CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 27 janvier 2016, n° 13/23518
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Queribus (SCI)
Défendeur :
Impact Communication (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Chokron, Mme Parant
Expose du litige
Suivant acte sous seing privé, la SCI Queribus a donné à bail à la société Impact Communication divers locaux commerciaux situés [...] pour une durée de neuf années à compter du 14 juin 1999 et venant à expiration le 13 juin 2008.
Par exploit d'huissier du 30 septembre 2009, la société Queribus a donné congé à sa locataire pour le 31 mars 2010 avec refus de renouvellement.
La société Queribus a sollicité en référé la désignation d'un expert pour permettre de déterminer les indemnités d'éviction et d'occupation. M C. a remplacé M Sainsard désigné initialement par
ordonnance du 2 février 2010
. M C. a déposé son
rapport le 19 novembre 2010
. La société Impact Communication a entre temps retrouvé d'autres locaux et régularisé avec la société Stanley Lodge un bail prenant effet le 21 juillet 2011.
Elle a alors notifié à la SCI Queribus son intention de quitter les lieux pour le 21 décembre 2011, le délai de cinq mois entre la date d'effet du nouveau bail et la date de libération des anciens locaux étant justifiée selon elle par les travaux au sein des nouveaux locaux.
Chaque société ayant att rait l'autre devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir fixer respectivement les indemnités d'éviction et d'occupation. Les deux procédures ont été jointes.
Par jugement du 29 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :
- condamné la SCI Queribus à payer à la SARL Impact Communication la somme de 126 839 € à titre d'indemnité d'éviction,
- condamné la SARL Impact Communication à payer à la SCI Queribus une indemnité annuelle d’occupation de 31 756 € en principal entre le 1er avril 2010 et le 21 décembre 2011;
- ordonné la compensation entre les deux sommes,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné chaque partie par moiti é aux dépens incluant les frais d’expertise.
La SCI Queribus a interjeté appel de cette décision ; par conclusions signifiées par RPVA le 22 mai 2014, elle demande à la cour de débouter la SARL Impact Communication de l'ensemble de ses demandes, de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la compensation entre les créances respectives mais de l'infirmer pour le surplus, et de :
- fixer l'indemnité d'occupation due par la SARL Queribus à la somme de 33 750 € en principal, charges et taxes en sus, et de la condamner au paiement de cette somme pour la période comprise entre le 1e avril 2010 et le 21 décembre 2011,
- fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 37 027 € ,
- condamner la SARL Queribus à payer la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.
Par conclusions signifiées le 8 avril 2014, la SARL Impact communication demande à la cour de fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 20 430 € et l'indemnité d'éviction à la somme de 340612 €, de condamner la SCI Queribus à lui payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2011, date de restitution des locaux, et subsidiairement à compter de la présente assignation(sic), de condamner la SCI Queribus à lui payer la somme de 7000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens .
SUR CE
La société Queribus appelante principale ne critique que l'abattement de 5% sur la valeur locative tel que décidé par tribunal au motif que la charge de la taxe foncière est remboursée par la locataire qui en outre supporte suivant les dispositions du bail la charge des travaux de mise aux normes ; elle précise que la société Impact Communication n'invoquait pas cette dernière charge pour voir pratiquer l'abattement sollicité. Elle soutient que la charge de l'impôt foncier correspond à un usage largement pratiqué qui ne peut donner lieu à abattement, s'agissant de déterminer l’indemnité d'occupation .
La société Impact Communication forme appel incident et soutient de son côté que c'est à tort que l’expert a tenu compte, pour estimer la valeur locative, de l'excellent état des locaux alors que cet état résulte de travaux accomplis par la locataire au financement desquels la bailleresse n'a pas participé ; elle demande que par application de l'article R 145-8 du code de commerce qui fait échec à la clause d'accession, ces améliorations dont le bailleur n'a pas assumé indirectement la charge, ne lui bénéficient pas et ne soient pas prises en compte pour fixer la valeur de renouvellement.
