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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 octobre 2012, n° 10/23778

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Boumaza

Défendeur :

France Télévisions (SA), Kohn et Associés (Selarl), Sony Pictures Télévision Production (France) (SAS), Duclos Thorne Mollet-Vieville (SCP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Gaber, Mme Nerot

Avocats :

Me Gerigny-Freneaux, Me Grasset, Me Hardouin, Me Bauer, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Gaspar

TGI Paris, du 15 oct. 2010, n° 09/01123

15 octobre 2010

Vu l'appel interjeté le 8 décembre 2010 par Hassen BOUMAZA, du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 15 octobre 2010 ;

Vu les uniques écritures respectivement signifiées :

le 25 février 2011, par Hassen BOUMAZA, appelant,

le 9 mai 2011, par la société FRANCE TÉLÉVISIONS (SA), intimée,

le 10 mai 2011, par la société SONY PICTURES TÉLÉVISION PRODUCTION (SAS), ci-après SONY, intimée ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 3 avril 2012 ;

SUR CE, LA COUR :

Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;

Qu'il suffit de rappeler que Hassen BOUMAZA, revendiquant des droits d'auteur et des droits de modèles sur un jeu de société intitulé KARBONE 14 consistant à demander aux joueurs de dire si un événement historique est antérieur ou postérieur à une date fixée par des dés, qu'il aurait créé en 1997, a assigné le 6 janvier 2009 la société FRANCE TÉLÉVISIONS en contrefaçon pour avoir télédiffusé courant 2006 sur la chaîne France 2, un jeu qui reproduirait le sien ; que la société SONY, productrice de l'émission de jeu est intervenue volontairement à l'instance ; que le tribunal, par le jugement dont appel a débouté Hassen BOUMAZA de l'ensemble de ses demandes ;

Sur la protection par le droit d'auteur,

Considérant qu'il n'est pas contesté en cause d'appel, au regard des deux enveloppes SOLEAU respectivement déposées le 30 septembre 1996 et le 20 juin 1997 et contenant les règles du jeu, que Hassen BOUMAZA justifie de la titularité de ses droits sur une création déterminée ayant date certaine ;

Considérant que si Hassen BOUMAZA est en conséquence recevable à agir, il importe, dès lors que les sociétés intimées contestent à la création revendiquée, qui se réduit selon elles à une idée de libre parcours, toute prétention à accéder à la protection par le droit d'auteur, de se livrer à la recherche nécessaire de l'originalité, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit au sens du droit d'auteur, c'est à dire originale ;

Considérant que selon l'appelant le jeu KARBONE 14 est original en ce qu'il 'a vocation de faire abstraction du caractère frustrant des autres jeux basés sur la culture générale', qu'il a pour 'principe d'associer à un événement donné, une date déterminée par les dés et pour cela, les participants doivent alors indiquer si l'événement énoncé s'est déroulé avant ou après la date fixée aléatoirement par les dés' ;

Que par ailleurs, aux termes de sa pièce n°3, intitulée 'Analyse comparative des règles des jeux KARBONE 14 et CARBONE 14", l'appelant décrit la règle du jeu de la façon suivante :

'Au cours de la partie, chacun des joueurs est amené, après avoir effectué un lancer de dés, à se placer sur une case de couleur du parcours. A partir de cette étape, le joueur relance d'autres dés pour définir une date et c'est à ce moment là que le joueur face à lui tire une carte ...et cite au joueur précédent l'événement historique correspondant à la couleur de l'emplacement de son pion . Et ce joueur doit simplement indiquer si l'événement cité s'est produit avant ou après cette date précise.' ;

Mais considérant que seule est éligible à la protection par le droit d'auteur, non pas l'idée, qui est de libre parcours, mais la mise en forme de l'idée en une création perceptible, dotée d'une physionomie propre portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Que force est d'observer que pour caractériser l'originalité de sa création, Hassen BOUMAZA se borne à énoncer une règle du jeu laquelle ne peut, quand bien même serait-elle le résultat de choix arbitraires, constituer à elle seule, indépendamment de la forme ou de la présentation originale qui a pu lui être donnée, une oeuvre de l'esprit protégée par le droit d'auteur ;

