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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 24 mai 2017, n° 15/16461

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

HM Gold (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Thaunat, Mme Fremont

TGI Paris, du 23 juin 2015, n° 14/05461

23 juin 2015

Faits et procédure :

Suivant acte sous seing privé en date des 24 février et 26 mars 2008, à effet du 1er mars 2004, les époux P. ont donné à bail commercial à la société Poissonniers Bijoux, en renouvellement d'un précédent bail commercial, divers locaux dépendants d'un immeuble sis [...].

Suivant acte sous seing privé du 15 avril 2008, la société Poissonniers Bijoux a cédé à la société HM Gold le fonds de commerce qu'elle exploitait dans les locaux objets du bail. Le bail était à destination de « bijouterie - horlogerie - cadeaux ».

Par acte extrajudiciaire du 17 juillet 2012, les époux P. ont notifié à la société HM Gold un congé avec refus de renouvellement et off re d'indemnité d'éviction, à effet au 28 février 2013.

Par une ordonnance de référé du 11 février 2013, M. Patrick C. a été désigné en qualité d'expertaux fi ns d'évaluer les indemnités d'éviction et d'occupation.

Aux termes du rapport déposé le 27 octobre 2013, M. Patrick C. a conclu que l'éviction entraînera la perte du fonds de commerce, que l'indemnité d'éviction peut s'apprécier à la somme de 134.000euros, outre le remboursement des frais de licenciement du personnel sur justificatifs, et que l'indemnité d'occupation à compter du 1er mars 2013 peut s'apprécier à la somme de 8.184 euros par an.

Suivant exploit d'huissier du 2 avril 2014, les époux P. ont fait assigner la société HM Gold aux fins notamment de voir fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 45.130 Euros, toutes causes confondues, outre les frais de licenciement du personnel sur justificatifs, et voir fixer l'indemnité d’occupation à la somme annuelle de 8.184 euros à compter du 1er mars 2013.

Par jugement du 23 juin 2015 le Tribunal de Grande Instance de Paris a :

- dit que par l'effet du congé comportant refus de renouvellement signifié le 17 juillet 2012, le bail a pris fin le 28 février 2013,

- dit que l'éviction entraîne la perte du fonds exploité par la société HM Gold dans les locaux appartenant aux époux P. situés à [...],

- fixé à la somme de 135.402 euros, le montant de l'indemnité d'éviction toutes causes confondues due par M. et Mme P. à la société HM Gold, outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs,

- dit que la société HM Gold est redevable à l'égard de M. et Mme P. d'une indemnité d'occupation à compter du 1er mars 2013,

- fixé le montant de cette indemnité d'occupation à la somme annuelle de 8.184 euros, outre les taxes et charges,

- dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation s’opérera de plein droit,

- condamné M. et Mme P. à payer à la société HM GOLD la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme P. aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.

Les époux P. ont relevé appel du jugement par déclaration du 28 juillet 2015.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 27 février 2017, les époux P. demandent à la cour de :

Débouter la Société « HM Gold » de l'intégralité de ses demandes, fi ns et conclusions.

Infirmer le jugement rendu le 23 juin 2015 en ce qu'il a :

' fixé à la somme de 135.402,00 euros le montant de l'indemnité d'éviction, toutes causes confondues, due par M. et Mme P. à la Société « HM Gold », outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs,

' condamné M. et Mme P. à payer à la Société « HM Gold » la somme de 2.000,00 (deux mille) euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

' condamné M. et Mme P. aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise,

Statuant à nouveau,

Fixer à la somme de 95.432,00 euros le montant de l'indemnité d'éviction, toutes causes confondues, due par M. et Mme P. à la Société « HM Gold », outre les frais de licenciement du personnel sur justificatif,

Condamner la Société « HM Gold » aux entiers dépens de première instance, en ce compris les frais d’expertise, ainsi qu'aux dépens d'appel,

Confirmer la décision entreprise pour le surplus,

Condamner la Société « HM Gold » à leur payer la somme de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 7 mars 2017, la société HM Gold demande à la cour de :

Débouter M. et Mme P. de l'ensemble de leurs demandes, fi ns et conclusions ;

