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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 5 mars 2020, n° 19/02157

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Procureur général - service financier et commercial, CDR créances (Sasu), Selarl Axyme (ès qual.), Selafa MJA (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Picard

Conseillers :

Mme Grandjean, Mme Rohart-Messager

Avocats :

Me Guizard, Me Lantourne, Me Kopf, Me Taze Bernard, Me Peugnet, Me Boccon Gibod, Me Martel

T. com. Paris, du 18 janv. 2019, n° 2018…

18 janvier 2019

FAITS ET PROCÉDURE :

La Snc [R] (ci-après [R]) a pour gérant Monsieur [R] [R]. Elle détient notamment une participation majoritaire dans le groupe de presse La Provence. Elle est détenue par la société de droit belge [R] Holding, elle-même détenue intégralement par Monsieur [R]. La société [R] Holding a été dissoute par décision du 21 septembre 2018 du tribunal de commerce de Liège.

La société [R] (ci-après [R]), est détenue à 99% par Monsieur [R] [R] et 1% par Madame [R]. Son actif est composé d'un seul bien, un hôtel particulier dans le 6ème arrondissement de [Localité 8] qui est le domicile des époux [R].

Monsieur [R] est en liquidation judiciaire de même que les sociétés ACT et BTG depuis un arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris du 31 mai 1995. Madame [R], qui était également en liquidation judiciaire, ne l'est plus suite à un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 30 juin 2015.

Les sociétés [R] et [R] qui étaient également en liquidation judiciaire, sont redevenues in bonis suite à la rétraction des jugements prononçant la liquidation judiciaire par deux jugements du tribunal de commerce de Paris du 6 mai 2009 et du 2 décembre 2009. La rétractation était motivée par les sentences du tribunal arbitral des 7 juillet et 27 novembre 2008 condamnant le Consortium de Réalisation (CDR) structure appartenant à l'Etat, à payer la somme de 404.623.082, 54 euros aux sociétés du [R]. Monsieur [R] et les sociétés ACT et BTG sont restées en liquidation judiciaire.

Le 17 février 2015 la cour d'appel de Paris a rétracté les sentences arbitrales, puis par arrêt du 3 décembre 2015 a condamné solidairement les sociétés du [R] ainsi que Monsieur et Madame [R] et les liquidateurs judiciaires à payer au CDR Créances et CDR Consortium de Réalisation les sommes allouées par les sentences arbitrales, avec intérêts et capitalisation des intérêts.

C'est ainsi que par jugement du 30 novembre 2015 le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde au profit de la société Snc [R] (ci-après [R]). La Scp [K] en la personne de Maître [K] a été désignée en qualité d'administrateur et la Scp BTSG, en la personne de Maître [A], en qualité de mandataire judiciaire.

La SCP BTSG a par la suite été remplacé par la SCP Brouard-Daudé.

Par jugement du 2 décembre 2015 la procédure de sauvegarde a été étendue à la société Financière Immobilière Bernard Tapie (ci-après [R]).

Le tribunal de commerce de Paris a rendu le 6 juin 2017 un jugement arrêtant le plan de sauvegarde n° 1 des sociétés [R] et [R].

Sur appel du ministère public par un arrêt du 12 avril 2018, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement du 6 juin 2017 et, statuant à nouveau, rejeté le plan de sauvegarde n° 1 des sociétés [R] et [R], aux motifs que « [R] et [R] ne disposant pas de liquidités disponibles significatives, ni d'un prévisionnel pertinent attestant de rentrées de fonds compatibles avec le délai de mise en œuvre du plan et suffisantes pour en assurer l'exécution sur la durée, leur projet souffre d'un défaut de financement.

Dans ce contexte, la probabilité d'exécution du plan n'apparaît pas sérieuse, les garanties proposées ne rendant en rien plus certaine sa mise en œuvre dans les délais impartis ».

La demande du ministère public aux fins de conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire a été jugée irrecevable pour des raisons procédurales.

