CA Bourges, ch. civ., 5 novembre 2020, n° 20/00137
BOURGES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pierre François Immobilier (SARL)
Défendeur :
Selarl AJUP (ès qual.), Selarl JSA (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Waguette
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Avocats :
Me Guenot, Me Thiault
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Pierre François Immobilier (PFI) qui a pour objet social l'activité de marchand de biens, sollicité et obtenu le bénéfice d'une procédure de sauvegarde prononcée par jugement du tribunal de commerce de Nevers en date du 23 mai 2018 désignant la Selarl JSA en qualité de mandataire judiciaire et la société Wautot en qualité d'administrateur.
La procédure a, par suite, été converti en redressement judiciaire (17septembre 2018) puis en liquidation judiciaire (23 novembre 2018) par la même juridiction.
La cour d'appel de céans a toutefois infirmé la décision de liquidation judiciaire et renvoyé devant la juridiction consulaire pour l'élaboration d'un plan de redressement.
Par jugement rendu le 20 janvier 2020, le tribunal de commerce de Nevers a arrêté le plan de redressement par voie de continuation de la société PFI, qui prévoyait, notamment, l'apurement du passif échu à hauteur de 100 % des créances admises en 10 annuités linéaires et la reprise du remboursement des prêts à échoir selon leurs modalités contractuelles, les échéances impayés de la période d'observation étant reportées en fin de plan.
En outre, le tribunal a prononcé l'inaliénabilité du fonds de commerce et de l'ensemble des immeubles composant l'actif de la société PFI pendant toute la durée du plan, a dit que Madame X, la gérante, devra remettre au commissaire à l'exécution du plan, dans les huit jours suivants la notification du présent jugement, la liste exhaustive des immeubles et droits immobiliers appartenant à ce jour à la SARL Pierre François Immobilier et dit que les publicités de l'inaliénabilité seront effectuées par le Commissaire à l'exécution du plan, dans les conditions prévues par les articles L.626 14, R.626 25 du Code de commerce,
Par acte reçu au greffe le 3 février 2020, la société Pierre François Immobilier a interjeté appel de cette décision le limitant aux chefs de décision concernant le prononcé de l'inaliénabilité des biens immobiliers et ses modalités de mise en oeuvre.
Par ordonnance de référé du 21 juillet 2020, le premier président de la cour d'appel de Bourges, saisi par la société PFI, a ordonné la suspension de l'exécution provisoire attachée à la décision entreprise, considérant que les éléments fournis à l'appui de l'appel étaient suffisamment sérieux.
Par dernières conclusions en date du 5 mars 2020, l'appelante demande à la cour, au visa de l'article L. 626-14 du code de commerce, de :
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce rendu le 20 janvier 2020 en ce qu'il a prononcé l'inaliénabilité de l'ensemble des immeubles composant l'actif de la société Pierre François Immobilier pendant toute la durée du plan,
- Juger qu'au regard de l'objet social de la société Pierre François Immobilier, la clause d'inaliénabilité est inopportune,
- Ordonner la main levée de la clause d'inaliénabilité de tous les immeubles composant l'actif de la société Pierre François Immobilier,
- Juger que les frais de mainlevée seront à la charge exclusive de la SELARL JSA,
Laisser les dépens à la charge des intimés.
Au soutien de son appel, la société PFI rappelle qu'exerçant une activité de marchand de biens, son objet social est l'achat et la revente de biens immobiliers et que les biens immobiliers dont elle est propriétaire et qui sont frappés d'inaliénabilité, constituent certes son patrimoine, mais avant tout son stock et qu'imposer une clause d'inaliénabilité sur l'intégralité du stock d'une société c'est l'empêcher d'exercer son objet social et nuire au bon déroulement de son activité en la soumettant systématiquement au bon vouloir de son mandataire et du tribunal et à des procédures in compatibles avec la célérité requise pour les ventes d'immeubles comme l'ont démontré deux ventes récentes.
Elle soutient que si le but des articles L.626-14 et R.626-26 et 27 du Code de commerce est de permettre aux créanciers de bénéficier d'une garantie immobilière, ils n'ont cependant pas vocation à permettre au mandataire de contrôler l'activité de la société ni de porter un jugement sur la compétence ou la capacité de la société à remplir son objet social dont les doutes exprimés à ce sujet par le commissaire à l'exécution du plan, s'agissant de l'intégrité de Mme X sont autant vexatoires qu'infondés.
Elle en déduit que la clause d'inaliénabilité insérée au jugement d'homologation du plan apparaît par conséquent manifestement inopportune à tous points de vue.
