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Décisions

Cass. crim., 30 avril 2003, n° 02-84.505

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Thin

Avocat général :

M. Finielz

Avocat :

Me Foussard

Caen, ch. corr., du 27 mai 2002

27 mai 2002

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 313-1, 313-7, 313-8, 441-1, 441-10 et 441-11 du Code pénal, de l'article 6 1er de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Guy X... coupable d'escroquerie et, en répression, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis outre des dommages et intérêts ;

"aux motifs que José De Y..., gérant de la SARL De Sa et Cie, s'apercevait en 1998 que ses factures de livraison de gaz avaient augmenté de façon très sensible ; que le 29 juillet 1998, il faisait appel à un huissier de justice afin que celui-ci constate avant la livraison les bouteilles à remplacer et après livraison celles livrées effectivement ; que l'huissier n'assistait pas à la livraison demandée à Guy X... et ne revenait que lorsque la livraison était effectuée ; que le constat dressé mentionne qu'avant la livraison, il y avait six bouteilles dont deux pleines et après la livraison six bouteilles pleines dont les deux qui étaient présentes avant la livraison ; que, le 25 août 1998, José De Y... déposait plainte contre Guy X... en l'accusant d'avoir facturé deux fois certains produits et de n'avoir pas livré certains produits facturés ; que Guy X... contestait les faits reprochés et indiquait qu'il n'y avait pas eu de surfacturation et que tout ce qui avait été facturé avait été livré ; qu'il contestait le constat fait par l'huissier et indiquait qu'il avait effectué la livraison le 28 juillet 1998, comme indiqué sur le bon de livraison, et non le 29 juillet ; qu'il ajoutait que, le 28 juillet, il avait repris cinq bouteilles vides et en avait remis cinq pleines, mais en avait facturé sept car deux bouteilles avaient été livrées au mois de janvier 1998 en dépôt à Beuzeville et ne lui avaient pas été restituées ; qu'il précisait que la surconsommation de gaz pouvait être due au fait que José De Y... utilisait de vieux manomètres susceptibles de laisser fuir le gaz et d'entraîner une consommation excessive ; qu'il imputait l'origine de la plainte à l'expert-comptable avec lequel il était en procès et qui était aussi au service de José De Y... ; qu'entendue, Mme Z..., secrétaire de José De Y..., déclarait qu'elle n'assistait pas à la livraison et ne réceptionnait pas les bouteilles que Guy X... déposait dans le couloir ; qu'elle précisait que, concernant la livraison visée par le constat d'huissier, elle se souvenait avoir payé en faisant un chèque le jour de la livraison ; que lors de la confrontation, elle maintenait ses précédentes déclarations et indiquait que, préalablement au constat d'huissier, plusieurs tests avaient été faits en relevant les numéros des bouteilles avant la livraison, tests qui avaient fait apparaître sur les factures que Guy X... faisait payer non seulement les bouteilles vides qu'il avait changées, mais également les pleines déposées ; qu'elle confirmait que le jour du constat d'huissier, elle avait dit à Guy X... de reprendre les bouteilles mais qu'elle n'avait pas vérifié les numéros ; qu'elle était restée dans le bureau pendant qu'il faisait l'échange des bouteilles et qu'elle lui avait remis le chèque en paiement ; qu'elle affirmait que le jour où l'huissier avait fait son constat correspondait à une livraison effectuée par Guy X... ; qu'elle précisait que, ce jour-là, elle devait prévenir l'huissier dès que Guy X... aurait effectué sa livraison et qu'il ne pouvait y avoir d'erreur ; que Guy X... maintenait ses dénégations, affirmant avoir livré le 28 juillet et non le 29 juillet, n'ayant pas travaillé ce jour-là car il avait rendez- vous à la polyclinique de Deauville et que son camion était immobilisé au garage ; qu'il ajoutait que le 29 juillet, il s'était rendu en compagnie de son épouse à l'entreprise De Sa où Mme Z... lui avait remis le chèque en paiement, car elle n'avait pas le carnet de chèques la veille ; que Mme Z... maintenait que Guy X... avait livré la marchandise le 29 juillet et qu'elle l'avait payé ; qu'elle ajoutait que Mme X... ne l'accompagnait pas, que Mme X... confirmait les dires de son mari, qu'Hervé A..., garagiste, indiquait qu'il avait eu en 1998 le véhicule de Guy X... en réparation ; que ce dernier avait déposé son véhicule dans son garage pour un contrôle le matin de bonne heure et l'avait récupéré le soir ou le lendemain, mais ne pouvait affirmer la date précise ; que Guy X... avait pu mettre son véhicule au garage le 28 juillet et le récupérer le 29 juillet, ce qui ne l'empêchait pas d'effectuer la livraison à l'heure indiquée au constat ; que, par ailleurs, s'il a été fait l'achat de manomètres, celui-ci l'a été le 30 avril 1998, soit avant le constat, alors que le résultat de l'examen du détenteur défectueux par Air Liquide n'est établi que par une lettre du 26 octobre 1999 ; qu'en outre, les éléments comptables produits font apparaître que les facturations de gaz sont redevenues équivalentes aux années antérieures depuis que la SARL De Sa Fils et Cie a changé de fournisseur ; qu'il apparaît des éléments ci-dessus analysés et des constatations de l'officier public ministériel des contradictions relevées dans les déclarations de Guy X... concernant la facturation, notamment celle datée du 28 juillet afférente au constat portant sur sept bouteilles et qui ne fait nullement état de ce que certaines le seraient à raison de dépôts antérieurs ; que les faits, objet de la poursuite, sont établis ; qu'en conséquence, le jugement entrepris sera réformé, Guy X... sera déclaré coupable du délit d'escroquerie et qu'il sera fait à son encontre application de la loi pénale en tenant compte de la nature des faits commis et des éléments de sa personnalité ;