Les sociétés [R] et [R] ont déposé le 29 juin 2018 un deuxième projet de plan de sauvegarde.

Le tribunal de commerce de Paris a rendu le 18 janvier 2019 trois jugements, un jugement rejetant le plan de sauvegarde de [R] et [R], un jugement convertissant la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire et un jugement déboutant la société Consortium De Réalisation (CDR) de sa demande de clôture.

Les sociétés [R] et [R] ont interjeté appel du jugement rejetant le plan de sauvegarde le 28 janvier 2019.

L'ordonnance de fixation de cet appel à bref délai a été prononcée le 7 février 2019.

Par ordonnance du 6 juin 2019 le délégataire du premier président a débouté les sociétés [R] et [R] de leur demande d'irrecevabilité des conclusions du ministère public.

Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 24 janvier 2020, la société Snc [R] et société [R] demandent à la cour de :

- Déclarer irrecevable le CDR,

- Déclarer irrecevable les demandes d'irrecevabilité du plan de sauvegarde n° 2,

- Juger recevable le Plan de Sauvegarde n° 2 présenté par les sociétés [R] et [R] ;

- Débouter la société CDR Créances et le Ministère Public de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

- Juger que le plan de sauvegarde présenté par les sociétés [R] et [R] répond aux objectifs et critères des articles L. 620-1 et suivants et L. 626-2 et suivants du code de commerce ;

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 janvier 2019 en ce qu'il a rejeté le plan de sauvegarde des sociétés [R] et [R] ;

- Arrêter le plan de sauvegarde n° 2 présenté par sociétés [R] et Financière et Immobilière [R] [R] ;

En conséquence :

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 janvier 2019 en ce qu'il a maintenu à leurs fonctions la SCP [K], prise en la personne de Maître [W] [K], ès qualités d'administrateur judiciaire et la SCP [B], prise en la personne de Maître [S] [B], ès qualités de mandataire judiciaire ;

- Dire que les sociétés [R] et [R] devront désintéresser les créanciers définitivement admis au passif de leur procédure collective comme suit suivant les échéances du plan’ ;

- Dire que dès obtention de la mainlevée des saisies pénales portant sur les liquidités, il sera procédé à un paiement immédiat à CDR Consortium de Réalisation et à CDR Créances de la quote-part des deux premières échéances leur revenant, dans le cadre d'un paiement provisionnel à valoir sur ces échéances et sans préjudice du processus de contestation des créances en cours ;

- Dire dès encaissement du prix de vente de l'Hôtel de [1], sis [Adresse 5] détenu par la société [R] détenu par [R], il sera procédé à un paiement entre les mains des créanciers admis au passif et par provision pour CDR Consortium de Réalisation et CDR Créances ;

- Dire que les paiements provisionnels opérés n'auront pas d'effet sur les contestations de créances en cours ;

- Désigner en qualité de commissaire à l'exécution du plan l'administrateur judiciaire ou le mandataire judiciaire conformément à l'article L. 626-25 du code de commerce ;

- mettre fin à la mission d'administrateur judiciaire de la SCP [K], prise en la personne de Maître [W] [K], et à la mission de mandataire judiciaire de la SCP Brouard Daudé, prise en la personne de Maître [S] [B] ;

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 janvier 2019 pour le surplus.

Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 5 avril 2019, la SCP [K], prise en la personne de Me [K], ès qualités d'administrateur judiciaire des sociétés [R] et SC [R] et la SCP [B], prise en la personne de Me [B], ès qualité de mandataire judiciaire des sociétés [R] et SC [R] maintiennent leur avis réservé à l'adoption du plan de sauvegarde des sociétés [R] et [R] en raison des nombreuses contestations en cours et des procédure longues et lourdes engagées, demandent à la cour de prendre acte de la demande de l'administrateur judiciaire de ne pas être désigné commissaire à l'exécution du plan, s'en rapportent à la cour pour le surplus.

