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Décisions

CA Paris, 4e ch., 31 mars 1999, n° D19990033

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Paris Souvenir (SARL)

Défendeur :

SAP Polyne (SA)

CA Paris n° D19990033

30 mars 1999

FAITS ET PROCEDURE

La société SAP POLYNE exploite à Paris un fonds de commerce d'achat, fabrication et vente d'articles de bimbeloterie, souvenirs, cadeaux, gadgets.

Le 28 septembre 1989, elle a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle un modèle de dessin (n 7) représentant sur un fond bleu et en ombres chinoises différents monuments de Paris et le nom de la ville lequel a été enregistré sous le numéro 89.6055.

Alléguant que des tasses reproduisant ce dessin étaient commercialisées par la société PARIS SOUVENIR, elle a fait pratiquer dans les locaux de celle-ci, le 2 avril 1996, une saisie-contrefaçon par le commissaire divisionnaire du deuxième cabinet de délégations judiciaires au cours de laquelle ont été placés sous scellés numéros un et deux un cendrier, et une tasse ornés des silhouettes des monuments parisiens.

François M, gérant de la société PARIS SOUVENIR, a alors déclaré :

"Effectivement, je commercialise ce type de ""MUG" depuis 1987 comme l'attestent les documents que je vous remets (bons à tirer et factures des fournisseurs). Ces objets viennent d'Angleterre, de la société "Prince William P Co." à Liverpool.

Je ne peux vous dire le nombre d'objets vendus depuis la date de la commercialisation, il est trop important et difficilement chiffrable.

Ce dessin a été fait au sein de l'entreprise, au moment de la commercialisation".

Il a remis un "MUG" (scellé n 3) en précisant que "le panorama en cause ne figurait actuellement que sur celui-ci".

Le 24 avril suivant, la société SAP POLYNE a assigné la société PARIS SOUVENIR devant le Tribunal de Grande Instance de Paris à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- condamner la défenderesse au paiement des sommes de :

. 500.000 francs pour contrefaçon de modèle

. 500.000 francs pour concurrence déloyale

. 20.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile

- ordonner les habituelles mesures d'interdiction sous astreinte et de publication.

La société PARIS SOUVENIR bien que régulièrement citée, n'a pas constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire du 25 septembre 1996 le tribunal relevant d'une part, que le dessin querellé constituait une reproduction quasi servile du dessin invoqué, d'autre part que la demanderesse ne rapportait pas la preuve de faits distincts de concurrence déloyale, a :

- dit la demande en contrefaçon bien fondée

- prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte assorties de l'exécution provisoire et de publication

- condamné la société PARIS SOUVENIR au paiement des sommes de :

. 60.000 francs à titre de dommages et intérêts

. 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile

- rejeté toutes autres demandes.

La société PARIS SOUVENIR a, le 4 décembre 1996, interjeté à l'encontre de cette décision un appel aux termes duquel elle poursuit le rejet des demandes de la société SAP POLYNE et la condamnation de celle-ci à lui verser les sommes de 60.000 francs à titre de dommages et intérêts et de 10.000 francs pour ses frais hors dépens.

La société SAP POLYNE qui a formé un appel incident par conclusions du 29 janvier 1999, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a dit sa demande en contrefaçon bien fondée mais évalue la réparation due de ce chef à la somme de 500.000 francs et soutient qu'il convient de condamner l'appelante sur le fondement de la concurrence déloyale au paiement d'une indemnité de 500.000 francs.

Elle sollicite en outre l'attribution d'une somme de 20.000 francs pour ses frais non taxables.

DECISION

I - SUR LA PROCEDURE

Considérant que la clôture de l'instruction a été ordonnée le 15 février 1999.

Que la société PARIS SOUVENIR a, cependant, le 17 février suivant signifié des conclusions tendant à voir révoquer ladite ordonnance, à l'effet de voir admettre aux débats des pièces communiquées à cette date, au motif que celles-ci étaient "indispensables à la solution du présent litige dans la mesure où elles sont postérieures à la date du jugement".

Considérant qu'il convient de lui opposer que trois de ces pièces sont nettement antérieures audit jugement puisque datées des 7 janvier et 10 mars 1987 ou du 10 juillet 1996.