Confirmer le jugement rendu le 23 juin 2015 par le Tribunal de Grande Instance de Paris dans toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la société HM Gold à la somme de 8.184 € ;

Statuant à nouveau,

Fixer le montant de l'indemnité d'occupation 'due à la somme annuelle due à compter du 1er mars2013 à la somme de’(sic) 7.274 € ;

Condamner M. et Mme P. à payer à la société HM Gold la somme de 5.000 € au titre de l'article700 du Code de Procédure Civile ;

Les condamner en outre aux entiers dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire, dont le montant pourra être recouvré directement par la SELARL A. F. R. avocats, représentée par Maître Olivier A., Avocat au Barreau de Paris, conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.

ET SUR CE

La boutique exploitée par la SARL HM Gold est située dans un secteur très populaire et très animé, en retrait du [...]. Son emplacement lui procure une très bonne commercialité pour l'activité de bijouterie et horlogerie.

Sur l'indemnité d'éviction :

Les époux P. contestent la sincérité du chiffre d'affaires pour l'année 2012 d'un montant de378.433 euros, soit le double des années précédentes, alors que le paiement de la TVA ne s'est élevé qu'à la somme de 15.144 € sur les produits vendus, et que la SARL HM Gold n'a jamais fourni la moindre pièce justifiant que la vente en gros aurait considérablement augmenté en 2012,expliquant la perte de marge brute d'exploitation relevée par l'expert pour cette année-là.

Ils ont fait établir un rapport d'expertise amiable, aux termes duquel l'expert V. da C. estime qu'en raison de l'évolution erratique des chiffres d'affaires et des résultats de la société HM Gold, le fonds de commerce ne saurait valoir plus que son droit au bail.

Ils ajoutent que la lecture des comptes 2013, 2014 et 2015, qui doivent être pris en compte pour évaluer l'indemnité d'éviction au moment le plus proche de la date d'éviction, démontre une exploitation déficitaire, justifiant que l'indemnité d'éviction doit être équivalente à la valeur du droit au bail, conformément aux préconisations de l'expert V. da C..

Ils demandent que soit appliqué un coefficient de 5,5 à la valeur locative de 14.197 € retenue par M.V. da C., en tenant compte de la situation moyenne du commerce dans un quartier populaire, et du fait que lors des opérations d'expertise, la mosquée située face aux locaux n'avait pas encore été démolie, pour demander la fixation de l'indemnité d'éviction à la somme de 78.000 euros pour l’indemnité principale. S'agissant des indemnités accessoires, ils contestent le montant des frais de remploi qu'ils veulent voir fixer à 7.800 € (10% de 78.000 €) et l'indemnité allouée au titre du trouble commercial qu'ils évaluent à la somme de 1.500 €.

La société HM Gold explique la différence entre les chiffres d'affaires par la nécessité de fermer la boutique en 2013 car son gérant a dû s'occuper de sa mère malade qui demeure à l'étranger, par la démolition de la mosquée située en face des lieux loués, puis en 2015 par la nécessité de s'occuper des enfants du couple alors que sa compagne était arrêtée pour maladie dès le début de sa grossesse.

Elle indique que ces allégations sont corroborées par la réalisation en 2016 d'un chiffre d'affaires de 150.318 euros, le gérant de la société HM Gold ayant pu se consacrer à plein temps à son activité professionnelle.

Elle fait observer que son expert-comptable, qui est en outre commissaire aux comptes, garantit la sincérité et l'authenticité des comptes.

Elle considère que le débat sur la rentabilité du fonds de commerce n'a pas lieu d'être car, comme l’indique l'expert C., « la ventilation entre la vente au détail et la vente en gros ne remet pas en cause son évaluation dès lors que l'approche par la rentabilité conduit à une valeur de fonds supérieure à l'approche chiffre d’affaires, la décomposition entre la vente au détail et la vente en gros ayant été effectuée uniquement dans l'approche chiffre d'affaires ».