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 27 janvier 2020, le CDR Créances demande à la cour de débouter les appelantes et confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 janvier 2019.

Dans ses dernières conclusions d'intervention volontaire auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 9 mai 2019, le Syndicat des métiers du droit et des métiers connexes (ci-après SYMED) demande à la cour de : le déclarer recevable en son intervention volontaire, prononcer l'annulation du jugement de conversion du plan de sauvegarde en redressement judiciaire, ordonner le maintien du plan de sauvegarde prononcé le 6 juin 2017, condamner le CDR à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par un avis, communiqué aux parties par voie électronique le 24 avril 2019, le ministère public requiert le débouté des appelantes et la confirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 janvier 2019.

SUR CE

Sur la recevabilité du SYMED

Le SYMED expose intervenir dans l'intérêt collectif des salariés des entreprises du groupe [R] et de la société [R]. Elle fait valoir que la société [R] a notamment pour objet l'étude et le mise en place de structures juridiques et financières destinées au redressement d'entreprises en difficultés ainsi que toutes prestations de services en matières administratives, financière, comptable, commerciale, informatique ou de gestion, et notamment la gestion de trésorerie au profit des filiales directes ou indirectes de la société ou de toutes autres sociétés dans lesquelles elle détiendrait directement ou indirectement une participation. Il précise que dans ces conditions, il est habilité, en qualité de syndicat exerçant les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant préjudice directement ou indirectement à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, à intervenir volontairement dans la présente instance.

Il soutient que la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire pourrait entraîner de graves conséquences pour les salariés du groupe, que cette procédure découle directement de l'exécution d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 février 2015, accueillant le recours en révision de la sentence arbitrale du 7 juillet 2008, dont il estime qu'il a été pris en violation de l'article 595 du code de procédure civile pour non-respect des causes et des délais prévus pour une telle procédure et en violation de l'article 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme puisqu'il a largement repris les pièces du dossier d'instruction qui avaient été produites par le ministère public à la demande de l'EPFR qui avait été déclarée irrecevable.

La cour relève que les sociétés [R] et [R] n'emploient aucun salarié de sorte que l'intervention de la SYMED, qui est un syndicat et dont la seule légitimité serait la défense de l'intérêt collectif des créanciers est irrecevable.

Sur la recevabilité du CDR

Les sociétés [R] et [R] exposent qu'en tant que contrôleur à la procédure de sauvegarde, le CDR Créances (ci-après CDR) n'a pas qualité de partie et qu'il n'a pas qualité à émettre des prétentions qui sont donc irrecevables.

Elles ajoutent qu'en tout état de cause la cour n'est saisie que des prétentions reprises dans le dispositif des écritures, que le dispositif des conclusions du CDR déposées dans le délai de l'article 905-2 du code de procédure civile ne concluent qu'à la confirmation du jugement sans demander l'infirmation partielle sur l'irrecevabilité du plan pourtant invoquée en première instance, qu'en conséquence les demandes d'irrecevabilité présentées ne sont pas recevables.

Le CDR ne répond pas sur la recevabilité de son action.

Il est constant qu'aux termes des dispositions de l'article L 622-20 du code de commerce selon lesquelles "Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seule qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. Toutefois en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. (...)".Le CDR n'a pas qualité pour agir.

Cependant les articles L 626-9 et R 626-17 du même code relatif à l'examen du plan de sauvegarde disposent que le tribunal statue après avoir entendu ou appelé les contrôleurs, lesquels sont convoqués par LRAR.

Le CDR, contrôleur doit en conséquence être appelé et, s'il le souhaite, entendu par la juridiction compétente pour arrêter le plan.

En l'espèce le CDR, intimé par les sociétés appelantes en sa qualité de contrôleur, ne soumet pas de prétentions devant la cour d'appel puisqu'il limite son intervention à la confirmation du jugement attaqué.

La demande d'irrecevabilité en ce qu'elle vise le CDR est en conséquence sans objet.

