CA Rouen, ch. civ. et com., 5 janvier 2017, n° 15/05840
ROUEN
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farina
Conseillers :
Mme Aublin-Michel, Mme Bertoux
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 26 avril 2010 Mme De A. a confié en dépôt à la société G. Automobiles son véhicule de marque Jaguar, alors en panne.
Elle était en litige avec le vendeur de ce véhicule ; des opérations d'expertise amiable puis d’expertise judiciaire portant sur le fonctionnement du véhicule se sont tenues au garage de la société G. Automobiles ;
Par courriers du 30 juin 2011 la société G. Automobiles a demandé à Mme De A. de reprendre possession de son véhicule sous peine d'avoir à régler des frais de gardiennage au tarif journalier de 20 euros.
Elle lui a adressé, au titre des frais de gardiennage, une facture en date du 3 octobre 2012 d'un montant de 9308 euros.
Le 8 octobre 2013 elle l'a assignée en paiement de frais de gardiennage.
Par jugement du 19 novembre 2015 le tribunal de grande instance de Rouen a condamné Mme De A. à payer à la société G. Automobiles les sommes de :
- 11'928 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2013 date d'une mise en demeure, et ce avec capitalisation des intérêts,
- 22 euros TTC par jour au titre des frais de gardiennage à compter du 1er février 2013 jusqu'au retrait effectif du véhicule par Mme De A.,
- 1000 euros pour frais non répétibles, outre les dépens.
Mme De A. a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions du 11 janvier 2016 elle demande à la cour de :
- au vu des dispositions des articles L 111- 1 du code de la consommation, 1134, 1147, 1244 - 1, 1289 et suivants, 1917 et 1944 du Code civil,
- constater que la société G. Automobiles a manqué à son obligation contractuelle d'information relative à l'existence de frais de gardiennage,
- constater que le dépôt du véhicule Jaguar a été consenti à titre gratuit,
- en conséquence
- à titre principal,
- débouter la société G. Automobiles de ses demandes,
- à titre subsidiaire,
- ramener les demandes de la société G. Automobiles à de plus justes proportions, sachant que la période de facturation ne saurait commencer avant le 3 octobre 2012 (date de la première facture) et se prolonger au-delà du 31 mars 2014 (date de la demande expresse de restitution de Mme De A.)
- accorder les plus larges délais de paiement à Mme De A.,
- en tout état de cause,
- ordonner la restitution par la société G. Automobiles du véhicule Jaguar, sous astreinte de 100 € par jour de retard,
- condamner la société G. Automobiles à payer à Mme De A. la somme de 15'000 € à titre de dommages intérêts pour préjudice moral et matériel,
- condamner la société G. Automobiles aux dépens et au paiement de la somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 14 janvier 2016 la société G. Automobiles demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré,
- débouter Mme De A. de ses demandes,
- y ajoutant,
- condamner Mme De A. aux dépens et au paiement de la somme de 3000 € d'indemnité de procédure d'appel,
Pour un exposé plus ample des faits, de la procédure , des prétentions et des moyens des parties , la cour se réfère à la décision déférée et aux conclusions susvisées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2016.
