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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 9 septembre 2015, n° 13/17510

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Hotel De France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Parant

Avocat :

Selarl 2h Avocats

TGI Bobigny, du 3 juill. 2013, n° 11/045…

3 juillet 2013

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 30 mai 2008, M. H. et Mme L., aux droits desquels vient la société Hôtel de France, ont consenti à Madame Fatma J. un bail commercial 'tous commerces' portant sur un local sis [...].

En 2009 et 2010, les parties ont échangé de nombreuses correspondances relatives à l'installation d'une laverie dans les lieux loués, le bailleur estimant qu'il convenait de vérifier les conditions d'installation d'une telle exploitation au regard des clauses du bail.

Le 28 décembre 2009 et le 8 novembre 2010, la société Hôtel de France a fait délivrer à Mme J. un commandement de payer visant la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers.

Par exploit du 27 janvier 2011, la société Hôtel de France a assigné en référé Madame J. pour obtenir la résiliation du bail.

Parordonnance du 30 mars 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny

A rejeté la demande d'acquisition de la clause résolutoire et a désigné Monsieur C. en qualité d'expert.

Par actes des 11 et 15 février 2011, Mme J. a assigné la société Hôtel de France devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fi ns notamment de voir dire injustifiée et abusive l'opposition du bailleur aux travaux d'installation de la laverie, de l'autoriser à suspendre le règlement des loyers jusqu'à la réalisation des travaux et à faire réaliser les travaux de confortement du plancher et ceux nécessaires à l'installation de la laverie, et de la condamner à l'indemniser du préjudice subi.

L'expert a déposé son rapport le 18 février 2012.

Par jugement du 3 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

- débouté Madame J. de l'ensemble de ses demandes,

- prononcé la résiliation du bail commercial,

- ordonné l'expulsion de Mme J., si besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier,

- dit n'y avoir lien d'ordonner une astreinte,

- autorisé la société Hôtel de France à faire transporter et séquestrer dans tout garde -meuble de son choix les meubles et objets mobiliers qui se trouveraient dans les lieux au jour de l'expulsion aux frais de Mme J.,

- condamné Mme J. à payer à la société Hôtel de France une indemnité d'occupation égale au montant du dernier loyer et ce, jusqu' à la remise des clefs et libération des lieux,

- débouté la société Hôtel de France de sa demande en remboursement des honoraires de Monsieur B.,

- débouté la société Hôtel de France de sa demande en paiement des loyers,

- condamné Mme J. à payer à la société Hôtel de France la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme J. aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Mme J. a relevé appel de ce jugement le 30 août 2013.

Par ses dernières conclusions du 24 octobre 2013, elle demande à la cour de :

- déclarer recevables et bien fondées ses prétentions,

en conséquence :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- lui donner acte à de son engagement d'exécuter à sa charge les travaux de confortation du plancher selon les préconisations du cabinet Etech, son conseil ingénieur « Béton '' et M. C., expert judiciaire,

- dire et juger abusif le refus du bailleur de la laisser réaliser les travaux sollicités,

- l'autoriser à suspendre le paiement du loyer à compter de la date de délivrance de l'assignation et jusqu'à la date de début des travaux,

- l'autoriser à faire réaliser les travaux préconisés pour le confortement du plancher et ceux nécessaires à l'installation de la laverie,

- condamner la société Hôtel de France à lui restituer l'intégralité des loyers versés depuis le mois de novembre 2009 et jusqu'au jour de la décision à intervenir,

- condamner la société Hôtel de France à lui verser la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi,

- condamner la société Hôtel de France à lui payer la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions du 13 avril 2015, la société Hôtel de France demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée,

- écarter les pièces visées par Mme J., lesquelles n'ont pas été communiquées simultanément à la notification de ses conclusions,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celle relative à la demande de remboursement des honoraires de Monsieur B.,

en conséquence,

- débouter Mme J. de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme J. à lui verser la somme de 24 722,16 € au titre des frais de remise en état du local ainsi qu'à rembourser la facture de M. B. du 30 juillet 2014 de 960 €,

- condamner Mme J. à lui rembourser les honoraires versés à monsieur B., soit la somme de 1255,80 € au titre de sa facture du 8 décembre 2012, avec intérêts au taux légal,

- condamner Mme J. à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.