Elle sollicite, eu égard à la date d'appréciation de la valeur locative, de la superficie des locaux inférieure à 100 m², de leur configuration de locaux atypiques, bénéficiant d'une bonne hauteur sous plafond, et d'un éclairement naturel de fixer la valeur locative ' dans la fourchette haute des prix pratiqués' pour des bureaux de cette superficie soit la somme de 270 € /m² ;
Elle souligne que sur sept location nouvelles prises en compte par l'expert, quatre concernent des superficies inférieures à 220m² dont le prix se situe entre 250 et 270 € /m², que trois autres portent sur des superficies supérieures à 220m² dont le prix se situe entre 370 et 400 € /m², que les autres locations nouvelles résultent de négociations dont la date d'effet est éloignée et que les valeurs judiciaires sont anciennes,
C'est donc par suite d'une erreur de plume que la locataire demande dans ses écritures que la valeur locative de renouvellement soit fixée 'dans la fourchette haute' alors qu'elle sollicite la fixation de la valeur de renouvellement des locaux par référence aux prix situés dans la fourchette basse correspondant notamment à des locaux de bureaux situés [...] ou encore [...], deux autres références de locaux de bureaux ayant été retenus par l'expert à des prix inférieurs soit 265 € /m²et 250 € /m²;
Or, il convient d'une part de relever que les dispositions de l'article R 145-8 du code de commerce invoquées par la société Impact communication et permettant de prendre en compte pour la fixation du loyer les améliorations apportées par le preneur aux lieux loués ne trouvent application qu’en cas de renouvellement du bail mais ne sont pas applicables à la fixation de l'indemnité d’occupation,
D'autre part, pour retenir la fourchette haute de prix parmi les références choisies, dont seules celles issues de renouvellements amiables ou de fixations judiciaires sont éventuellement critiquables car se situant à des dates de fixation plus ancienne que celle dont s'agit, l'expert a souligné à juste titre :
- la qualité de l'emplacement, qui est bon et dispose d'une bonne desserte par les transports en communs, bien qu' excentré par rapport au quartier central d'affaires,
- la configuration régulière des locaux situé dans un immeuble indépendant, bénéficiant d'un bon éclairement naturel et d'une bonne hauteur de plafond, quoique de superficie moyenne ( moins de100 m² ) et disposant d'un accès inconfortable au premier étage ;
- le très bon état des locaux ayant fait l'objet d'une remise à neuf en 2009.
Il a également pris en compte l'état de stagnation des loyers en 2010.
Les premiers juges ont donc à juste titre retenu la valeur locative proposée par l'expert; il n'est pas justifié de pratiquer sur celle-ci un abattement supplémentaire alors que l'expert a tenu compte de cette charge exorbitante dans l'appréciation de la valeur unitaire de 400 € /m² .
L'abattement de 10% n'est pas en revanche discuté et doit être appliqué à la valeur de 37 500 € de telle sorte que l'indemnité annuelle d'occupation est égale à la somme de 33 750 €;
Sur l'indemnité d'éviction :
Aucune partie ne conteste que s'agissant de locaux à usage exclusif de bureaux dont le loyer de renouvellement aurait être fixé à la valeur locative déterminée en considération de locaux équivalents, dans des conditions excluant ainsi tout plafonnement, il n'existe pas de différentiel à capitaliser ni de valeur de droit au bail ;
Les parti e ne s'opposent donc que sur le montant des indemnités dites accessoires constituant l’indemnité d'éviction :
- trouble commercial : le tribunal n'a pas suivi l'expert qui avait proposé de retenir l'équivalent de deux mois de la rémunération du dirigeant, soit la somme de 26 742 €; le tribunal a alloué l’équivalent de trois mois d'EBE ' conformément à la jurisprudence ' ;
La société bailleresse fait cependant observer que la jurisprudence en la matière n'est pas fixe mais dépend du cas d'espèce, elle demande de retenir l'appréciation de l'expert, tandis que la locataire sortante demande de fixer son préjudice de ce chef à trois mois d'EBE retraité incluant la rémunération du dirigeant soit la somme de 83 385 €.
Or l'EBE retraité est principalement destiné à apprécier la capacité d'autofinancement de la société, l’usage étant d'indemniser le preneur par deux ou trois mois d'excédent brut d'exploitation réalisé dans les conditions d'exploitation existantes et hors retraitement; au cas d'espèce, il sera retenu deux mois d'EBE équivalent à la somme de 37 234, 39 € ; celle de 37 235 € sera allouée à la société Impact Communication en indemnisation du trouble commercial subi.
- frais d'aménagement et de réinstallation : La société Impact Communication fait valoir qu'elle a du réaliser dans ses nouveaux locaux des travaux à hauteur de 210 625 € dont elle sollicite le remboursement et qui représentent :
- des frais de démolition, maçonnerie, menuiseries extérieures, électricité, plomberie, menuiserie intérieure, peinture pour 91 700 €, HT
- des frais de pose de parquet pour 10 253 € HT , de climatisation pour 17 500 € HT dont elle admet à titre subsidiaire qu'il puissent être l'objet d'un abattement,
- des frais d'installation de matériel informatique et de téléphonie pour 16 874 €, des frais d’aménagements mobiliers (menuiseries intégrées, convecteurs qui ont été laissés sur place et qu’elle n'a pu réutiliser) pour 58 050 € ,
- un poste de sécurité pour 1598 € et des honoraires d'architecte pour 14 650 €.
La société Queribus considère que les frais d'installation revendiqués n'étaient pas nécessaires au transfert des seuls équipements informatiques et estime avec le tribunal que les seuls travaux dont la société est fondée à solliciter le remboursement sont ceux afférents aux locaux quittés dont elle n’a pas justifié à parti r des factures incomplètes communiquées aux débats en première instance. Elle soutient que les frais de câblage informatique ne doivent lui être réglés que sur la base du seul devis qu'elle a produit à l'expert de 5785 €, l'installation réalisée dans les nouveaux locaux étant plus complète que celle abandonnée dans les anciens locaux et la remise en route des ordinateurs étant incluse dans le devis retenu par l'expert, que la facture concernant les frais de téléphonie inclut à tort celle d'un abonnement, que les frais de réinstallation ne sauraient ainsi être supérieurs à la somme de 6 844 €.