Sur l'irrecevabilité du plan de sauvegarde

Le ministère public soutient que les sociétés [R] et [R] sont irrecevables à présenter un plan de sauvegarde en raison de la liquidation judiciaire personnelle de Monsieur [R] qui ne peut donc accomplir seul les actes engageant son patrimoine et en raison de la dissolution judiciaire de la société [R] Holding prononcée avec exécution provisoire par le tribunal de l'entreprise de Liège le 21 décembre 2018. Monsieur [R], gérant est par conséquent dessaisi au profit du liquidateur. Par ailleurs Monsieur [R] n'est pas le gérant de [R] et ne peut donc déposer un plan en son nom. Enfin le plan a été déposé après l'expiration de la période d'observation.

Le CDR Créances expose que la procédure de sauvegarde et l'adoption d'un plan sont destinés à faciliter la poursuite de l'activité économique et le maintien de l'emploi. Il fait valoir que les sociétés [R] et [R] ne sont que des instruments de détention d'actifs patrimoniaux sans activité économique au sens de la loi, qu'elles n'ont aucun salarié et qu'elles ne peuvent donc bénéficier de ces dispositions.

Il ajoute que l'apurement du passif, troisième critère retenu, ne peut se faire que par la vente des actifs, que seule une liquidation judiciaire est pertinente et que par ailleurs Monsieur [R] [R] est placé en liquidation judiciaire, que l'ensemble des actifs apportés en garantie du plan font partie du périmètre de la liquidation ce qui constitue un obstacle à sa capacité de présenter un plan de sauvegarde et à prendre des engagements qu'il ne peut respecter n'étant pas maître des décisions. En effet, le capital de [R] est détenu par la société [R] Holding, dont la liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du tribunal de commerce de Liège le 21 décembre 2018, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Liège le 15 mai 2019, le liquidateur judiciaire ayant les pouvoirs les plus étendus pour réaliser tous les actifs de la société et de ses filiales. Il estime que Monsieur [R], sans ses liquidateurs est irrecevable à présenter un plan en application de l'article L641-9 du code de commerce.

Il ajoute que Monsieur [R], qui n'est pas gérant de [R] et ne peut l'être en application des statuts et de sa liquidation judiciaire, ne peut présenter un plan de sauvegarde au nom de cette société.

Le CDR ajoute qu'aucun plan de sauvegarde ne peut être présenté après la fin de la période d'observation, que celle-ci a pris fin le 15 mai 2017 et dont d'avis que le plan présenté postérieurement à cette date est irrecevable.

Les sociétés [R] et [R] exposent en premier lieu que les sociétés holding et immobilières peuvent bénéficier d'une procédure de sauvegarde, y compris lorsqu'elles n'ont aucun salarié.

Elles font ensuite valoir que le plan est présenté par les sociétés [R] et [R] et non par Monsieur [R], que sa liquidation judiciaire n'a donc pas d'incidence sur sa capacité à présenter un plan en qualité de gérant de [R], n'étant pas dessaisi de sa fonction. Elles ajoutent que les actifs inscrits au plan appartiennent à des sociétés dont le patrimoine est distinct de celui de Monsieur [R].

Elles soutiennent que Monsieur [R] a été régulièrement désigné en qualité de gérant de [R] par décision du 7 juillet 2009, alors qu'il en était associé, que cette nomination a été publiée, et ne peut donc être remise en cause et qu'aucune action n'a été entreprise visant à obtenir l'annulation de cette désignation. Elles ajoutent que sa liquidation judiciaire ne le prive pas de sa qualité de gérant, que le gérant non associé d'une SNC n'a pas la qualité de commerçant et n'est donc pas concerné par l'interdiction de l'article L641-9 II du code de commerce.

Enfin aucune sanction n'est prévue par la loi du 26 juillet 2005 lorsqu'un projet de plan est déposé postérieurement à l'expiration de la période d'observation.