Elle en déduit que la valeur marchande du fonds de commerce peut être prise en compte pour la détermination du montant de l'indemnité d'éviction, en arguant que l'expert C. a calculé la valeur du fonds de commerce par la rentabilité et par les traités et en a fait une moyenne de 109.000euros, entérinée par le tribunal de grande instance. L'intimée sollicite la confirmation de ce montant, rappelant qu'elle a acquis ledit fond en 2008 pour un montant de 135.800 euros.

La SARL HM Gold rappelle que l'expertise réalisée par Monsieur V. da C. n'est pas contradictoire et qu’en toutes hypothèses, celui-ci conclut à une indemnisation qui ne saurait être inférieure à110.300 euros.

Elle demande que les sommes proposées par l'expert C. s'agissant du remploi, de la réinstallation, de la perte sur stock, du trouble commercial et des frais de déménagement soient entérinés par la cour.

Aux termes des dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ; elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Cette indemnité ne peut en tout état de cause être inférieure à la valeur du droit au bail.

Sur la valeur du droit au bail :

La méthode usuelle en matière d'évaluation du droit au bail est celle retenant la différence entre le loyer tel qu’il aurait été si le bail avait été renouvelé et la valeur locative du marché.

L'évaluation faite par l'expert M. C., qui a fixé à la somme de 5.750 € le loyer plafonné, et à 11.700€ la valeur locative du marché, soit un différentiel de 5.950 € par rapport au loyer plafonné de5.750 €, a été reprise par les premiers juges, soit, après l'application d'un coefficient de 5,5, une valeur du droit au bail d'un montant de 33.000 €.

L'expert V. Da C., mandaté par les époux P. a pour sa part fixé la valeur locative du marché à 19.500€ et, après déduction du loyer contractuel de 5.303 €, un différentiel à 14.197 €, auquel il a appliqué un coefficient de 7 en considérant qu'il s'agissait d'un très bon emplacement commercial, pour parvenir à une valeur de droit au bail de 99.400 €. Les bailleurs acquiescent à cette valeur locative de marché de 19.500 €, mais demandent qu'un coefficient de 5,5 lui soit appliqué.

Sur la valeur du fonds de commerce :

Il n'est pas contesté par les parties que l'éviction entraîne la perte du fonds.

L'expert a procédé à deux approches de la valeur du fonds, par la rentabilité et par le chiffre d'affaires, en tenant compte des derniers bilans connus de 2010, 2011 et 2012 et surtout du dernier exercice 2012 qui a généré un chiffre d'affaires de 378.443 €, très nettement supérieur aux années précédentes (140.548 € et 188.295 €), mais qui n'a plus jamais été atteint lors des exercices suivants.

Comme le font justement remarquer les bailleurs, le montant de l'indemnité d'éviction doit être appréciée au moment le plus proche de la date de l'éviction et la valeur du fonds de commerce doit être déterminée en fonction des trois dernières années du chiffre d'affaires des preneurs avant l’éviction, soit 2014, 2015 et 2016.

Le chiffre d'affaires moyen pondéré des trois derniers exercices :

- 2014 : .................................................................................................................127.046 €

- 2015 : 39.843 € x 2 = ...........................................................................................79.686 €

- 2016 : 150.318 € x 3 = ......................................................................................450.954 €

soit une moyenne de 657.686/6 = 109.614 € HT, soit 131.098 € TTC.

Après trois années déficitaires (déficits de 12.168 € en 2013, de 6.114 € en 2014 et de 6.683 € en2015), le résultat d'exploitation a été bénéficiaire de 9.980 € en 2016.

- L'approche par la rentabilité :

L'expert judiciaire a procédé à une approche par la rentabilité basée sur l'excédent brut d’exploitation (E.B.E) retraité, justifiée en présence d'une grande variation du chiffre d'affaires et du résultat d'exploitation d'une année à l'autre.

L'excédent brut d'exploitation (EBE) s'est élevé pour l'exercice 2016 à 11.065 €.