CELA ÉTANT EXPOSÉ
Sur les prétentions des parties
Attendu qu'au soutien de son appel Mme De A. fait valoir principalement que :
- aucun accord n'était intervenu entre les parties sur le règlement de sommes au titre du gardiennage du véhicule,
- en application de l'article L. 111 - 1 du code de la consommation la société G. Automobiles était tenue d'une obligation d'information envers son client consommateur,
- or la société G. Automobiles ne l'a pas informée des conditions de dépôt du véhicule ; elle ne lui a pas dit que le dépôt serait à titre onéreux ; elle ne lui a pas donné ses tarifs ;
- en conséquence et en application de l'article 1917 du Code civil le véhicule a été déposé à titre gratuit,
- elle n'a reçu la première facture que le 3 octobre 2012 avec en annexe les conditions générales de vente et de réparation,
- au regard de l'article 1944 du Code civil, la société G. Automobiles a abusé son droit de rétention du véhicule,
- subsidiairement les frais de gardiennage ne pourraient être facturés à compter du 21 décembre 2010 alors qu'elle n'a reçu de courrier de demande de paiement que le 2 juillet 2011,
- aucune rémunération n'est due après le 31 mars 2014 date du courrier de demande de restitution du véhicule ;
Attendu que la société G. Automobiles répond essentiellement que :
- en application de l'article 1928 du Code civil le contrat de dépôt d'un véhicule, accessoire un contrat d'entreprise, est présumé fait à titre onéreux et c'est au propriétaire du véhicule de prouver le caractère gratuit du dépôt,
- il en est ainsi notamment lorsque comme en l'espèce le véhicule est déposé chez le garagiste aux fins d'expertise judiciaire,
- le client ne peut contester le droit à rémunération du garagiste lorsque celui-ci l'a mis en demeure de retirer le véhicule,
- l'article L. 111 - 1 du code de la consommation dans sa rédaction en vigueur au jour du dépôt n'est pas applicable en l'espèce,
- il ne peut être reproché au dépositaire de ne pas avoir proposé la conclusion d'un contrat respectant les dispositions de ce texte,
- en outre le défaut de respect de l'article L. 111 - 1 du code de la consommation n'est pas assorti de sanction,
- ces dispositions sont étrangères à une obligation d'information sur les tarifs appliqués au contrat de dépôt,
- l’information par courrier donnée par le garagiste relativement au tarif appliqué suffit à remplir l'obligation d'information du dépositaire ;
- le droit de rétention du dépositaire est prévu par l'article 2286 du Code civil ; il n'est donc pas illégitime ;
- par le courrier du 30 juin 2011 portant mise en demeure de reprendre son véhicule, la société G. Automobiles, a porté à la connaissance de Mme De A. l'obligation de régler les frais de gardiennage au tarif de 20 euros par jour, tarif actualisé à 22 euros par jour et porté à sa connaissance le 4 septembre 2012,
- dans le compte arrêté au 31 décembre 2013 à la somme de 11'948 €TTC les frais de gardiennage sont calculés à compter du 3 juillet 2011 et non de la date du dépôt,
-Madame De A. dans son assignation devant le tribunal de grande instance de Paris a demandé la condamnation du vendeur du véhicule à prendre en charge les frais de gardiennage demandés par la société G. Automobiles
Sur les demandes en paiement de frais de gardiennage et la restitution de véhicule
Attendu que si selon les dispositions de l'article 1927 du code civil le dépôt est un contrat essentiellement gratuit, l'article 1928 du même code prévoit la possibilité de ' stipuler un salaire pour la garde du dépôt ';
Attendu que le fait qu'au moment du dépôt, aucun contrat écrit n'ait été formalisé entre le garagiste et le client n'exclut pas en lui-même le caractère onéreux du contrat ;
Que le contrat de dépôt d'un véhicule auprès d'un garagiste, accessoire à un contrat d'entreprise est présumé fait à titre onéreux (Civ 1ère 5 avril 2005) ; que cette présomption doit également s'appliquer dans l'hypothèse où le véhicule étant remis à un garagiste, dans le cadre de son activité commerciale, pour permettre la réalisation d' opérations d'expertise amiables ou judiciaires, celui-ci prévient par écrit le propriétaire du véhicule du caractère onéreux du dépôt ;
Attendu, sur le point de départ de l'obligation à paiement du prix des prestations de gardiennage, que, dans l'hypothèse susvisée, le garagiste qui, par écrit, met son client en demeure de retirer le véhicule et l'informe du caractère onéreux du gardiennage, est en droit de demander le paiement de la prestation de gardiennage réalisée à compter de la réception de cette mise en demeure ;
Attendu concernant le devoir d'information invoqué sur le fondement de l'article L 111 - 1 du code de la consommation que dans sa rédaction en vigueur à la date du dépôt du véhicule ce texte était spécifique au contrat de vente de biens meubles ; qu'il ne s'appliquait pas aux prestations de gardiennage ;
Attendu sur le droit de rétention invoqué, que l'article 2286 du Code civil dispose que « peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose : - celui à qui la chose a été remise, jusqu'au paiement de sa créance » ;
Que de même aux termes de l'article 1948 du même code le dépositaire est en droit de retenir le dépôt jusqu'à l'entier paiement de ce qui lui est dû à raison du dépôt ;
Attendu en l'espèce que le 26 avril 2010 Mme De A. en litige avec le vendeur de son véhicule de marque Jaguar a confié celui-ci en dépôt à la société G. Automobiles en vue d'une expertise amiable ; que des opérations d'expertise du véhicule, d'abord amiables puis judiciaires ont ainsi eu lieu dans les locaux de la société G. Automobiles ;
Attendu que par courrier reçu le 2 juillet 2011 la société G. Automobiles a demandé en ces termes à Mme De A. de reprendre possession de son véhicule :
« Votre véhicule Jaguar est dans nos ateliers depuis le 21 décembre 2010.
