Cass. com., 1 juillet 2020, n° 19-12.067
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Rapporteur :
M. Riffaud
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SARL Cabinet Briard, SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 décembre 2018), la société CREAM (la société), présidée par M. T... , a été mise en redressement judiciaire le 13 juillet 2018, la société FHB étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la société [...] en celle de mandataire judiciaire.
Examen du moyen unique
Enoncé du moyen
2. La société fait grief à l'arrêt de la mettre en redressement judiciaire et de fixer au 28 mars 2018 la date de cessation des paiements alors :
« 1°/ que l'état de cessation des paiements de la société doit s'apprécier au moment où la juridiction statue, y compris en cause d'appel ; que pour confirmer le jugement ayant mis la société en redressement judiciaire, l'arrêt attaqué évalue le passif exigible à la date de ce jugement à la somme totale de 74 192,18 euros, avant de relever que la société ne justifiait d'aucun actif disponible ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la cessation des paiements de la société à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé l'article L. 631-1 du code de commerce ;
2°/ que pour caractériser l'état de cessation des paiements, les juges du fond doivent préciser la consistance du passif exigible et de l'actif disponible à la date à laquelle ils statuent ; que la cour d'appel s'est bornée, après avoir fait état de la liste des créances de la société, à relever que celle-ci ne justifiait d'aucun actif disponible à la date du jugement d'ouverture et que l'avance en compte courant du 12 octobre 2018 ne pouvait être prise en compte ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'état de cessation des paiements de la société, en l'absence de précision sur l'existence et le montant de l'actif disponible à la date de sa décision, la cour d'appel a privé celle-ci de base légale au regard de l'article L. 631-1 du code de commerce ;
3°/ que la charge de la preuve de l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible pèse sur le demandeur à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; qu'au cas présent, la cour d'appel s'est bornée, après avoir fait état de la liste des créances de la société, à relever que celle-ci ne justifiait d'aucun actif disponible ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;
4°/ que, subsidiairement, la société démontrait qu'elle était en mesure de faire face à son passif exigible grâce à un apport en compte courant de son associé effectué le 12 octobre 2018 à hauteur de 136 000 euros et que, dans le cadre de sa nouvelle activité, elle ne supportait aucune charge fixe, l'administrateur judiciaire n'ayant été amené, dans le cadre de sa mission, à valider aucun paiement depuis l'ouverture du redressement, sans constitution d'un nouveau passif, ce qui n'était d'ailleurs pas contesté ; que pour refuser de comptabiliser ce versement dans l'actif disponible, la cour d'appel retient que la société ne démontrait pas qu'il pouvait lui permettre de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;
5°/ qu'une avance en compte courant, qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé, constitue un actif disponible, peu important à cet égard que ce financement soit anormal, qu'il vise à maintenir artificiellement l'activité de la société ou qu'il ne lui permette pas de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'au cas présent, pour refuser de comptabiliser l'apport en compte courant du 12 octobre 2018 dans l'actif disponible, la cour d'appel a estimé que ce versement constituait un financement anormal destiné à soutenir artificiellement la société et insusceptible de lui permettre de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait uniquement de rechercher si cette avance n'avait pas été bloquée et si son remboursement n'avait pas été demandé, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas sur le caractère normal du financement destiné à faire face au passif exigible, a violé l'article L. 631-1 du code de commerce ;
6°/ que, subsidiairement, une avance en compte courant ne peut être regardée comme anormale et, en conséquence, écartée de l'évaluation de l'actif disponible que si elle résulte de moyens frauduleux ou ruineux ; que pour juger que l'apport effectué par M. T... était anormal, la cour d'appel a retenu qu'au cours du premier semestre 2018, l'activité de la société se serait poursuivie grâce à des paiements opérés par des tiers pour son compte et que celle-ci ne démontrait pas que cette nouvelle avance lui permettrait de recouvrer un équilibre financier à court terme, pour en déduire que ce versement était destiné à soutenir artificiellement la société ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que cette avance en compte courant constituait un moyen frauduleux ou ruineux et, dès lors, anormal, la cour d'appel a violé l'article L. 631-1 du code de commerce ;
7°/ qu'alors que la société soutenait que l'avance de M T... ne constituait pas un financement anormal et qu'elle devait lui permettre de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'à cet égard, elle faisait valoir, d'une part, que ce versement avait été préconisé par l'administrateur judiciaire au cours de l'audience du 13 septembre 2018, ce qui était de nature à en écarter tout caractère douteux ou illégitime ; que, d'autre part, elle démontrait, sans être contestée, que, dans le cadre de sa mission, l'administrateur judiciaire n'avait pas été amené à valider de paiements depuis l'ouverture du redressement judiciaire, sans constitution d'un nouveau passif ce dont il résultait que sa nouvelle activité de détention de titres ne générait plus de besoins en fonds de roulement et que l'avance de M. T... lui permettrait de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'en omettant de se prononcer sur ces éléments et en jugeant que l'avance de M. T... constituait un financement anormal, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. En premier lieu, l'arrêt, après avoir exactement rappelé qu'il appartient à la cour d'appel de rechercher si le débiteur se trouve en état de cessation des paiements au jour où elle statue et qu'il convient d'examiner successivement les différentes créances composant le passif exigible au 12 novembre 2018, retient, après avoir analysé les créances connues en fonction des différentes pièces produites depuis le jugement d'ouverture, dont un échéancier de paiement consenti par l'organisme Humanis le 15 mars 2018 et une réclamation adressée par la société CREAM le 20 juin 2018 au directeur des finances publiques, puis déterminé le montant exigible de chacune d'elles, que le montant global du passif exigible de la société CREAM s'établit au minimum à 74 192,18 euros à la date du jugement d'ouverture tandis, qu'à la même date, il n'était justifié d'aucun actif disponible.
4. Ayant ainsi procédé, avant de se déterminer sur l'existence d'un état de cessation des paiements, à l'examen, depuis l'ouverture du redressement judiciaire, de l'évolution du passif et de l'actif de la société, dont elle a décidé d'écarter l'apport en compte courant consenti par son dirigeant en considération de son caractère anormal, la cour d'appel s'est, sans inverser la charge de la preuve, nécessairement placée à la date où elle a statué.
5. En second lieu, après avoir justement considéré qu'un apport en compte courant consenti par un associé sous la condition suspensive de l'infirmation du jugement ouvrant le redressement judiciaire était susceptible de constituer une réserve de crédit devant être prise en considération au titre de l'actif disponible, l'arrêt constate qu'il ressort du rapport d'enquête qu'au jour de l'ouverture de la procédure collective la société employait deux salariés et que, ne percevant aucun dividende de ses filiales, son chiffre d'affaires était constitué par la vente d'alcool à celles-ci et l'organisation de soirées événementielles privées. Il relève que le document prévisionnel établi pour l'année 2018 vient en contradiction avec les indications de la société sur son activité de holding et il relève encore que, devant la cour d'appel, il n'est produit aucun document prévisionnel récent en relation avec l'activité de holding et que la société n'établit nullement ne plus avoir de charges courantes relatives à l'emploi de salariés et, par suite, se trouver sans besoin en fonds de roulement.
6. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu retenir qu'il n'était pas établi que la société avait modifié les conditions de son activité, de sorte qu'un apport en compte courant de son dirigeant, fût-il suggéré par l'administrateur, constituait un financement anormal destiné à soutenir artificiellement sa trésorerie en dissimulant la persistance de son état de cessation des paiements.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.