Que si les autres portent respectivement les dates des 26, 27 et 29 mars 1997, il était loisible à la société PARIS SOUVENIR qui, depuis le 12 décembre 1997, avait été informée de la date de clôture de la procédure de les communiquer avant le prononcé de celle-ci.

Que sa demande qui n'est ainsi motivée par aucune cause grave au sens de l'article 784 du nouveau Code de Procédure Civile sera rejetée et les conclusions et pièces sus-visées déclarées irrecevables en application de l'article 783 du nouveau Code de Procédure Civile.

II - SUR LA CONTREFACON DE MODELE

Considérant que la société SAP POLYNE expose qu'elle a régulièrement déposé le 28 septembre 1989 un dessin numéro 7 enregistré sous le numéro 89.6055 "représentant en ombre chinoise et en enfilade différents monuments parisiens : de gauche à droite, le Sacré Coeur, le Moulin Rouge, la Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe, l'Obélisque, Notre Dame de Paris, le nom de Paris étant inscrit de la même manière, en ombre chinoise".

Qu'elle fait valoir "qu'en conséquence, tous les droits de création, de reproduction, d'exploitation et de commercialisation portant sur ce dessin sont (sa) propriété exclusive".

Considérant que la société PARIS SOUVENIR réplique que :

- "le dessin querellé a été réalisé par (elle-même) et commercialisé trois ans avant d'être copié par la société POLYNE et déposé par elle à l'Institut National de la Propriété Industrielle.

- ce dessin n'a rien d'original dès lors que d'autres auteurs et concurrents en avaient déposé de similaires dès 1986, que les bibliothèques de la ville de Paris utilisent un dessin fondé sur les mêmes principes de linéarité soudée des monuments parisiens, que la station de radio RTL a utilisé le même graphisme pour l'une de ses campagnes publicitaires, que les entreprises de transports de touristes font de même".

Considérant qu'au soutien de son argumentation, elle verse les documents suivants :

- la reproduction à son en tête d'une succession de monuments parisiens qui n'a pas date certaine eu égard au caractère manuscrit de la mention "Bon à tirer. Paris le 07/01/87",

- une facture de la société anglaise "Prince William P Co" du 10 mars 1987 qui énumère, en langue anglaise, divers articles relatifs à des "MUGS" sans qu'il soit possible d'identifier le modèle argué de contrefaçon,

- une facture des Etablissements M. BONIS n 118 du 3 avril 1987 relative à la fourniture de 1008 cendriers dont la description "noir Décor Paris en or sur 2 faces" ne permet pas davantage d'identifier le modèle en cause.

Qu'il en résulte que la société PARIS SOUVENIR ne saurait invoquer l'existence à son profit de droits antérieurs sur le dessin invoqué.

Considérant que si elle allègue que celui-ci serait dépourvu, en tout état de cause, de nouveauté au vu des pièces produites par ses soins, il convient d'observer que :

- le dessin déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 2 octobre 1985 sous le numéro 854576 par Laurent Z reproduit une Tour Eiffel, un Arc de Triomphe, un Opéra, une cathédrale Notre-Dame et une colonne de la Bastille réalisés dans un graphisme particulier dont le caractère volontairement naïf est accentué par l'adjonction de nuages, d'un soleil, d'un véhicule et d'un kiosque à journaux représentés de manière enfantine,

- le dessin déposé le 17 novembre 1986 sous le numéro 86.6049 par Jean-Marie V (société TIKAL) se caractérise par la succession de monuments parisiens dans un graphisme volontairement épuré et schématique,

- le dessin déposé le 25 mai 1987 sous le numéro 87.3086 par Isabelle V épouse K décrit une combinaison différente de monuments parisiens vus de loin et se détachant sur un ciel bicolore, barré partiellement d'un nuage,

- la publicité peinte sur les autocars HERVOUET, représente la Tour Eiffel et le Sacré Coeur, séparés par divers immeubles d'apparence moderne et n'est pas datée,

- les sacs en plastique diffusés par les "Bibliothèques-Discothèques de la Ville de Paris", outre qu'ils reproduisent sous un épais pourtour de teinte rouge, les Invalides et la Tour Eiffel, également séparés par des immeubles, n'indiquent pas leur date de création et de diffusion.

