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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 19 février 2014, n° 12/06639

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Somarco International (SA)

Défendeur :

Perrin Bernard & Cie (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Bernabe, Me Lopez, Me Regnier, Me Inbona

TGI Paris, du 1 mars 2012, n° 11/00737

1 mars 2012

EXPOSE DU LITIGE

Faits et procédure :

Suivant acte sous seing privé du 24 février 1965, la sci Perrin Bernard et compagnie a donné à bail à la sa Somarco international divers locaux situés [...], à compter du 1er mars 1965 pour une destination d’« achat, vente, importation et exportation de matériel et fournitures de bureau ».

Par acte d'huissier du 22 décembre 2003, la sci Perrin Bernard et cie a donné congé avec off re de renouvellement à la sa Somarco pour le 1er juillet 2004 ; suivant jugement du 17 juin 2009, le juge des loyers commerciaux a fixé le loyer à la somme de 24 381 euros à compter du 1er juillet 2004.

Par acte d'huissier du 18 août 2009, la sci Perrin Bernard et cie a notifié à la sa Somarco l'exercice de son droit d'option, en application de l'article L 145-37 du code de commerce, rétracté son acceptation du principe de renouvellement du bail commercial et offert le paiement d'une indemnité d'éviction.

Suivant ordonnance du 21 octobre 2009, le juge des référés a désigné M. Robine en qualité d’expert ; l'expert a déposé son rapport le 21 janvier 2011.

Par acte d'huissier du 3 janvier 2011, la sci Perrin Bernard et cie a assigné la sa Somarco International aux fi ns de voir fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 296 020 euros et voir fixer l'indemnité d'occupation.

Par acte d'huissier du 29 octobre 2011, la sa Somarco international a assigné la sci Perrin Bernard et cie aux fins de voir constater que la demande en paiement de l'indemnité d'occupation est prescrite, de voir ordonner le sursis à statuer dans l'att ente du renouvellement.

Les deux affairesont été jointes par ordonnance du 20 mai 2011.

Par jugement du 1er mars 2012, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que l'éviction n'entraînera pas la perte du fonds exploité par la sa Somarco international dans les locaux appartenant à la sci Perrin Bernard et cie situés [...] ;

- fixé à la somme de 505 200 euros le montant de l'indemnité d'éviction toutes causes confondues due par la sci Perrin Bernard et cie à la sa Somarco international ;

- dit que la sa Somarco international est redevable à l'égard de la sci Perrin Bernard et cie, d'une indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2004 ;

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 67 200 euros outre les taxes et charges ;

- dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ;

- débouté la sci Perrin Bernard et cie de sa demande tendant à faire courir les intérêts légaux sur l’indemnité d'occupation et d'indexation de cette indemnité ;

- condamné la sci Perrin Bernard et cie à payer à la sa Somarco international la somme de 8 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la sci Perrin Bernard et cie aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.

La sa Somarco international a relevé appel du jugement, et par ses dernières conclusions en date du 10 juillet 2012, elle demande à la Cour de :

Infirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté l'exception de prescription de la demande en fixation de l'indemnité d'occupation et limiter le droit à indemnisation de la sa Somarco international au titre de l'éviction,

Statuant à nouveau,

Dire et juger l'action en fixation et en paiement de l'indemnité d'occupation irrecevable car prescrite,

Fixer les indemnisations de la sa Somarco,

Subsidiairement,

Condamner la sci Perrin Bernard et cie au paiement de : coût des licenciements sur présentation de la correspondance du salarié refusant la mutation géographique et de son solde de tous comptes augmenté des charges sociales de toutes natures dues par l'employeur, le coût du double loyer sur présentation des quittances du nouveau loyer, les frais d'agence sur présentation de la facture de l’agence,

Dans tous les cas,

Confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la sci Perin Bernard et cie au versement d’une indemnité au titre des dispositions de l'

article 700 du code de procédure civile

d'un montant de 8 000 euros outre la condamnation aux dépens comprenant les frais d'expertise,

Y ajoutant,

Condamner la sci Perrin Bernard et cie au paiement de la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel,

La condamner aux dépens.