La cour relève à titre liminaire que le CDR qui n'a pas la qualité de partie dans la présente instance ne peut formuler une demande d'irrecevabilité. Elle peut cependant développer les motifs d'irrecevabilité dans le corps de ses conclusions au soutien d'une autre partie, en l'espèce le ministère public, dès lors qu'une telle demande ne figure pas au dispositif de ses conclusions.

Aux termes des dispositions de l'article L 620-1 du code de commerce la procédure de sauvegarde est ouverte à la demande d'un débiteur qui, alors qu'il n'est pas en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. La finalité de cette disposition est la poursuite de l'activité économique de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Il est à noter que les holdings ne sont pas exclues de cette disposition.

Dans le présent dossier la procédure de sauvegarde est déjà ouverte et ainsi que l'a fait observer l'arrêt du 12 avril 2018 de cette cour le débat ne porte plus sur l'éligibilité des sociétés [R] et [R] à la procédure de sauvegarde mais uniquement sur l'adoption du plan de sauvegarde.

Sur la capacité de [R] [R] à présenter un plan de sauvegarde du fait de la procédure collective le touchant et de celle touchant [R] Holding en Belgique la cour constate que le plan est présenté par les sociétés [R] et [R] et non par Monsieur [R] personnellement ou par la société [R] Holding. Le ministère public sera donc débouté de sa demande d'irrecevabilité sur ce point.

Il n'appartient pas à la cour dans le cadre de la présente procédure de déterminer si au regard des statuts de la société Snc Bernard Tapie ce dernier a la capacité et la qualité de gérant. Le ministère public sera en conséquence débouté de cette demande d'irrecevabilité également.

Enfin s'il est exact que l'article L 621-3 du code de commerce limite la durée de la période d'observation à 18 mois au plus, l'article R 626-18 du même code dispose que dans un tel cas le tribunal peut être saisi aux fins de clôture de la procédure. Aucune disposition n'interdit au débiteur de présenter un plan de sauvegarde après l'expiration de la période d'observation et aucune sanction n'est prévue lorsque la période d'observation déterminée par les textes et les décisions est dépassée comme c'est le cas en l'espèce. Cette demande d'irrecevabilité sera en conséquence rejetée.

Sur le plan de sauvegarde

Les sociétés [R] et [R] soutiennent que de nombreux éléments nouveaux sont intervenus depuis le rejet du plan de sauvegarde par la cour d'appel en 2018 et notamment que Monsieur [R] a été relaxé par jugement du tribunal correctionnel de Paris le 9 juillet 2019 et que ce jugement a ordonné la mainlevée de l'intégralité des saisies pénales. De plus la société La Provence connaît un développement très positif confirmant les valorisations présentées, l'intégralité des créances déclarées par CDR et CDR Créances au passif de Dolol ont été rejetées par arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 janvier 2020, la créance déclarée par la Société Générale au passif de [R] a été rejetée par le tribunal de commerce de Paris le 11 juin 2019 et le processus de cession de l'Hôtel de [1] est très avancé puisqu'une offre d'acquisition a été reçue le 22 décembre 2019 pour un montant net vendeur de 80.000.000 d'euros.

Elles contestent avoir surévalué les actifs. Elles font valoir que la dissolution judiciaire, non définitive, de la société [R] Holding est sans conséquence sur l'adoption du plan, celle-ci n'ayant pris aucun engagement dans le plan, les engagements étant le fait d'autres sociétés du groupe et elles ajoutent que l'apport des titres [R] à [R] Holding a été déclarée inopposable à la procédure de liquidation judiciaire de Monsieur [R].

Elles estiment qu'il existe une possibilité sérieuse de sauvegarde de l'entreprise, que le plan prend en compte l'ensemble du passif déclaré à l'exception des doublons et qu'elles disposent d'actifs suffisants pour faire face aux échéances.

Elles soutiennent enfin que les dispositions du plan respectent les délais fixés par la loi, qu'elles permettent le désintéressement des créanciers et qu'elles font apparaître des possibilités sérieuses de sauvegarde.