MOTIFS

Sur la demande de rejet de pièces

La société Hôtel de France demande que les pièces de Mme J. communiquées postérieurement à ses conclusions soient écartées des débats par application des articles 906, 908 et 909 du code de procédure civile.

Si l'article 906 du code de procédure civile prévoit que les conclusions doivent être notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parti es à l'autre partie, elles ne peuvent être écartées qu' autant que la communication serait intervenue dans des conditions telles qu'elle aurait enfreint le caractère contradictoire des débats en empêchant la société Hôtel de France de les examiner et d'y répondre, ce qui n'est pas invoqué de sorte que la cour n'écartera pas des débats les pièces communiquées par Mme J. après la noti fi cation de ses conclusions.

Sur les travaux et sur les demandes de Mme J. :

Mme J. soutient qu'elle a normalement sollicité du bailleur l'autorisation de réaliser les travaux nécessaires à l'installation d'une laverie dans les lieux loués ; qu'elle s'est engagée à les financer et à les faire réaliser sous la surveillance de l'architecte désigné ; que ces travaux indispensables à l'exploitation normale de son activité avaient pour effet de renforcer la structure de l'immeuble. Le refus du bailleur n'est ni légitime ni justifié et sera considéré comme abusif.

La société Hôtel de France renvoie à l'examen du bail qui exige le consentement du bailleur pour l'exécution des travaux nécessaires à l'exploitation de la laverie ; elle fait valoir que les travaux touchent à la structure de l'immeuble et qu'elle est parfaitement en droit de refuser de les exécuter, qu’aucun abus n'est caractérisé.

Elle soutient que Mme J. qui n'a jamais exploité les lieux a sollicité l'autorisation de faire des travaux aux fi ns de mise en place d'une laverie après avoir envisagé initialement d'exploiter une agence immobilière puis un commerce de cosmétiques, qu' elle n'a pas garni les locaux de meubles, a payé son loyer de façon irrégulière, n'a pas entretenu les locaux et ne justifie pas avoir sous critune assurance, que ses demandes de suspension de paiement et de remboursement de loyers ne sont pas plus explicitées que sa demande de dommages et intérêts.

Mme J. a fait établir, en juin 2009, une étude aux fi ns d'installation d'une laverie après la signature du bail le 30 mai 2008, et après avoir envisagé, selon le rapport de l'expert C., un commerce de vente de cosmétiques. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 novembre 2009, elle a informé son bailleur de son intention d'installer une laverie automatique nécessitant, selon elle, une pose de carrelage, peinture, plomberie et électricité qu'elle considérait comme des travaux d'embellissement et de mise en conformité.

La société Hôtel de France a fait établir des devis et son architecte, M. B., a estimé nécessaire d'exécuter des travaux touchant à la structure de l'immeuble et c'est ainsi qu'elle a refusé d'autoriser les travaux par lettre de son conseil du 22 décembre 2010.

Les parti es ne discutent pas les conclusions de l'expert judiciaire M. C. désigné en référé selon lequel, pour pouvoir exploiter les locaux loués en laverie automatique, il est nécessaire de procéder lequel, pour pouvoir exploiter les locaux loués en laverie automatique, il est nécessaire de procéder  aux travaux de renforcement du plancher avec démolition de la chape de la boutique, le coulage d'une dalle béton, la confection d'une chape grillagée, la création d'une évacuation en siphon de sol, la mise en place d'une poutrelle en métal longitudinale avec ancrage dans des sommiers béton et la fourniture et pose de 3 poteaux en métal ancrés dans les fondations. Ces travaux sont évalués15 000 € toutes taxes comprises. Il ajoute que d'autres vérifications et/ou adaptations sont à prévoir pour l'installation éventuelle d'une laverie notamment au regard des débits d'alimentation en eau et électricité, évacuations d'eaux usées et respect des réglementations incendie et accessibilité.

Le bail liant les parti es est un bail tous commerces, sauf activités commerciales, industrielles, artisanales bruyantes, malodorantes ou dangereuses.

Il prévoit dans la clause 'transformations' que le preneur aura à sa charge les transformations et réparations nécessitées par l'exercice de son activité. Ces transformations ne pourront être faites qu'après accord préalable et écrit du bailleur, sous la surveillance et le contrôle de l'architecte de ce dernier dont les honoraire et vacations seront à la charge du locataire et, le cas échéant, après accord de l'assemblée générale des copropriétaires.