La sci Perrin Bernard et cie a relevé appel incident du jugement, et, par ses dernières conclusions en date du 10 septembre 2012, demande à la Cour de :

Dire la société Somarco International mal fondée en son appel du jugement,

L'en débouter,

Dire la sci Perrin Bernard & Cie bien fondée en son appel incident,

Y faisant droit,

Infirmer partiellement le jugement entrepris, et statuant à nouveau,

Fixer l'indemnité d'éviction due à la société Somarco international à la somme de 296.020 €,

Fixer l'indemnité d'occupation due par la société Somarco international à la sci Perrin Bernard &Cie à la somme de 96.000 € par an et hors taxe du 1er juillet 2004 jusqu'au 17 août 2009 puis à86.400 € par an et hors taxe à compter du 18 août 2009 jusqu'à son départ effectif par la remise des clés,

Dire que les indemnités d'occupation produiront intérêts au taux légal terme par terme jusqu'à parfait paiement en application de l'article 1155 du Code civil, Confirmer pour le surplus le jugement dont appel,

Condamner la société Somarco International à payer à la sci Perrin Bernard& cie la somme de 8000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner l'appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais et honoraires d'expertise judiciaire dont le montant pour ceux le concernant pourra être recouvrés dans les termes des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE,

Les deux parties s'accordent pour dire que le fonds de commerce, s'agissant d'une activité de grossiste, est transférable et que le montant de l'indemnité principale d'éviction doit être déterminée en fonction de la valeur du droit au bail.

Sur l'indemnité principale d'éviction :

Les deux parties critiquent le coefficient de capitalisation du différentiel entre la valeur locative de marché des locaux et le loyer de renouvellement pour le calcul du droit au bail, la locataire proposant de retenir un coefficient de 7,5 tandis que la bailleresse propose un coefficient de 3alors que l'expert a suggéré un coefficient de 3,5, le premier juge ayant retenu un coefficient de 4au regard de l'emplacement, central mais peu adapté à l'activité exercée.

La société Somarco fait valoir que le montant du loyer en renouvellement des locaux loués a été plafonné, que le bail contenait également des dispositions favorables au locataire concernant notamment le calcul des charges locatives, que l'expert a sous-estimé en revanche la valeur locative de marché de tels locaux compte tenu de leur rareté, étant composés à la fois de locaux d'activités et de locaux de bureaux, que l'éviction lui cause ainsi un préjudice important d'autant que le transfert aura pour conséquence des frais de licenciement des salariés n'acceptant pas un déménagement, qu'un coefficient de 7,5 correspondant à la capitalisation du différentiel de valeurs doit donc être retenu.

La société Perrin Bernard et cie fait observer que si les lieux sont bien desservis par les transports en commun, l'accès routier est difficile du fait de l'implantation au coeur de Paris, que la destination contractuelle est limitée puisqu'il s'agit d'une activité d'achat, vente, importation et exportation de matériels et fournitures de bureau, que le loyer est plafonné et ne correspond en rien à la valeur locative, que pour ces raisons, le coefficient dit d'emplacement ne peut dépasser 3 ;

Les locaux sont à usage mixte (bureau, archives, réserves) occupant partiellement les sous-sol, rez-de-chaussée, 1er et 2ème étages d'un bâti ment sur cour, en maçonnerie de pierres sous enduit en état correct et un local à usage de garage/réserve constitué d'une construction en maçonnerie légère.

Ils occupent une position centrale dans Paris, à proximité du palais Brogniart et sont donc facilement identifiables, mais ils ont une distribution peu fonctionnelle, ne bénéficient d'aucune visibilité depuis la voie publique et sont, hormis les bureaux, en état de vétusté avancé et ne disposent que d'un niveau d'équipement sommaire ; quoique bien desservis par les transports en commun, leur accès par véhicules qui se réalise depuis la cour de l'immeuble, est peu pratique ;

En conséquence, malgré la rareté de tels locaux au coeur de Paris, l'inadaptation de l'emplacement et de la configuration des locaux à l'activité exercée justifie la fixation d'un coefficient de 4 comme retenu par le tribunal dont l'évaluation de l'indemnité principale d'éviction à la somme de 352 000€ sera confirmée.