L'administrateur et le mandataire judiciaire exposent qu'ils maintiennent leur avis réservé sur le plan compte tenu de l'absence de faits nouveau susceptibles d'avoir une influence sur l'avis précédemment émis. Ils notent qu'aucune des contestations formulées dans le cadre du présent appel ne leur semble de nature à remettre en cause cet avis.

Le ministère public estime qu'à l'instar du plan n°1, le plan présenté souffre d'un défaut de financement. Il rappelle que l'ensemble du passif, y compris contesté, doit être pris en compte, que l'actif allégué est en grande partie indisponible, qu'une autre partie est grevée de sûretés et que les créances dont le recouvrement est invoqué par les sociétés [R] et [R] sont soit inexistantes, soit aléatoires, soit limitées.

Le CDR Créances, en sa qualité de contrôleur, expose que le plan proposé ne tient pas compte de l'aléa lié à la procédure pénale et à la mainlevée des saisies sur les actifs dont la cession est proposée afin de respecter les échéances. Il précise que malgré la relaxe prononcée le 9 juillet 2019, la mainlevée des saisies pénales reste aléatoire, le ministère public ayant interjeté appel.

Il soutient que la cession de ces actifs ne sera pas suffisante pour apurer le passif. Il expose que c'est l'ensemble du passif déclaré qui doit être pris en compte, que les contestations soulevées ne sont pas sérieuses puisqu'il dispose d'un titre exécutoire définitif depuis l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 décembre 2015 confirmé par la cour de cassation le 18 mai 2017, pour un montant de plus de 500.000.000 d'euros. Il conteste être redevable de sommes qui viendraient en compensation de sa créance et rappelle qu'il a fait appel de la décision du juge commissaire qui a rejeté une partie de sa créance.

Il ajoute que les actifs dont la cession est prévue dans le plan soit correspondent à des créances à recouvrer qui n'existent pas, soit ne sont pas disponibles, que la cession du seul actif disponible n'est prévu que pour le paiement de la troisième échéance. Il conteste l'exhaustivité des actifs révélés et leur valorisation, en raison notamment de sûretés les grevant et des saisies pénales et civiles dont ils font l'objet.

Il précise qu'une partie des actifs immobiliers présentés en garantie de la bonne exécution du plan n'appartiennent pas aux sociétés [R] et [R] qui ne peuvent donc en disposer à leur guise, notamment en raison de la liquidation judiciaire de la société [R] Holding et que les engagements pris ne sont pas juridiquement contraignants soit parce qu'ils ne peuvent être mis en oeuvre en raison d'une décision de justice étrangère, soit parce qu'ils n'ont pas été pris par les organes habilités.

Il précise que l'apport du Moulin du [Localité 7] comme actif complémentaire est illusoire dans la mesure où il appartient à la société Themepark dont l'engagement ne peut être respecté en raison du gel de ses titres et actifs prononcé le 31 juillet 2018 par la Haute cour de justice de Londres et que depuis le 17 avril 2019 Themepark est gérée par des administrateurs qui ont rejeté en bloc l'engagement pris sur ce bien par courrier du 23 octobre 2019.

Enfin il conteste la valeur retenue de la participation dans la Provence n'est pas établie.

Il conteste par ailleurs le poste créance à recouvrer dont il estime qu'il est purement fictif en raison de la renonciation définitive prévue dans le compromis d'arbitrage qui n'a jamais été annulé et des arrêts de la cour d'appel du 3 décembre 2015 et de la cour de cassation du 18 mai 2017 qui purgent le contentieux entre le [R] et le CDR. Il précise que la créance liée à la violation de l'ordre des créanciers, opposée par Monsieur [R], ne peut être remise en cause et qu'en tout état de cause, elle serait due soit au titre de l'article 40, soit au titre de l'article 50 de la loi de 1985.

Il estime par ailleurs que la créance fiscale ne peut être décemment qualifiée d'actif disponible.

