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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 9 novembre 2020, n° 18/04329

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Car Aficionado

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Patrie

Conseillers :

M. Braud, Mme Vallée

Avocat :

Selas AVL Avocats

TGI Bordeaux, 5e ch., du 5 juill. 2018, …

5 juillet 2018

Stéphane B. est propriétaire d'un véhicule de marque Subaru.

En décembre 2012, Stéphane B. confiait sa voiture à la société Car Aficionado, spécialisée dans les voitures de prestige.

La société Car Aficionado émettait des factures de réparation et de gardiennage.

Elle assignait Stéphane B. devant le juge des référés du tribunal d’instance de Bordeaux en paiement des factures, lequel a estimé qu'il existait une contestation sérieuse, et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

Par acte d'huissier du 6 août 2015, la société à responsabilité limitée Car Aficionado et la société d'exercice libéral à responsabilité limitée M.-P., mandataire judiciaire de la société Car Aficionado, ont assigné Stéphane B. en paiement des factures à hauteur de 12 164,09 euros outre intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2013.

Par jugement en date du 5 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

' Déclaré irrecevables les pièces de Stéphane B. 1,2,3,4,6,7,8,9,10, 11,12,13, de 15 à 22-4, 27, 32, 35, et de 40 à 47 ;

' Déclaré recevables les conclusions du 28 mai 2018 de Stéphane B. et ordonné le report de l'ordonnance de clôture à la date des plaidoiries ;

' Condamné Stéphane B. à payer à la société Car Aficionado en présence du commissaire à l'exécution du plan la société d'exercice libéral à responsabilité limitée M.-P. la somme de 1 703,46 euros au titre des frais de réparation et 27 644,77 euros arrêtée au 19 janvier 2018 ;

' Débouté la société Car Aficionado du surplus de ses demandes ;

' Débouté Stéphane B. de sa demande ;

' Condamné Stéphane B. à payer à la société à responsabilité limitée Car Aficionado la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Ordonné l'exécution provisoire de la décision, sous réserve de la production d'une caution bancaire par la société Car Aficionado ;

' Condamné Stéphane B. aux dépens.

Pour statuer ainsi qu'il l'a fait, le tribunal a essentiellement retenu que, concernant les pièces irrecevables, Stéphane B. les avait déposées tardivement et n'avait donc pas respecté le principe du contradictoire.

S'agissant des réparations effectuées par la société demanderesse, le tribunal les a jugées nécessaires au regard de l'expertise réalisée par M. M. le 21 janvier 2013.

En outre, Stéphane B. avait été informé par la société Car Aficionado qu'à compter du 4 avril 2013, il serait appliqué un forfait journalier de gardiennage de 15 euros, le véhicule étant toujours en leurs locaux en attente de la réparation. Le tribunal a aussi relevé que le véhicule de Stéphane B. était resté dans le garage depuis septembre 2012 et que plus aucune action n'était intervenue depuis plusieurs mois, si bien que la société Car Aficionado devait facturer le gardiennage du véhicule.

Sur la demande reconventionnelle de Stéphane B., le tribunal a jugé que le défendeur ne démontrait pas que les dégradations étaient imputables à la société Car Aficionado.

Stéphane B. a interjeté appel de cette décision par déclaration du 23 juillet 2018 en ce qu'elle a :

- Déclaré irrecevables les pièces de M. Stéphane B. 1,2,3,4,6,7,8,9,10, 11,12,13,de 15 à 22-4, 27, 32,35, et de 40 à 47,

- Condamné M. Stéphane B. à payer à la société Car Aficionado en présence du commissaire à l'exécution du plan la Selarl M.-P. la somme de 1.703,46 euros au titre des frais de réparation et 27.644,77 euros arrêtée au 19 janvier 2018,

- Débouté M. Stéphane B. de sa demande,

- Condamné M. Stéphane B. à payer à la Sarl Car Aficionado la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, sous réserve de la production d'une caution bancaire par la société Car Aficionado,

- Condamné M. Stéphane B. aux dépens.

Par conclusions transmises au greffe par RPVA le 23 octobre 2018, Stéphane B. demande à la cour de :

A titre principal, vu la liquidation judiciaire de la société Car Aficionado intervenue le 18 avril 2018,

- Dire et juger que le jugement rendu le 5 juillet 2018 doit être considéré comme non avenu

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que le contrat passé entre M. B. et la société Car Aficionado est un contrat de dépôt

En conséquence,

- Débouter la société Car Aficionado de sa demande en paiement des frais de gardiennage

A titre infiniment subsidiaire, faute de détermination préalable par les parties,

- Fixer le prix du gardiennage à 1 euro par jour, soit 976 euros au titre des années 2013, 2014 et 2015, 2016, 2017 à parfaire,

- Allouer à M. B. une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- Dire et juger que les dépens seront admis au passif de la liquidation de la société Aficionado.

