Cass. 1re civ., 5 juillet 1989, n° 86-13.600
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ponsard
Rapporteur :
M. Viennois
Avocat général :
Mme Flipo
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, SCP Waquet et Farge
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 28 février 1986), que, par acte dressé les 1er et 6 juillet 1981 par M. X..., notaire, la " Chase Manhattan Bank " (la banque) a consenti à la société " Vidéo 2000 Caraïbes " (la société) un prêt de 250 000 francs, avec un nantissement sur un fonds de commerce à hauteur de 150 000 francs ; qu'il était mentionné à l'acte que la société n'avait pas encore régularisé son inscription au registre du commerce et des sociétés ; qu'en application de l'article 11 de la loi du 17 mars 1909, le notaire a demandé l'inscription de ce nantissement qui n'a pas été réalisée dans le délai légal de quinze jours et n'a été reçue que le 4 août 1981 ; que la société n'ayant pas rempli ses engagements, la banque n'a pas pu faire jouer la sûreté qui lui avait été consentie ; qu'elle a assigné M. X... en paiement du montant de la somme due par la société, en invoquant le manquement de l'officier public à son devoir de conseil et le défaut d'inscription du nantissement dans le délai légal ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la banque reproche à la cour d'appel de l'avoir déboutée de son action en responsabilité pour défaut d'inscription du nantissement dans le délai légal, alors, selon le moyen, d'une part, que constitue une faute, pour un notaire, le fait d'inscrire un nantissement de fonds de commerce hors du délai légal, quels qu'aient pu être, par ailleurs, les effets de ce nantissement ; alors, d'autre part, qu'aucune disposition légale ne prévoyant que l'absence d'immatriculation d'une société commerciale au registre du commerce rende inefficace entre les parties l'inscription du nantissement de son fonds de commerce, la cour d'appel ne pouvait déduire de cette absence d'immatriculation le fait que le notaire n'avait commis aucune faute en inscrivant le nantissement hors délai, de sorte qu'a été violé l'article 1er de la loi du 17 mars 1909 ; et alors, de troisième part, qu'il avait été soutenu que le fonds de commerce litigieux avait une existence réelle, ce qui rendait inapplicable l'article 2130 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que l'absence d'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés de la Martinique en qualité de propriétaire du fonds, fût-ce à titre d'immatriculation secondaire, interdisait l'inscription du nantissement, la circonstance que le fonds ait pu exister comme déjà exploité étant inopérante à cet égard ; qu'en l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a pu décider que M. X... n'avait pas commis de faute génératrice d'un dommage en ne réalisant pas l'inscription dans le délai fixé à l'article 11 de la loi du 17 mars 1909 ; d'où il suit qu'en aucune de ses branches, le moyen n'est fondé ;
LE REJETTE ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour débouter la banque de sa demande fondée sur le manquement du notaire à son devoir de conseil, la cour d'appel énonce qu'elle ne démontre pas que M. X... ait manqué à ce devoir puisqu'elle n'avait pas sollicité de conseil de cet officier public et qu'elle l'avait, au contraire, requis avec la société emprunteuse de " constater par acte authentique un prêt dont les parties avaient déjà convenu le montant et les modalités ", le notaire n'ayant été que le rédacteur de leur convention ;
Attendu que les notaires, tenus professionnellement d'éclairer les parties, se doivent d'appeler leur attention sur les conséquences et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ; qu'en se prononçant comme elle a fait, alors qu'en l'espèce, il appartenait à M. X..., rédacteur de l'acte, de signaler à la banque les risques qu'elle courait du fait de l'immatriculation non encore réalisée de la société qui consentait un nantissement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans les limites du premier moyen, en ce qu'il a dit que M. X..., notaire, n'avait pas manqué à son devoir de conseil, l'arrêt rendu le 28 février 1986, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre.