Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 19 octobre 2012, n° 11/00391

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Van Montagu, Aviva Assurances (SA)

Défendeur :

Nageleisen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lesdain

Conseillers :

Mme Chandelon, Mme Saint-Schroeder

Avocats :

Me Melun, Me Jeandaux, Me Oudinot, Me Carlo-Vigouroux

TGI Auxerre, ch. civ., du 22 nov. 2010, …

22 novembre 2010

Courant 2003 selon les appelants, le 20 juin 2004, selon l'intimé, Madame Corinne Van Montagu a confié, à titre gratuit, son cheval Kiway des Blés, qualifié d'entier, à la ferme équestre Les Grilles, exploitée par Jean-Pierre Nageleisen et plus précisément à Mademoiselle Stéphanie Nageleisen, salariée de la ferme, chargée de le préparer à des compétitions en concours complet pour les trois disciplines de dressage, de saut d'obstacle et de cross.

Le 15 novembre 2005, le cheval s'est échappé de son box alors que la cavalière et sa soeur, également instructeur diplômée, préparaient le cheval pour le faire monter dans un van qui devait l'emmener à une séance de travail.

L'animal s'est alors enfui sur la route voisine pour se diriger vers le pré où se trouvaient d'autres chevaux du club. Se battant avec ces équidés à travers une clôture, il s'est très sérieusement blessé. Il été transféré à la clinique équine de Maisons Alfort qui a assuré son suivi médical jusqu'au 13 janvier 2006. S'en est suivie une rééducation fonctionnelle progressive de l'animal.

Exposant que cet accident aurait mis un terme anticipé à la carrière de compétiteur de l'animal, Mme Van Montagu et son assureur, la SA Aviva Assurances, ont engagé la présente procédure par exploit du 27 mai 2009 pour solliciter de Mlle Stéphanie et de M. Jean-Pierre Nageleisen, l'indemnisation de leur préjudice.

Par jugement du 22 novembre 2010, le Tribunal de Grande Instance de Auxerre a :

- débouté Mme Van Montagu et la SA Aviva Assurances de leurs demandes,

- condamné Mme Van Montagu et la SA AVIVA Assurances à verser à chacun des défendeurs une indemnité de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamné Mme Van Montagu et la SA AVIVA Assurances aux dépens.

Par déclaration du 10 janvier 2011, Mme Van Montagu et la SA AVIVA Assurances ont interjeté appel de la décision.

Dans leurs dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de Procédure Civile, déposées le 18 octobre 2011, Mme Van Montagu et la SA AVIVA Assurances demandent à la Cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner Monsieur Jean-Pierre Nageleisen à payer à Mme Van Montagu la somme de 40.991,59 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- condamner Monsieur Jean-Pierre Nageleisen à payer à la SA AVIVA Assurances la somme de 12.000 euros correspondant à l'indemnité versée à Mme Van Montagu,

- condamner Monsieur JEAN-Pierre Nageleisen à payer à Mme Van Montagu et à la SA AVIVA Assurances chacun la somme de 2.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de Procédure Civile, déposées le 3 mai 2012, Monsieur Jean-Pierre Nageleisen demande à la Cour de :

- confirmer le jugement,

- condamner Mme Van Montagu et la SA AVIVA Assurances, in solidum, à payer à Monsieur JEAN-Pierre Nageleisen, la somme de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

CELA ETANT EXPOSE,

LA COUR,

Sur la responsabilité de M. Jean-Pierre Nageleisen

Considérant que si le cheval a été confié à la ferme équestre et plus particulièrement à Mademoiselle Stéphanie Nageleisen pour être entrainé à la compétition, il bénéficiait dans le cadre de ce projet d'une prestation d'hébergement et de soin de sorte que le contrat conclu a la double nature de dépôt non salarié et de contrat d'entreprise ;

Considérant que le cheval s'est échappé alors qu'il était encore dans son box et non pendant l'entrainement, dans le cadre des préparatifs imposés par son transport en van ;

Qu'il en résulte que le sinistre est intervenu dans le cadre de l'obligation d'hébergement et de soins qui pesait sur M. Nageleisen ;

Considérant en conséquence que c'est à tort que les premiers juges ont, pour débouter Mme Van Montagu de ses demandes, mis à sa charge la preuve de la violation, par M. Nageleisen, d'une obligation de sécurité qui ne saurait au surplus être admise pour un animal, qui est juridiquement une chose ;

Considérant qu'aux termes des articles 1927, 1928, 1929 et 1933 du Code Civil applicables aux faits de l'espèce, le dépositaire s'il n'est tenu que d'une obligation de moyen, doit cependant, en cas de détérioration de la chose déposée, démontrer que le dommage, à savoir les blessures subies par le cheval, ne sont pas imputables à sa faute ;

Considérant qu'il ne rapport pas cette preuve et que l'accident n'a pu intervenir qu'en raison de l'ouverture de la barrière d'accès à la ferme équestre, permettant à un cheval « entier », qui peut avoir de vives réactions, de s'échapper pour rejoindre une voie ouverte à la circulation avant de se battre avec d'autres équidés dans les conditions précitées ;