À titre principal, Stéphane B. fait valoir que le jugement entrepris serait non avenu, puisque le demandeur a, au cours de l'instance, fait l'objet d'une procédure collective.

À titre subsidiaire, l'appelant affirme que le contrat le liant à la société Car Aficionado était un contrat de dépôt puisque le véhicule de Stéphane B. était accidenté et en attente d'expertises.

Il ne s'agirait pas non plus d'un contrat d'entreprise.

Stéphane B. demande également la révision du prix, ce dernier ayant été fixé, selon l'appelant, unilatéralement par la société Car Aficionado.

Par conclusions transmises au greffe par RPVA le 22 janvier 2019, la société d'exercice libéral à responsabilité limitée M.P.L.D., en qualité de mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée Car Aficionado, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du 5 juillet 2018 en tous points ;

A défaut, statuant à nouveau,

- Condamner Stéphane B. au paiement de la somme de 27 644,77 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 décembre 2013, à parfaire jusqu'à l'arrêt à intervenir ou jusqu'à la date du retrait du véhicule ;

- Condamner Stéphane B. au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros au titre de la résistance abusive ;

- Condamner Stéphane B. au paiement d'une indemnité de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens avec application de l'article 699 du CPC au profit de la société civile professionnelle B.-L. pour les frais dont elle n'aurait pas reçu l'avance.

L'intimée fait valoir que la société Car Aficionado aurait pris en charge le véhicule de Stéphane B. et aurait effectué les réparations selon deux ordres de réparation.

S'agissant du tarif, l'intimée affirme avoir informé Stéphane B. par courrier recommandé du montant journalier de la garde du véhicule, et qu'en laissant son véhicule stationné dans le garage de la société Car Aficionado, il en acceptait les conditions.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue par le magistrat chargé de la mise en état le 14 septembre 2020 et l'affaire renvoyée à l'audience du 28 septembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du jugement :

En application de l'article 369 du code de procédure civile, l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur.

Aux termes de l'article 372 du même code, les actes accomplis et les jugements même passés en force de chose jugée, obtenus après l'interruption de l'instance, sont réputés non avenus à moins qu'ils ne soient expressément ou tacitement confirmés par la partie au profit de laquelle l'interruption est prévue.

À l'issue des débats tenus à l'audience publique du 29 mai 2018, le jugement querellé a été rendu le 5 juillet 2018 entre la société à responsabilité limitée Car Aficionado et la société d'exercice libéral à responsabilité limitée M.-P., mandataire judiciaire, demanderesses, et la société à responsabilité limitée Angoulins Auto Service et Stéphane B., défendeurs.

Or, la société Car Aficionado avait été placée en liquidation judiciaire par conversion du plan de redressement suivant jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 18 avril 2018.

Si l'intimée fait valoir que ce jugement fut frappé d'appel par une déclaration dont la caducité ne fut constatée que par ordonnance en date du 5 juillet 2018, il n'en demeure pas moins qu'en application de l'article R. 661-1 du code de commerce, les jugements rendus en matière de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire. Il ne peut donc être soutenu que la société Car Aficionado ait été utilement représentée par le commissaire à l'exécution du plan au jour des plaidoiries devant le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Les dispositions de l'article 372 du code de procédure civile ne peuvent toutefois être invoquées que par la partie au bénéfice de laquelle l'instance a été interrompue. Le moyen soulevé par Stéphane B., tiré du caractère non avenu du jugement entrepris, est donc inopérant.

Sur la condamnation à payement au titre de frais de gardiennage :

Aux termes de l'article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature.

Aux termes de l'article 1917 du même code, le dépôt proprement dit est un contrat essentiellement gratuit.

Toutefois, le contrat de dépôt d'un véhicule auprès d'un garagiste, accessoire à un contrat d'entreprise, est présumé fait à titre onéreux (Civ. 1re, 5 avr. 2005, n°02-16.926). Tel n'est pas le cas lorsqu'un véhicule est déposé chez un garagiste pour une expertise sans qu'un contrat d'entreprise soit conclu avec ledit garagiste (Civ. 1re, 26 nov. 2014, no 13-26.760).

En l'espèce, la voiture de Stéphane B. a été remise en septembre 2012 à la société Car Aficionado à l'occasion d'une expertise amiable organisée à la suite d'un différend opposant Stéphane B. à un autre garage et à un fournisseur de pièces détachées (pièce no 24 de l'appelant).

D'après l'appelant, les interventions réalisées par la société Car Aficionado n'ont pas été réclamées par lui, mais exclusivement par les experts au cours des réunions d'expertise.