Sous la clause « changement de distribution » le bail ajoute « il (le preneur) ne pourra faire dans les locaux loués, sans le consentement exprès et écrit du bailleur, aucune démolition, aucun percement de murs, de cloisons ou planchers, ni aucun changement de distribution. En cas d'autorisation, ces travaux seront exécutés sous la surveillance et le contrôle de l'architecte du bailleur et, le cas échéant, après accord de l'assemblée générale des copropriétaires comme il a été indiqué ci – dessus ».

Il n'est pas contestable que les travaux décrits par M. C. sont des gros travaux affectant la structure de l'immeuble qui nécessitent l'accord du bailleur, s'agissant de transformations du plancher avec démolition et percement dudit plancher, création d'une chape et d'une dalle béton, .

La nature des travaux qui touchent à la structure de l'immeuble justifie le refus du bailleur dont la mauvaise foi n'est nullement établie alors qu'il a contacté son architecte sur demande de la locataire, participé aux opérations d'expertise et qu'il n'est pas justifié que la locataire qui a varié quant à la nature du commerce à exercer dans les lieux lui ait fait part, avant la signature ou au moment de la signature du bail, de son intention d 'installer un commerce de laverie automatique.

Il s'ensuit que le refus de la société Hôtel de France d'exécuter les lourds travaux n'est pas abusif de sorte que Mme J. sera déboutée de ses demandes de réalisation des travaux de confortement du plancher.

L'appelante qui ne caractérise pas d'abus de droit du bailleur sera également déboutée de ses demandes de suspension du paiement des loyers et de remboursement des loyers payés, le défaut d'autorisation des travaux par la société Hôtel de France n'étant pas fautif ; à défaut de manquement du bailleur, Mme J. sera également déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait du défaut d'installation de la laverie.

Sur la résiliation du bail

La société Hôtel de France conclut à la confirmation du prononcé de la résiliation du bail en raison des multiples manquements de la locataire à ses obligations tenant au défaut d'exploitation de son commerce, aux retards de paiement de loyer, à son défaut de justification de son assurance des lieux loués et à son refus de laisser le bailleur accéder au local loué.

Mme J. conclut à l'infirmation du jugement sans développer de moyens sur ce point.

La société Hôtel de France est bien fondée à solliciter la confirmation du jugement entrepris qui a prononcé, par application de l'article 1184 du code civil, la résiliation du bail du 30 mai 2008. Mme J. a, en effet, multi plié les manquements à ses obligations de locataire en n'exploitant pas les lieux avant son intention de procéder à un changement d'activité, comme le confirme l'extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés du 25 octobre 2012 qui mentionne une cessation d'activité au 1er décembre 2008 et une radiation au 17 octobre 2012. Ce défaut d'exploitation est confirmé par les constats dressés par huissier sur requête du bailleur les 20 novembre 2009, 19 mai 2010 et24 février 2011 et par l'expertise judiciaire ; les constats et l'expertise révèlent, en outre, un défaut d'entretien caractérisé, en violation de l'article2 des conditions du bail, le local n'étant pas correctement fermé, seul un anti-vol de moto protégeant l'accès au local.

Mise en demeure par l'Hôtel de France par lettre recommandée avec accusé de réception du 23mars 2012, Mme J. n'a pas justifié d'une assurance en cours de validité, contrairement à l'article10des conditions du bail. Enfin, Mme J. a multi plié les retards de paiement du loyer payable trimestriellement, par avance, le 5 du 1er mois du trimestre, contraignant son bailleur à lui signifier, à deux reprises, les 28 décembre 2009 et 8 novembre 2010, un commandement visant la clause résolutoire.

Les dispositions du jugement entrepris sur l'expulsion et la séquestration des meubles sont désormais sans objet, l'expulsion ayant été réalisée le 7 janvier 2014.

Sur la demande de remboursement des frais de remise en état du local et des factures de M. B.

La société Hôtel de France demande le remboursement de la somme de 24 722, 16 €, montant du devis de réparation du local laissé en mauvais état par Mme J. dont l'expulsion est intervenue le 7janvier 2014, état constaté le même jour par huissier alors que la locataire était tenue par l'article2des conditions du bail d'une obligation d'entretien et de réparation ; elle sollicite également le remboursement des factures d'intervention de son architecte qui a réalisé l'étude de structure en décembre 2010 et qui est intervenu pour établir le devis des travaux de remise en état.