Sur les indemnités accessoires :

S'agissant des travaux réalisés dans la partie des locaux à usage de bureaux, l'expert a proposé un remboursement des 3/4 du montant de 81 699,84 € ht à proportion de la durée du bail restant à s’écouler à compter de la date de leur réalisation en 2009 et ce pour tenir compte de leur amortissement.

Le premier juge n'a pas fait droit à la demande en paiement de ce chef en estimant que les travaux d’amélioration, de modification faisaient accession au bailleur en fin de bail ;

Les travaux réalisés consistent, selon l'expert non contesté sur ce point, en des travaux d'entretien ou d'aménagement normalement à la charge du preneur ; si à la date de l'expertise réalisée en2010, l'expert a pu considérer que le preneur perdait le bénéfice de l'amortissement de ces travaux prévus pour être amorti s au moins pendant la durée du bail restant à courir, la démonstration n'est pas faite qu'ils n'ont pas été amorti s à la date où la cour statue, soit plus de neuf années après la date de renouvellement du bail au 1er juillet 2004 de sorte que faisant de toute façon accession au bailleur en fin de bail, ils ne peuvent donner lieu à remboursement.

Le tribunal a estimé à la somme de 30 000 € le coût du trouble commercial en retenant comme le soutenait la bailleresse que si la perte journalière de l'entreprise peut être évaluée à 6 022,71 € au vu du bilan et de l'attestation comptables, l'entreprise pourra continuer à fonctionner en raison de la prise d'ordres par les Vrp en province dont l'activité ne sera pas affectée par la fermeture de la société pendant 17 jours ;

Or s'il est admis que la perte journalière est égale à 6 022,71 €, l'activité des Vrp sera elle-même nécessairement affectée par la fermeture de l'établissement en empêchant des livraisons sous 48heures ; il convient donc de tenir compte de cette perte pour évaluer le trouble commercial à la durée de la fermeture effective qui aura une incidence réelle sur l'activité et non cinq jours comme retenu par le tribunal, ce qui représente une indemnité de :

6 022,71 x 17 jours = 102 386,07 € arrondie à 102 400 €,

Les frais de déménagement du matériel et du mobilier ainsi que de transfert du matériel informatique ont été justement évalués à la somme de 35 000 € telle que proposée par l'expert au visa des devis non précisément critiqués et seront admis.

Le montant des autres frais réclamés par la société Somarco international à hauteur de 990,85 €pour les frais de modification des divers documents administratifs tels que factures et bons de commande, bons de livraison, outre 5 480 € pour l'établissement de cartes de visites, de 18 520 €pour l'information de la clientèle, de 6 102 € pour l'affranchissement, de 3 000 € pour les frais juridiques, de 15 800 € pour l'installation téléphonique ont été justement évalués à la somme globale de 25 000 € dont ni le preneur qui reprend ses demandes initiales ni le bailleur qui propose une réduction de cette somme n'opèrent de critique pertinente.

Les frais de remploi ont été évalués par le tribunal à 10 % du montant de l'indemnité principale correspondant à l'usage, ce qui n'est pertinemment critiqué ni par la locataire qui invoque une pratique de fixer les honoraires + frais à 15 % de la valeur du loyer sans toutefois produire la moindre justification ni par la bailleresse qui en conteste le principe même en exigeant des justificatifs de frais non encore exposés. La somme allouée arrondie à 35 200 € sera confirmée.

Le montant des frais de double loyer pendant la recherche de nouveaux locaux a été justement fixé à la somme de 28 000 € correspondant à trois mois ;

En conséquence, l'indemnité globale d'éviction s'établit à la somme de 352 000 € + 102 400 € +35000 € + 25 000 € + 35 200 € + 28 000 €= 577 600 €, outre les frais de licenciement éventuels en rapport direct de cause à effet avec le transfert et sur justifications de leur montant.

Sur l'indemnité d'occupation :

La société Somarco international fait valoir que la demande en fixation (en la distinguant de l'action en paiement) de l'indemnité d'occupation calculée conformément aux dispositions de l'article L145-28 du code de commerce est soumise à la prescription biennale, qu'elle est en l'espèce irrecevable comme prescrite pour avoir été formée plus de deux ans après la date d'expiration du bail ;

La sci Perrin Bernard et cie réplique qu'en cas d'exercice par le bailleur de son droit d'option, le délai de prescription court à compter de la date de notification de ce droit au locataire, que le droit d’option a été signifié le 18 août 2009 et l'assignation en fixation de l'indemnité d'occupation est en date des 29 décembre 2010 et 3 janvier 2011, que le délai de prescription biennale n'a donc pas couru, que par ailleurs l'exercice en cours d'instance, du droit d'option rend exigible l'indemnité d’occupation à compter de l'échéance du bail et non à compter du jour où a été exercé le droit d’option, que l'indemnité d'occupation due par le locataire fondée sur l'article L 145-28 du code de commerce doit être égale à la valeur locative estimée par l'expert au 1er juillet 2004 à la somme de96 000 € par an en principal, que l'abattement pour précarité ne saurait être supérieur à de 10 %,de sorte que l'indemnité doit être fixée à la somme de 86.400 € par an ht.

Le tribunal a jugé à bon droit que le point de départ de l'indemnité d'occupation était la date à laquelle le droit à indemnité d'éviction était reconnu soit en l'espèce, la date de la notification par le bailleur de son option, peu important que ce droit d'option rétroagit à la date d'effet du congé de sorte que la demande en paiement de l'indemnité d'occupation a été formée dans le délai de la prescription biennale et qu'elle est recevable.

Il a exactement jugé en outre que le montant de l'indemnité est déterminé non par référence à la valeur locative de marché mais par référence aux dispositions de l'article L 145-28 du code de commerce au montant du loyer du bail renouvelé hors plafonnement.

L'expert Le Veve saisi pour déterminer la valeur du loyer de renouvellement avait estimé celle-ci hors plafonnement à 96 000 €/an.

L'expert Robine propose un abattement de 30 % pour, à parti r de la valeur locative de marché, aboutir à la valeur locative de renouvellement et d'appliquer ensuite sur celle-ci un coefficient de précarité de 15 % supplémentaire.

En réalité, l'expert le Veve dont l'expertise ne fait pas l'objet de critique pertinente a justement à partir des éléments de comparaison et en tenant compte de la bonne situation des lieux mais également des caractéristiques des locaux, modestes et relativement vétustes, estimé la valeur locative de renouvellement à la somme de 96 000 €/an laquelle doit, pour tenir compte de la précarité des conditions d'exploitation nées de la longueur de la procédure résultant elle-même de l’exercice du droit d'option par le bailleur, être affectée d'un coefficient de précarité de 30 % de sorte que la décision fixant l'indemnité d'occupation à la somme de 67 200 €/an ht et hors charges à compter du 1er juillet 2004 sera confirmée.

Cette indemnité portera intérêts au taux légal à compter de la date du jugement qui en a fixé le montant.

Sur les autres demandes :

La sci Perrin et cie supportera les entiers dépens y compris les frais d’expertise.

Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, les dispositions du jugement prises sur ce fondement étant confirmées.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf celle relative au montant de l’indemnité d'éviction et en ce qu'il a débouté la sci Perrin Bernard & cie de sa demande d'intérêts au taux légal sur l'indemnité d'occupation,

Réformant sur ces points et statuant à nouveau,

Fixe le montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 577 600 € due par la Sci Perrin Bernard et cie à la société Smarco international, outre les frais de licenciement éventuels en rapport direct de cause à effet avec le transfert et sur justifications de leur montant.

Dit que l'indemnité d'occupation portera intérêts au taux légal à compter du jugement.

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la sci Perrin Bernard & cie aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.