La différence entre la valeur locative de marché et le loyer en renouvellement s'établit selon l’expert judiciaire à : 11.700 € - 5.750 € = 5.950 € ; il a déduit cette somme de l'EBE qui ainsi retraité s'établit à : 11.065 - 5.950 = 5.115 €, cette dernière somme étant capitalisée avec un coefficient de 4 s'agissant d'un commerce indépendant ouvert toute l'année sauf le samedi et deux semaines en août, avec une activité de gros et de détail, soit : 5.115 x 4 = 20.460 €.

Cette valeur est inférieure à celle du droit au bail telle que calculée tant par l'expert judiciaire que par celui de la bailleresse.

- L'approche par le chiffre d'affaires :

Le calcul se fait en appliquant un pourcentage sur le chiffre d'affaires TTC (et non pas HT comme préconisé par l'expert).

Pour les fonds de vente en gros, l'expert judiciaire indique sans être sérieusement contesté que les pourcentages appliqués sur le chiffre d'affaires sont plus faibles, et compte tenu de l'emplacement dans une voie recherchée pour les commerces de proximité au coeur d'un quartier populaire, d'une faible valeur de droit au bail, de la marge brute d'exploitation, du bon état des agencements, et de la faible rentabilité du fonds, M. C. a retenu les pourcentages suivants, qui doivent être appliqués au chiffre d'affaires pondéré des trois derniers exercices :

* vente au détail : 131.098 x 2/3 x 40% = .............................................................34.959 €

* vente en gros : 131.098 x 1/3 x 20% = .................................................................8.740 €

soit 43.699 € arrondis à 43.700 €.

Dans l'un et l'autre cas, la valeur obtenue est inférieure à la valeur du droit au bail.

En conséquence, compte tenu d'un chiffre d'affaires fluctuant et de la faible rentabilité du fonds, il y a lieu de retenir au titre du préjudice la valeur du droit au bail, qui sera calculée sur la base de la valeur locative chiffrée par l'expert mandaté par les bailleurs, M. V. da C., supérieure à celle proposée par l'expert judiciaire et en appliquant un coefficient de 6,5 compte tenu de la bonne situation des locaux dans le quartier très commerçant de Barbès, comme suit :

19.500 € - loyer renouvelé 5.750 € = 13.750 x 6,5 = 89.375 €.

Sur les indemnités accessoires :

Elles seront évaluées, conformément à la méthode préconisée par l'expert M. C., et détaillées comme suit :

- frais de remploi 10% : ............................................................................................8.938 €

- frais de réinstallation : ...........................................................................................5.000 €

- pertes sur stock : .....................................................................................................2.132 €

- trouble commercial correspondant à 3 mois du dernier résultat d'exploitation (11.065 €) :..................................................................................................................................2.100 €

- frais de déménagement : .........................................................................................1000 €

- frais de licenciement : ils seront payés sur justificatifs soit ..................................19.170 €

L'indemnité d'éviction s'élève donc à la somme totale de 108.545 €.

Sur l'indemnité d'occupation :

Les appelants demandent la confirmation des dispositions du jugement relatives à l'indemnité d’occupation, dont l'application d'un abattement de 10% pour précarité, alors que la SARL HM Gold demande l'application d'un abattement pour précarité de 20% en considération de l'entrave subie dans l'exploitation du fonds, mettant en avant l'impossibilité pour le gérant d'avoir pu procéder à des travaux depuis l'année 2015, ne sachant pas à quelle date il serait amené à quitter les lieux.

Les premiers juges ont à juste titre fixé l'indemnité d'occupation à la somme proposée par l'expert, après application d'un abattement de précarité de 10%, la société HM Gold ne démontrant pas avoir exercé son activité après congé dans des conditions de précarité qui excédent ce qui est habituel ; le montant de cette indemnité d'occupation sera confirmé à hauteur de 8.184 €/an.

Sur les autres demandes :

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, l’indemnité allouée par les premiers juges à ce titre restant acquise à la SARL HM Gold.

Les dépens d'appel seront mis à la charge de M. et Mme P..

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, à l'exception de celle relative au montant de l’indemnité d'éviction,

Statuant à nouveau de ce chef, et y ajoutant,

Fixe à la somme de 108.545 € le montant de l'indemnité d'éviction totale due par M. André P. et Mme Danielle P., outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne M. et Mme P. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.