Le tribunal a justement fait observer que l'allocation de frais de réinstallation ne consiste pas dans l’indemnisation de la réfection de locaux entièrement refaits à neuf; au cas d'espèce, la société Impact Communication dont les associés sont sous la forme de SCI, les acquéreurs des locaux de remplacement ,ne peut solliciter le paiement de travaux afférent aux gros d'oeuvre dont les bailleurs se sont déchargés de la réalisation sur la locataire ou encore à des équipements indispensables à une utilisation normale des locaux ( pose de sanitaires, de radiateurs ) ainsi que les frais et honoraires d'architecte qui y sont liés .
Le tribunal a alloué à la SARL Impact communication l'équivalent des travaux de remise en état des locaux quittés réalisés en 2009 à hauteur de 41 000 €. Cependant, la société Impact et communication produit les factures des travaux qu'elle a fait réaliser dans les nouveaux locaux sur la base desquels seront appréciés les frais réclamés.
Elle est fondée à solliciter, la surface des lieux quittés et celle des locaux de remplacement étant comparables, des frais d'aménagement mobilier à hauteur de 21 901, 50 € HT, la bailleresse ne démontrant pas que les agencements mobiliers réalisés dans les locaux quittés étaient transportables;
S'y ajoutent :
- des frais de stores et de parois japonaises pour 11 437, 98 € HT, à l'exclusion de frais de miroiterie qui constituent un amélioration des locaux par rapport à ceux quittés;
- des frais de câblage informatique pour la somme de : 7522, 75 € HT ( facture 52798) comprenant des frais de raccordement de matériel informatique ( excluant une salle de réunion inexistante dans les locaux quittés pour 1157, 24€ ) soit 6365, 10 € HT, non compris le coût des installations figurant sur la facture 52 774 portant sur l'acquisition de matériels - routeur, onduleur, commutateur- dont la société ne justifie pas qu'elle a été contrainte de les abandonner dans les locaux quittés,
- des frais d'installation d'ordinateurs et d'imprimantes pour 1940 € HT ,
- des frais de remise en route de la téléphonie pour 698, 46 € HT;
La société Impact communication est fondée en outre à réclamer les frais d'un poste de sécurité existant dans les lieux loués et qu'elle indique n'avoir pu transporter soit 1261,78 € ;
Les frais d'installation s'élèvent ainsi à la somme de 42 343, 04 € + 1261, 78 € = 43 604, 82 €;
- les frais de déménagement alloués de 1100 € ne sont pas contestés;
- les frais de résiliation d'un abonnement lié au système de sécurité utilisé dans les locaux quittés et qui n'a pu être transféré sont justifiés pour la somme de 5800 € .
- la somme de 8 640 € allouée au titre des pertes de salaires liées au fait que le personnel s'est consacré au déménagement et a été improductif pendant une période justement arbitrée à 8 jours par le tribunal sera confirmée, mais actualisée pour tenir compte des données comptables 2010, à la somme de 9 215, 21€
- les frais de double loyer soit 5 292€ont été justement limités à deux mois quand la société Impact communication demande cinq mois; le tribunal a justement fait observer que le bail des nouveaux locaux a été conclu le 7 octobre 2011 mais que les effets ont été reportés au 21 juillet précédent sans véritable raison alors précisément que les lieux n'étaient pas en état et eu égard à l'ampleur des travaux réalisés.
- les frais divers sont justifiés pour le montant de 6798 €.
L'indemnité d'éviction s'élève en conséquence à la somme totale de 109 044, 42€ arrondie à 110000€.
Sur les autres demandes :
La SCI Queribus qui est à l'origine du congé refus de renouvellement supportera les dépens de première instance incluant les frais d'expertise, ceux d'appel restant à la charge de chaque partie à concurrence de ceux exposés.
Il n'y a pas lieu en équité à application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Réformant le jugement déféré, en ses dispositions relatives aux indemnités d'occupation, d'éviction et aux dépens.
Statuant à nouveau,
Fixe à la somme de 110 000 € le montant de l'indemnité d'éviction des locaux sis à [...], due par la SCI Queribus à la société Impact Communication et l'y condamne en tant que de besoin.
Fixe le montant de l'indemnité d'occupation dont est redevable la société Impact Communication pour la période allant du 1er avril 2010 au 21 décembre 2011 à la somme annuelle de 33 750 € et la condamne au paiement de l'indemnité due.
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Dit que les dépens de première instance seront supportés par la SCI Queribus, y compris les frais d’expertise, ceux d'appel restant à la charge de chaque partie à concurrence de ceux exposés.