N'ayant plus de nouvelles de votre part nous vous demandons par la présente de bien vouloir venir récupérer votre véhicule dans les plus brefs délais.
Dans le cas contraire cela générera des frais de parking d'une valeur de 20 € par jour
à compter de la réception de ce courrier » ;
Attendu qu'en application des principes ci-dessus rappelés, la société G. Automobiles est fondée à demander la rémunération de prestations de gardiennage fournies à compter du 2 juillet 2011 ;
Attendu que selon le décompte arrêté au 31 janvier 2013, la créance de 11'948 euros TTC arrêtée au 31 janvier 2013 correspond aux frais de gardiennage du véhicule pour la période du 3 juillet 2011 au 31 janvier 2013, et ce au taux journalier de 20 euros jusqu'au 30 juillet 2012, puis de 22 euros à compter 1er août 2012 ;
Attendu toutefois que l'augmentation de tarif applicable au 1er août 2012 n'est due qu'à compter du 7 septembre 2012, date à laquelle Mme De A. en a eu connaissance ;
Que le décompte de créance au 31 janvier 2013 doit donc être rectifié en ce sens soit : 11'948 € - 76 € = 11'872 € ;
Sur les demandes respectives de restitution du véhicule et en paiement de frais de gardiennage jusqu'à la récupération du véhicule
Attendu qu'en application des dispositions des articles 2286 et 1948 du Code civil susvisées, la société G. Automobiles, non payée de ses prestations de gardiennage, est fondée à se prévaloir d'un droit de rétention sur le véhicule jusqu'au règlement de sa créance ;
Que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de restitution de véhicule formée par Mme De A. et en ce qu'il a fait droit à la demande en paiement d'une somme de 22 euros par jour à compter du 1er février 2013 jusqu'a la récupération du véhicule par Mme De A. ;
Sur les autres demandes
Attendu qu'en considération de la solution donnée au litige relativement aux frais de gardiennage et à l'exercice d'un droit de rétention, la demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudices matériel et moral formée par Mme De A. n'est pas justifiée ; qu'elle ne peut aboutir ;
Attendu qu'en l'absence de production de documents justificatifs permettant d'apprécier la situation personnelle actuelle de Mme De A., la demande de délais de paiement n'est pas justifiée ; qu'il ne peut y être fait droit ;
Attendu que l'équité commande de confirmer les dispositions du jugement déféré relativement aux frais hors dépens et de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Attendu qu'en application de l'article 696 du code de procédure civile les dépens seront mis à la charge de Mme De A. qui, au sens de ce texte, succombe en l'essentiel de ses prétentions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement par décision mise à disposition au greffe
Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant de la créance de la société G. Automobiles arrêtée au 31 janvier 2013,
Statuant de nouveau du chef infirmé,
Condamne Mme De A. à payer à la société G. Automobiles au titre des frais de gardiennage compte arrêté au 31 janvier 2013, la somme de 11'872 euros avec intérêt au taux légal à compter du 31 janvier 2013 et capitalisation des intérêts ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif
Condamne Mme De A. aux dépens d'appel dont distraction au profit de l'avocat de la société G. Automobiles.