Aux termes des dispositions de l'article L 626-1 du code de commerce "Lorsqu'il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, le tribunal arrête dans ce but un plan qui met fin à la période d'observation."

Il convient en premier lieu de déterminer le montant du passif à apurer étant précisé que tout le passif déclaré doit être pris en compte même le passif contesté.

Le passif déclaré s'élève à 1.904.879.783, 35 euros mais il comporte des doublons de la part du CDR, des mandataires judiciaires et de l'Agent judiciaire de l'Etat, certaines créances ayant été déclarées plusieurs fois.

Il n'est pas contesté que le passif à prendre en compte s'élève en fait à 461.115.945, 62 euros, étant précisé que certaines créances sont contestées de sorte que in fine le passif pourrait être inférieur selon les sociétés [R] et [R]. La cour ne peut cependant pas tenir en compte cet élément qui reste incertain et qui est contesté par le CDR et le ministère public.

Au regard de ce passif les sociétés [R] et [R] proposent le plan de sauvegarde suivant :

- 1re année : 5 %

- 2e année : 10 %

- 3e année : 15 %

- 4e année : 20 %

- 5e année : 25 %

- 6e année : 25 %.

La cour constate en premier lieu que le paiement des échéances du plan ne sera effectué que par le remboursement des sommes saisies et par la cession d'actifs. Les sociétés [R] et [R] ne génèrent aucun revenu qui pourrait être utilisé pour faire face au remboursement de la dette.

Les deux premières échéances, d'un montant de 69.167.391, 84 euros seraient financées par la mobilisation de liquidités provenant de la mainlevée des saisies pénales et provenant des sommes détenues sur le compte de la Caisse des Dépôts et Consignations des liquidateurs judiciaires de Monsieur et Madame [R] pour un montant de 4.500.000 euros, cette dernière somme s'ajoutant aux sommes faisant l'objet des saisies.

Le CDR et le ministère public considèrent que la mainlevée des saisies ne pourra intervenir du fait de l'appel intenté à l'encontre du jugement de relaxe. En effet selon eux la restitution des sommes saisies ne peut intervenir dès lors qu'il existe un risque de confiscation.

La cour relève que dans son jugement rendu le 9 juillet 2019 relaxant Monsieur [R] le tribunal correctionnel de Paris a ordonné la mainlevée des saisies réalisées. La cour ignore si les sociétés appelantes ont sollicité la restitution des sommes saisies à la suite du jugement de relaxe mais toujours est-il que la mainlevée n'a toujours pas été effectuée de sorte que les sommes en question ne sont pas disponibles à ce jour pour payer les deux premières échéances. Les sociétés appelantes ne mentionnent aucune date de restitution des sommes saisies. Il y a lieu de rappeler que le plan doit prévoir l'apurement du passif et doit présenter une probabilité sérieuse d'exécution dans les limites de temps prévus par la loi.

En effet, il résulte des dispositions de l'article L 626-18 du code de commerce que "Le premier paiement ne peut intervenir au-delà d'un délai d'un an". Les sociétés [R] et [R], à qui il appartient de démontrer que le plan de sauvegarde dont elles demandent l'adoption répond aux exigences de ce texte, échouent à établir qu'elles seront en mesure de payer les deux premières échéances du plan avec les fonds restitués provenant des saisies dans le délai d'un an alors que ces sommes sont toujours bloquées.

Il apparaît ainsi que les deux premières échéances du plan ne pourront être payées dans l'immédiat ou même dans un avenir proche si le plan était adopté faute de restitution des sommes saisies dans un délai déterminé et en tous cas avant une année à compter de l'arrêté du plan de sauvegarde dans une hypothèse favorable.

La cour constate en conséquence que l'analyse du plan de sauvegarde n°1 effectué par la cour d'appel en 2018 est toujours d'actualité sur ce point.