Que la cour fait sienne, au regard de ces éléments, la conclusion du tribunal selon laquelle le principe de jeu revendiqué, consistant à situer un événement historique avant ou après une date tirée aux dés, est demeurée au stade de l'idée sans atteindre l'expression d'une forme originale accessible à la protection par le droit d'auteur ;

Considérant que l'appelant soutient en outre que le titre 'KARBONE 14" serait également éligible à la protection par le droit d'auteur ;

Mais considérant que selon l'article L. 112-4, le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'oeuvre elle-même ;

Qu'en l'espèce, l'oeuvre revendiquée n'étant pas protégée par le droit d'auteur ainsi qu'il résulte des développements qui précèdent, son titre ne saurait à lui seul prétendre à une telle protection ;

Sur les droits de modèles,

Considérant que Hassen BOUMAZA a fait enregistrer à l'Institut national de la propriété industrielle le 6 février 1998, sous le n°98 0841 des droits de modèles sur une boîte de jeu, un plateau de jeu, des cartes à jouer et des pions ;

Considérant que le tribunal a exactement constaté que la boîte de jeu, telle que représentée au dépôt, est de couleur bleu foncé et supporte l'inscription KARBONE 14 en caractères de couleur bordeaux et noir, que le plateau de jeu est de même couleur bleu foncé et comporte en son centre un cercle divisé en cases respectivement colorées en orange, vert, bordeaux et bleu, enfin, au milieu du cercle, le chiffre 14 inscrit en couleur orange sur un fond noir délimité par un petit cercle orange, que les cartes à jouer présentent au verso quatre parties de taille égale contenant respectivement l'indication d'un événement historique et d'une date, que le pion de couleur jaune est surplombé d'un jeton marque du chiffre 14 et comporte une base oblongue ;

Considérant que pour contester la validité des modèles opposés les intimés se bornent à invoquer leur prétendue 'banalité' et pour ce qui concerne en particulier le plateau de jeu, sa 'ressemblance' avec celle du jeu 'Trivial Pursuit' ;

Or considérant que les sociétés intimées ne soumettant à la cour la moindre antériorité susceptible de ruiner au sens de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle la nouveauté des modèles revendiqués de cartes, pions, et boîte, sont mal fondées à en contester la validité ;

Que s'agissant du plateau de jeu, la cour observe que le plateau de jeu « Trivial Pursuit » partage avec le plateau revendiqué la forme circulaire et ne présente par ailleurs ni les mêmes couleurs, ni le même logo central 14, ni en son centre une cercle divisé en cases et ne constitue pas une antériorité de toutes pièces susceptible de détruire la nouveauté du plateau revendiqué;

Que par ailleurs, les plateaux en présence produisent chez l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente de sorte que le grief tiré du défaut de caractère propre n'est pas fondé ;

Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la validité des droits de modèles ;

Mais considérant, sur la contrefaçon, que la cour constate à l'instar du tribunal que le jeu de télévision ne montre ni pions ni plateau de jeu, mais un plateau de décor translucide et blanc qui ne reproduit aucunement les caractéristiques précédemment énoncées du plateau revendiqué ;

Considérant que Hassen BOUMAZA ajoute que le décor du jeu télévisé reproduirait les couleurs dominantes de ses modèles ;

Or considérant que le décor du jeu télévisé est teinté de bleu clair ou de violet clair à la différence du bleu foncé des modèles, force est de relever en outre que le plateau de décor est translucide et blanc, couleur qui n'est pas représentée au dépôt invoqué et que les chiffres qui s'affichent pour indiquer les dates des différents événements qu'il s'agit de situer sur une frise chronologique sont de couleur blanche sur un fond orange ;

Que c'est dès lors à raison que le tribunal n'a relevé aucune ressemblance entre le jeu télévisé et les éléments du jeu KARBONE 14 qui ont fait l'objet du dépôt de modèles revendiqué ;

Sur la concurrence déloyale,

Considérant que Hassen BOUMAZA fait grief aux sociétés intimées d'avoir « servilement reproduit son jeu » ;

Mais considérant qu'il résulte des développements qui précèdent que la prétendue reproduction du jeu invoqué n'est pas établie et que, par voie de conséquence, tout risque de confusion est écarté ;

Que le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a écarté le grief de concurrence déloyale ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à indemnité complémentaire au titre des frais irrépétibles,

Condamne Hassen BOUMAZA aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.