société Marladeau réalisations du dossier de réalisation de la ZAC, pour en déduire que l'honoraire fixé à l'avenant du 21 janvier 1994 avait été accepté après l'exécution de la mission, de sorte que la société Ferronneries du Midi devait être déboutée de sa demande subsidiaire tendant à voir réduire la rémunération sollicitée par la SARL Toulouse ingénierie à raison de son caractère excessif, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ; 2°/ que les tribunaux disposent du pouvoir de réduire les honoraires des professionnels qui, bien que consentis en contrepartie de l'exécution de prestations, leur paraissent exagérés ; qu'ils ne sont privés de ce pouvoir modérateur que lorsque les honoraires contestés ont été acceptés en connaissance de cause par le débiteur après l'exécution de la mission et en connaissance du service rendu ; que s'agissant d'une obligation de résultat, le service rendu s'entend non de la prestation accomplie mais du résultat définitivement obtenu ; qu'en déboutant la société Ferronneries du Midi de sa demande subsidiaire tendant à voir réduire la rémunération sollicitée par la SARL Toulouse ingénierie à raison de son caractère excessif, au motif impropre à justifier légalement sa décision que l'honoraire initialement prévu avait été renégocié et accepté par avenant en date du 21 janvier 1994, après l'exécution de la mission, sans constater, ainsi qu'elle y était expressément invitée, qu'à cette date le résultat escompté par le mandant, soit la possibilité concrète de valorisation de son patrimoine, aurait été obtenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté qu'il résultait des pièces produites par la société Ferronneries du Midi que la prestation qui lui avait été ultérieurement facturée avait été réalisée le 1er juin 1992, et relevé que le principe et le montant de la rémunération due en contrepartie de cette prestation avaient été acceptés par cette société après service rendu, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des allégations dépourvues d'offre de preuve, a statué à bon droit ;
Et attendu, d'autre part, que le contrat liant les parties n'ayant pas subordonné le versement de la rémunération à l'obtention du résultat escompté, le grief invoqué par la seconde branche est inopérant ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Ferronneries du Midi fait encore grief à l'arrêt d'avoir dit que les intérêts au taux légal devaient s'appliquer sur les sommes dues au titre de la rémunération, taxe à la valeur ajoutée incluse, alors, selon le moyen, que les intérêts moratoires, qui réparent un préjudice dû au retard du débiteur dans le paiement d'une somme d'argent, ont un caractère indemnitaire ; qu'ainsi, en application du principe de la réparation intégrale, leur montant ne saurait excéder celui du préjudice effectivement subi par le créancier du fait du retard dans le paiement ; qu'en l'espèce, la société Ferronneries du Midi faisait valoir que la société Toulouse ingénierie n'avait pas supporté la TVA sur les factures impayées et que ce fait n'était pas contesté ; qu'il en résultait qu'elle n'avait en tout état de cause subi aucun préjudice du fait du retard dans le paiement de la TVA, de sorte que l'assiette devant être retenue pour le calcul des intérêts moratoires était non pas le montant TTC mais le montant hors taxes des factures litigieuses ; qu'en énonçant, pour débouter la société Ferronneries du Midi de sa demande subsidiaire tendant à ce que le montant des intérêts moratoires soit calculé sur une base hors taxe, qu'il est de principe que l'assiette des intérêts moratoires, comme celle des pénalités de retard, inclut la taxe à la valeur ajoutée, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
Mais attendu que dès lors que les intérêts moratoires indemnisent le retard dans le paiement de la somme due, c'est sans méconnaître le principe de la réparation intégrale que la cour d'appel, qui a constaté que la société Ferronneries du Midi était redevable envers la société Toulouse ingénierie du montant total des factures impayées, incluant la taxe à la valeur ajoutée, a retenu que l'assiette des intérêts moratoires devait inclure cette taxe ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.