Mme J. n'a pas conclu sur ces points.

Le bail liant les parties mettait, en son article 2 des conditions, à la charge du locataire l'entretien des locaux et les réparations locatives ; le bail précise qu'un état des lieux sera dressé entre les parties et annexé aux présentes ; cet état des lieux d'entrée n'est pas produit.

Le constat dressé par huissier le 7 janvier 2014, jour de l'expulsion, révèle un très mauvais état général avec une porte d'entrée qui comporte plusieurs systèmes de fermeture de fortune, la fermeture étant assurée par un cadenas attaché à un système de pâte métallique situé en haut de la porte.; les murs et plafonds sont partiellement cassés et effrités avec des gravats qui jonchent le sol ; la chape du sol de la grande pièce est en mauvais état avec un trou réalisé en son centre ; les murs sont en mauvais état ; une ouverture a été réalisée de façon précaire dans le mur du fond permettant l'accès à un escalier en bois vermoulu en très mauvais état qui permet d'accéder au sous - sol ; au sous - sol une ouverture a été réalisée dans le mur arrière avec une inscription sortie de secours. La dernière pièce du local commercial est en mauvais état (peinture, plafond, ventaux) et le sol sale et jonché de gravats ; la vitrine sur rue est également en très mauvais état avec des déchets entre la porte en verre et le rideau métallique.

L'expert C. avait relevé lors de ses opérations d'expertise la dépose par la locataire de l'ancienne fermeture de porte à 3 points suite à une intervention du propriétaire sans autorisation chez la locataire ; il avait noté la vétusté des locaux non occupés et non entretenus et des dégâts des eaux consécutifs à des fuites anciennes.

La société Hôtel de France ne produit pas l'état des lieux d'entrée dressé entre les parties et le bail produit ne comporte pas d'annexe.

Le devis de remise en état du local est un devis de rénovation complète des murs, plafonds et du sol ; ne seront mis à la charge de Mme J. que les postes correspondant aux dégradations locatives, à savoir le remplacement de la porte endommagée par elle, soit 980 € hors taxes soit 1 176 €toutes taxes comprises, et le lessivage des murs non entretenus évalué à 200 € soit au total 1 376€ , le surplus du devis correspondant à une remise en état à neuf sans que la réalité de dégradations locatives ne soit démontrée par le bailleur.

Il n'est pas justifié que les factures d'intervention de l'architecte du bailleur, sollicité par ce dernier pour établir une étude de structure du local et le devis des frais de remise en état, soient mises à la charge de Mme J., aucune disposition du bail ne le prévoyant. Il ne s'agit pas, en effet, d'interventions à l'occasion de travaux décidés conformément au bail mais d'interventions sollicitées d'initiative par le bailleur. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point. La société Hôtel de France sera ainsi déboutée de ses demandes de remboursement de la somme de 1 255,80 €.

Sur le surplus des demandes

Mme J. qui succombe sera condamnée aux dépens qui comprendront, comme l'a décidé le tribunal, le coût des commandements, les frais de constat d'huissier et d'expertise judiciaire.

Elle sera en outre condamnée à payer à la société Hôtel de France la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, somme qui s'ajoutera à la somme allouée de ce chef par le premier juge.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande de la société Hôtel de France de voir écarter des débats les pièces de Mme J.,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et constate que les demandes d'expulsion de Mme J. et de séquestration des meubles sont désormais sans objet, l'expulsion de la locataire étant intervenue le 7 janvier 2014,

Y ajoutant, déclare non abusif le refus de la société Hôtel de France d'exécution des travaux nécessaires à l'exploitation de la laverie,

Déboute Mme Fatma J. de toutes ses demandes,

Condamne Mme J. à payer à la société Hôtel de France la somme de 1 176 € au titre des frais de remise en état du local loué et déboute la société Hôtel de France du surplus de ses demandes en paiement des frais de remise en état,

Déboute la société Hôtel de France de sa demande de remboursement des frais d'intervention de son architecte, M. B.,

Condamne Mme J. à payer à la société Hôtel de France la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne Mme J. aux dépens, qui comprendront le coût des commandements, les frais de constat d'huissier et d'expertise judiciaire et autorise leur distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.