Qu'en l'absence d'antériorités de toutes pièces, la société PARIS SOUVENIR ne saurait contester la validité du dessin déposé.

Or considérant que le tribunal a exactement observé qu'il résultait des énonciations du procès-verbal et de l'examen des scellés que le dessin querellé utilisé par la société susvisée constituait une reproduction quasi-servile des dessins invoqués parce que présentant "des silhouettes de monuments parisiens agencés linéairement et soudés les uns aux autres, comme en enfilade", et en a, à bon droit, déduit que le grief de contrefaçon était bien fondé.

III - SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

Considérant que l'intimée fait valoir qu'"en diffusant des "mugs" reproduisant un dessin de la société SAP POLYNE, la société PARIS SOUVENIR a inévitablement créé un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine des produits en cause" et, en toute hypothèse, a commis une faute en commercialisant à moindre prix des "mugs" contrefaisants et en profitant de ce fait de son travail et de sa part de marché.

Mais considérant que le tribunal lui a exactement opposé que, "compte tenu de la banalité, de la diversité et de la multiplicité des articles dont les tasses dites "mugs" qui servent couramment de supports au commerce des articles de souvenirs" elle ne rapportait pas la preuve de faits distincts susceptibles de fonder le grief de concurrence déloyale.

IV - SUR LA REPARATION DU PREJUDICE

Considérant que la société SAP POLYNE évalue la réparation du dommage subi par elle du fait de la contrefaçon à la somme de 500.000 francs.

Considérant qu'il ne saurait être contesté qu'il convient comme elle le fait observer, de tenir compte dans l'évaluation du préjudice des déclarations faites, au cours de la saisie- contrefaçon, par le gérant de la société PARIS SOUVENIR, François M qui a notamment reconnu :

"... Je ne peux vous dire le nombre d'objets vendus depuis la date de la commercialisation. Il est trop important et difficilement chiffrable...".

Considérant que la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer ladite indemnisation à la somme de 100.000 francs et confirmer les différentes mesures d'interdiction et de publication prononcées par les premiers juges dans les conditions précisées au dispositif.

V - SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

Considérant que la société PARIS SOUVENIR qui succombe, ne saurait valablement soutenir que l'action a été engagée à son encontre "avec la plus parfaite mauvaise foi" et en exiger réparation.

VI - SUR LES FRAIS NON TAXABLES

Considérant que la société PARIS SOUVENIR dont l'appel est rejeté, est mal fondée à invoquer le bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Qu'il est en revanche équitable d'élever la somme allouée à ce titre par le tribunal à la société SAP POLYNE à 20.000 francs.

PAR CES MOTIFS

Rejette des débats tous documents et conclusions communiqués et signifiés le 17 février 1999,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a,

- dit la demande en contrefaçon bien fondée,

- rejeté la demande en concurrence déloyale,

- condamné la société PARIS SOUVENIR aux dépens de première instance,

Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Fait interdiction à la société PARIS SOUVENIR d'utiliser sous quelque forme, de quelque manière et sur quelque objet que ce soit la reproduction du dessin déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 28 septembre 1989 sous le numéro 89.6055 par la société SAP POLYNE, sous astreinte de trois mille francs par infraction constatée passé le délai de trois semaines à compter de la signification du présent arrêt et pendant une durée de deux mois à l'expiration de laquelle la Cour qui se réserve expressément ce pouvoir, fera à nouveau droit,

Condamne la société PARIS SOUVENIR à payer à la société SAP POLYNE les sommes de :

- CENT MILLE FRANCS (100.000 francs) à titre de dommages et intérêts

- VINGT MILLE FRANCS (20.000 francs) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,

Autorise la société SAP POLYNE à publier le dispositif en son entier du présent arrêt dans trois périodiques de son choix, aux frais de la société PARIS SOUVENIR dans la limite d'un coût total de TRENTE SIX MILLE FRANCS (36.000 francs),

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société PARIS SOUVENIR aux dépens d'appel,

Admet Me Olivier B, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.