Considérant qu'il convient en conséquence, infirmant le jugement déféré, de déclarer Monsieur Jean-Pierre NAGELEISEN responsable de l'accident ;

Mais sur le préjudice

Considérant que la valeur de Kiway des blés doit s'apprécier au regard de ses origines et de ses performances en compétition ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites que ses origines sont « moyennes » ;

Que ses parents, sans performance notable, ont peu reproduit ;

Que ni son frère ni sa soeur n'ont révélé de qualités sportives exceptionnelles ;

Que, par ailleurs, ses résultats en compétition restaient médiocres à la date de l'accident, le montant total de ses gains s'élevant à 43,97 € ;

Considérant encore que contrairement à ce que soutient Mme Van Montagu, l'accident n'a eu aucune incidence sur les capacités de reproducteur de l'équidé, qui remplit toutes les conditions exigées par la législation ;

Considérant que le bureau Equitas, expert missionné par la SA AVIVA Assurances, a évalué l'animal à 12 500 €, sous réserve que ses allures aient été « de bonne qualité », ce qu'il n'a pas été à même d'apprécier ;

Que cette valeur est très supérieure aux éléments statistiques produits qui évaluent un cheval de cette catégorie à une somme comprise entre 2 170 euros et 5817 euros ;

Considérant que Mme Van Montagu indique encore avoir réglé la somme de 18.573,11 € au titre des « frais de soins, en lien direct avec l'accident » ;

Mais considérant que cette somme résulte d'un récapitulatif de frais dressé par ses soins et qui comporte cinq postes : le suivi vétérinaire, la maréchalerie, l'ostéopathie, l'alimentation et le transport, ce dernier subdivisé en frais de péage et frais de carburant ;

Considérant que le poste « suivi vétérinaire », qui représente un montant total de 10.890,69 €, mentionne, outre les frais d'hospitalisation incontestables de 8.796,60 €, de nombreuses consultations dites de suivi jusqu'au 10 février 2010 alors qu'à cette date la consolidation du cheval était acquise depuis de nombreux mois et que tout équité est appelé à subir des contrôles vétérinaires réguliers ;

Que pour la même raison, les frais de transport engagés à ce titre n'ont pas vocation à être pris en charge par M. Nageleisen ;

Considérant que la même réflexion s'impose pour le second poste « maréchalerie », qui représente une somme de 5.242,99 € ;

Qu'il résulte en effet des pièces produites que si des ferrures spécifiques dites orthopédiques ont dû être posées et qu'il convient de retenir cette dépense, le rapport « Equitas » du 15 janvier 2007 fait état d'un incident suite à une ferrure réalisée le 11 octobre 2006, donc sans lien direct avec l'accident, permettant d'expliquer les frais de maréchalerie conséquents exposés au cours de l'année 2007 ;

Que s'agissant des années 2008 et 2009, Mme Van Montagu ne saurait obtenir remboursement de tels frais que tout propriétaire d'équidé doit assumer ;

Considérant que le quatrième poste « alimentation » ne peut être retenu, aucun élément ne justifiant que l'animal ait eu besoin d'une alimentation spéciale dite « convalescent Diet » après l'accident ;

Que les frais de transport pour réaliser ces achats ne peuvent davantage être admis ;

Considérant ainsi que le préjudice subi doit être fixé à la somme globale de 17.000 € correspondant, à hauteur de 5.000 € à la valeur du cheval et pour le surplus aux frais engagés ;

Considérant que Mme Van Montagu a reçu de :

- la compagnie Axa, assureur de M. Nageleisen, la somme de 8.881,52 €,

- la SA AVIVA Assurances celle de 12.000 € ;

Considérant ainsi qu'elle a été remplie de ses droits et ne saurait réclamer de complément à M. Nageleisen ;

Sur la demande de la société Aviva Assurances

Considérant que si M. Nageleisen souligne que le libellé de la quittance de 12.000 € produite par l'assureur ne permet pas de « savoir à quoi elle correspond », il ne conclut pas à son irrégularité et ne conteste pas davantage la qualité à agir de la société Aviva Assurances ;

Mais considérant qu'il résulte aussi bien des conclusions de Mme Van Montagu que des pièces produites que l'indemnité de 12.000 € allouée correspond à la valeur du cheval à l'exception des frais engagés ;

Considérant encore que M. Nageleisen soutient (page 9 de ses conclusions) que le règlement opéré par son assureur correspond aux seuls frais exposés par le sinistre ;

Considérant que la société Aviva Assurances est en conséquence bien fondée à solliciter le remboursement par M. Nageleisen des sommes déboursées dans la limite de la valeur de l'animal arrêtée par la Cour à 5.000 € ;

Considérant que chaque partie succombant partiellement, l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris ;

Condamne M. Nageleisen à verser 5.000 euros à la SA Aviva Assurances ;

Rejette les autres demandes ;

Condamne M. Nageleisen aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.