Quant à la somme de 4.500.000 euros qui serait déposée à la Caisse des Dépôts et Consignations entre les mains des organes de la procédure collective de Monsieur et Madame [R], elle résulte selon les sociétés appelantes, d'un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 18 septembre 2014. Cet arrêt est relatif à un contentieux opposant les liquidateurs de Monsieur et Madame [R] et des sociétés ACT et BT Gestion à la Société Générale qui s'était engagée à garantir à première demande à hauteur de 15.500.000 euros au profit des liquidateurs les indemnités fixées par le tribunal arbitral revenant à la société [R].

La cour relève d'une part que l'arrêt précité condamne la Société Générale à verser aux liquidateurs la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts et ne mentionne pas la somme de 4.500.000 euros. En tout état de cause sur demande du CDR les liquidateurs de Monsieur [R] et des sociétés ACT et et BT Gestion ont, dans un courrier du 10 septembre 2018, précisé qu'ils 'ne validaient pas cette information' selon laquelle une somme de 9.500.000 euros serait en leur possession à la CDC.

Ici encore les sociétés [R] et [R] échouent à établir qu'ils disposent d'une telle somme qui s'ajouterait aux sommes saisies, pour faire face aux deux premières échéances du plan.

Il résulte de ces éléments que les deux premières échéances du plan de sauvegarde ne sont pas sécurisées.

La troisième échéance serait quant à elle financée par le solde du remboursement des saisies pénales et par la cession de l'Hôtel de [1].

La cour relève que l'Hôtel de [1], qui constitue le domicile des époux [R], est évalué à environ 90.000.000 euros. Il est envisagé de le céder pour 80.000.000 euros, étant précisé que les combles ne seraient pas vendus ce qui explique la différence de prix.

Il est produit aux débats un document intitulé "Lettre d'intention d'achat" dans lequel une personne dont l'identité est cachée, propose d'acheter le bien au prix de 80.000.000 euros. La proposition est valable jusqu'au 14 février 2020 et doit être suivie d'une promesse unilatérale de vente devant intervenir au plus tard le 14 août 2020. Un certain nombre de conditions figurent dans l'acte et il est précisé que faute de réalisation de la totalité de ces conditions dans les six mois suivant l'acceptation de l'offre celle-ci sera réputée caduque sans indemnités de part ou d'autre.

Ce document ne comporte qu'une seule signature, apparemment celle de [R] [R], mais ne comporte pas la signature de l'auteur de l'offre.

Par ailleurs la cour observe que la promesse de vente interviendrait au plus tard au mois d'août 2020 et donc que la vente elle-même ne pourrait être effective avant la fin de l'année 2020.

Enfin, cette offre est soumise à des conditions suspensives dont l'exécution est laissée à la libre volonté des parties puisqu'il n'y est prévu aucune sanction.

La cour considère qu'il n'est pas établi d'une part que la vente pourrait avoir lieu avant le délai d'un an prévu à l'article L 626-18 du code de commerce s'il s'avérait nécessaire de rembourser les deux premières annuités par la cession de ce bien immobilier et d'autre part que cette vente interviendrait avec certitude compte tenu des éléments rappelés ci-dessus.

Les sociétés [R] et [R] n'établissent pas qu'elles seraient en mesure de faire face à la troisième échéance du plan ou, si la vente devait se substituer à la restitution des saisies aux deux premières échéances, et ce dans le délai d'une année.

Les sociétés [R] et [R] n'établissant pas qu'elles sont en mesure de faire face aux trois premières échéances du plan, il n'apparaît pas nécessaire d'examiner si les échéances suivantes seront couvertes par les cessions envisagées.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement dont appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

DÉCLARE irrecevable l'intervention du Syndicat des Métiers du Droit et des Métiers Connexes (SYMED),

DÉCLARE sans objet la demande d'irrecevabilité du Consortium de Réalisation Créances en sa qualité de contrôleur,

DÉCLARE recevables la société Snc [R] et société [R],

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 18 janvier 2019 rejetant le plan de sauvegarde le la Snc [R] et de la société [R],

DIT que les dépens, seront employés en frais privilégiés de procédure collective.