Par conclusions signifiées le 7 mai 2020, la SELARL JSA, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société PFI, demande à la cour de :
- Dire la société Pierre François Immobilier mal fondée en son appel et l'en débouter,
En conséquence
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nevers le 20 janvier 2020,
- Condamner la société Pierre François Immobilier à payer à la Selarl JSA, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, la somme de 2.000 € sur fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Pierre François Immobilier en tous les dépens
Le mandataire fait valoir que les immeubles dépendant de l'actif constituent une garantie nécessaire pour le paiement des créanciers qui ont consenti des efforts dans le cadre du plan présenté par la société PFI qui a précisément utilisé l'argument de l'existence d'actifs valorisés pour gagner la confiance de ses créanciers dont elle attendait un avis favorable.
Il ajoute qu'ainsi l'inaliénabilité permet de vérifier l'adéquation du prix de la vente envisagée au regard des évaluations des immeubles et ne crée ni entrave ni frein à l'exercice de l'activité puisque, contrairement à ce que soutient l'appelante, la levée de l'inaliénabilité sollicitée pour deux biens mis en vente a été très rapide.
Par conclusions écrites du 12 juin 2020, dont les parties ont eu connaissance via le RPVA, le ministère public a sollicité la confirmation du jugement entrepris rappelant que l'inaliénabilité prononcée était une garantie nécessaire pour les créanciers en ce que le tribunal peut s'assurer de ce que le prix de ventes des actifs vient en règlement des échéances du plan.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article L. 626-14 du code de commerce, le tribunal peut, dans le jugement arrêtant le plan ou le modifiant, décider que les biens qu'il estime indispensables à la continuation de l'entreprise ne pourront être aliénés, pour une durée qu'il fixe, sans son autorisation.
En l'espèce, la décision entreprise a fait application de ces dispositions en décidant que tant le fonds de commerce de la société PFI que l'ensemble de ses actifs immobiliers seraient inaliénables pour toute la durée du plan.
Si une telle mesure est justifiée s'agissant de l'inaliénabilité du fonds de commerce, par essence indispensable à la continuation de l'entreprise, elle apparaît cependant excessive s'agissant des actifs qui, en réalité, consistent en des biens immobiliers acquis aux fins de revente, conformément à l'objet social de la société aux fins d'apurer le passif dans le cadre du plan homologué.
En effet, d'une part la conservation de ces actifs n'est pas indispensable à la continuation de l'entreprise puisqu'au contraire c'est bien leur réalisation qui permettra la poursuite d'activité en générant les produits nécessaires à son équilibre financier et, d'autre part, une telle mesure apparaît comme un contrôle du fonctionnement de la société incompatible avec la nécessaire disponibilité des actifs immobiliers destinés à la vente en figeant ainsi le stock et imposant pour chaque vente des démarches auprès du tribunal et du service des hypothèques ainsi que des frais supplémentaires.
Les contraintes résultant de l'inaliénabilité des actifs immobiliers, bien réelles quand bien même il est démontré que certaines ventes ont pu être effectuées dans des conditions de relative célérité, ne peuvent pas être justifiées par la crainte d'un risque de dilapidation des actifs par une gestion défaillante qui n'est pas établie.
Il y a lieu, en conséquence, d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle prononce l'inaliénabilité de l'ensemble des immeubles composant l'actif de la société Pierre François Immobilier pendant toute la durée du plan.
Statuant à nouveau, la cour dira n'y avoir lieu de prononcer l'inaliénabilité de ces immeubles et ordonnera, en tant que de besoin, la radiation de toutes les mesures de publicité qui auraient pu être effectuées par le commissaire à l'exécution du plan à charge pour la société PFI d'en supporter le coût éventuel.
Chacune des parties supportera la charge des dépens exposés pour les besoins de l'instance d'appel et il sera dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de l'appel interjeté,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé l'inaliénabilité de l'ensemble des immeubles composant l'actif de la société Pierre François Immobilier pendant toute la durée du plan,
Statuant à nouveau de ce chef,
Dit n'y avoir lieu de prononcer l'inaliénabilité de l'ensemble des immeubles composant l'actif de la société Pierre François Immobilier,
Y ajoutant,
Ordonne, en tant que de besoin, la radiation de toutes les mesures de publicité de l'inaliénabilité des actifs immobiliers qui auraient pu être effectuées par le commissaire à l'exécution du plan à charge pour la société Pierre François Immobilier d'en supporter le coût éventuel,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens exposés pour les besoins de l'instance d'appel.