"alors que, premièrement, le simple mensonge, même produit par écrit, ne peut constituer une manoeuvre caractéristique du délit d'escroquerie, s'il ne s'y joint aucun fait extérieur ou acte matériel, aucune mise en scène ou intervention d'un tiers destinés à lui donner force et crédit ; qu'à ce titre, le fait pour un commerçant d'émettre une facture pour réclamer le paiement d'une somme, en réalité non due, ne constitue qu'un mensonge écrit qui ne saurait, à lui seul, caractériser le délit d'escroquerie s'il ne s'y joint aucun fait extérieur, aucun acte matériel, aucune mise en scène ou intervention de tiers destinés à donner force et crédit à l'allégation mensongère ; qu'au cas d'espèce, à supposer même que la facture du 29 juillet 1998 ait réclamé le paiement de bouteilles non livrées, cette circonstance ne constituait qu'un simple mensonge qui, à défaut d'autre élément, ne pouvait constituer une manoeuvre frauduleuse ; qu'en retenant néanmoins Guy X... dans les liens de la prévention, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;

"et alors que, deuxièmement et en tout cas, en ne recherchant pas, comme il leur était demandé, si Guy X... n'avait pas facturé sept bouteilles bien qu'il n'en ait livré que cinq, la facturation des deux bouteilles correspondant à une livraison antérieure, les juges du fond ont, en toute hypothèse, privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 313-1 du Code pénal ;

Attendu que tout jugement ou arrêt en matière correctionnelle ou de police doit constater l'existence de tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ;

Attendu que, pour déclarer Guy X... coupable d'escroquerie, la cour d'appel énonce que celui-ci, qui fournissait des bouteilles de gaz à la société De Sa, avait majoré les quantités de marchandises livrées dans ses factures, dont le paiement était assuré par la secrétaire de la société, sans aucune vérification préalable ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans relever l'existence d'éléments extérieurs de nature à donner aux fausses indications portées sur les factures, force ou crédit, alors que le fait pour un commerçant d'envoyer une facture pour demander le paiement d'une somme, en réalité non due en tout ou en partie, ne constitue qu'un mensonge écrit, qui ne saurait, à lui seul, caractériser le délit d'escroquerie et dès lors que les mêmes faits ne peuvent être poursuivis deux fois sous des qualifications différentes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 27 mai 2002, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Caen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.