La société Car Aficionado produit aux débats deux ordres de réparation établis au nom de Stéphane B. le 17 septembre 2012 et le 13 novembre 2012 dans le cadre des opérations d'expertise (pièces nos 12 et 13 de l'intimée ; pièces nos 39 et 40 de l'appelant), suivis de deux factures du 12 septembre 2013 d'un montant total de 1 703,46 euros.

Le procès-verbal de constatations dressé à l'issue de la réunion d'expertise amiable contradictoire du 17 septembre 2012 (pièce no 24 de l'appelant) fait état d'une avarie du moteur à déterminer, et de l'accord des parties pour un nouvel examen contradictoire le 3 octobre 2012 après dépose de la face avant. Un ordre de réparation a ainsi été donné le même jour par Stéphane B., ainsi libellé : « Expertise suite à casse courroie de distribution. Devis réparation à la charge du client. En attente de fin du litige. 1 325 € TTC » (pièces no 12 de l'intimée, no 39 de l'appelant). À la suite de quoi a été émise le 12 septembre 2013 une facture de 1 370,45 euros reprenant les mentions précitées (pièce no 1 de l'intimée).

Le procès-verbal de constatations dressé à l'issue de la réunion d'expertise amiable contradictoire du 3 octobre 2012 (pièce no 25 de l'appelant) mentionne, après dépose du carter de distribution, de la poulie de vilebrequin, des galets tendeur et enrouleur, et de l'axe du galet tendeur, qu'aucune anomalie n'est constatée sur les poulies et les galets, qu'un axe de poussée du galet tendeur n'est pas dans sa configuration initiale, qu'aucune anomalie de démontage n'est relevée dans le système de distribution, et qu'une mise en cause du fabricant des pièces est envisagée. À l'issue de cette réunion, un ordre de réparation a été établi le 13 novembre 2012 auprès de la société Car Aficionado, afin de procéder au remplacement de la pompe à eau, du liquide de refroidissement, et de la courroie des accessoires (pièces no 13 de l'intimée, no 40 de l'appelant). À la suite de quoi a été émise le 12 septembre 2013 une facture de 333,01 euros (pièce no 2 de l'intimée).

Il est ainsi établi que Stéphane B. a chargé la société Car Aficionado de travaux d'investigation et de réparation pour les besoins de l'expertise amiable. Les parties ont donc été liées par un contrat d'entreprise à partir du 17 septembre 2012 (C. A. Aix-en-Provence, 11 févr. 2014, no 12/06885 ; C. A. Toulouse, 11 sept. 2017, n° 16/02355).

Le dépôt de la voiture de Stéphane B. auprès de la société Car Aficionado est dès lors présumé fait à titre onéreux.

La société Car Aficionado a transmis à Stéphane B. , par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 avril 2013, le montant des frais de gardiennage qui lui seraient facturés à compter du 4 avril 2013. Le tarif de gardiennage ayant fait l'objet d'une communication préalable au déposant, celui-ci l'a accepté à défaut d'avoir mis fin au dépôt ou d'avoir contesté la facturation des frais à venir.

La révision du prix par le juge est exclue par l'article 1134 ancien du code civil qui dispose : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Stéphane B. expose qu'il se serait heurté au refus de la société Car Aficionado de lui restituer sa voiture. S'il produit devant la cour des lettres du 19 septembre 2018 et du 16 octobre 2018 par lesquelles il a demandé la restitution du véhicule à la société M.-P., il en ressort que le refus qui lui a été opposé était justifié par le droit de rétention du garagiste, comme l'a relevé à bon droit le premier juge. En tout état de cause, la société Car Aficionado ne demande que la confirmation du jugement qui a liquidé les frais de gardiennage pour la période courue du 4 avril 2013 au 19 janvier 2018. Il y sera fait droit.

Sur la résistance abusive :

La société Car Aficionado explique que la résistance abusive de Stéphane B. l'a contrainte à conserver le véhicule, alors qu'elle ne dispose que de peu de place. Elle demande en conséquence la condamnation de l'appelant au payement des droits de gardiennage complémentaires, soit une somme de 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive.

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts que lorsque est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice. En l'espèce, un tel comportement de la part de Stéphane B. n'est pas caractérisé ; la demande incidente de la société Car Aficionado, intimée, est rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Stéphane B. en supportera donc la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, Stéphane B. sera condamné à payer la somme de 1 200 euros.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Déboute la société d'exercice libéral à responsabilité limitée M.P.L.D., en qualité de mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée Car Aficionado, de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamne Stéphane B. à payer à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée M.P.L.D., en qualité de mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée Car Aficionado, la somme de 1 200 au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne Stéphane B. aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la société civile professionnelle B.-L. pour les frais dont elle n'aurait pas reçu l'avance ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.