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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 4 juin 2015, n° 13/06527

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Société D'exploitation Des Etablissements Roland G. (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

M. Birolleau, Mme Lucat

T. com. Meaux, du 5 févr. 2013, n° 2011/…

5 février 2013

Faits et procédure

Dans le cadre de l'opération de restructuration du lycée Fustel de Coulanges, à Massy (Essonne), réalisée sous la maîtrise d'ouvrage de la Région Ile de France, la SARL Société d'Exploitation des Etablissements Roland G. (Roland G.), sous-traitante de l'entreprise générale D. & B. pour le lot Menuiseries intérieures selon contrat du 10 juillet 2009, a commandé à la S. Laudescher, les 21 mai et 2 juin 2010, la réalisation de panneaux de plafond en bois.

L. ayant livré les produits commandés et n'ayant pas été réglée de l'intégralité de ses factures, elle a assigné Roland G. devant le tribunal de commerce de Meaux en condamnation à paiement de la somme de 40.012,73 euros HT (47.855,22 euros TTC). Roland G. s'est portée reconventionnellement demanderesse en condamnation de L. pour manquement à ses obligations de résultat et de conseil.

Par jugement rendu le 5 février 2013, le tribunal de commerce de Meaux a :

- fait droit à la demande de paiement de L. pour la somme de 40.012,73 euros HT ;

- dit que le surcoût (48.107,22 euros HT) occasionné par le non-respect, par L., de son obligation de conseil et de résultat devait être supporté à hauteur de 60 % (28.864,33 euros HT) par L. ;

- condamné, après compensation des créances réciproques des parties, Roland G. à payer à L. la somme de 11.148,40 euros HT, soit 13.333,48 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2011, outre la somme de 1.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens ;

- débouté L. du surplus de ses demandes.

Par jugement en date du 27 août 2014, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé la liquidation judiciaire de la société Roland G. et désigné la SELARL G.-G., représentée par Maître Sophie G., en qualité de liquidateur judiciaire. L. a, le 1er octobre 2014, procédé à la déclaration de ses créances entre les mains du liquidateur judiciaire.

La société L. a, le 3 avril 2013, interjeté appel du jugement rendu le 5 février 2013 par le tribunal de commerce de Meaux.

Par ses dernières conclusions signifiées le 15 octobre 2014, elle demande à la Cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- reçu Roland G. en sa demande reconventionnelle et l'a en partie dite bien fondée ;

- limité à la somme de 13.333,48 euros TTC en principal, augmentée des intérêts légaux à compter du 16 mai 2011, date de la mise en demeure, le montant de la condamnation prononcée au profit de L. ;

- débouté celle-ci du surplus de ces demandes ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

- débouter Roland G. de toutes ses demandes ;

Vu les dispositions de l'article L. 622-22 du code de commerce,

Vu le jugement rendu le 27 août 2014 par le tribunal de commerce de Meaux,

- fixer la créance de L. au passif de Roland G. à titre chirographaire, à la somme de 78.700,80 euros sauf mémoire ;

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

Y ajoutant,

- condamner Roland G. représentée par son liquidateur judiciaire à payer à L. la somme supplémentaire de 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.

Elle fait valoir que Roland G. ne rapporte la preuve :

- ni d'un quelconque manquement de L. à son obligation de résultat, alors que Roland G. avait indiqué à l'entreprise générale D. et B. que, dans les difficultés rencontrées, le produit L. n'était pas en cause ;

- ni d'un manquement à une obligation de conseil, L. n'ayant pu prendre connaissance que le 31 août 2009 du dossier complet portant sur la conception globale du projet.

Elle ajoute que les travaux supplémentaires dont Roland G. prétend avoir supporté la charge et que le maître d'ouvrage aurait refusé de lui régler ne présentent aucun rapport avec les panneaux fabriqués par L. et ne sauraient donc être mis à la charge de cette dernière.

La société d'Exploitation des Etablissements Roland G., par ses conclusions signifiées le 28 août 2013, demande à la Cour de :

Vu le jugement rendu le 5 février 2013 par le tribunal de commerce de Meaux,

Vu les articles 1134, 1710, 1787, 1184 du code civil,

Vu la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, spécialement les articles 1er et 2,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que Roland G. et L. étaient liées par un contrat de sous-traitance ;

- rappelé que le sous-traitant est tenu, à l'égard de l'entrepreneur principal d'une double obligation de résultat et de conseil, impliquant l'exécution d'un ouvrage exempt de vice ;

- dit que L. avait manqué à cette double obligation tant au stade de la conception que de la mise en oeuvre des panneaux fabriqués et fournis par ses soins ;

- dit que la demande en paiement de L. se heurtait à une exception d'inexécution dont Roland G. était fondée à se prévaloir ;

En conséquence :

- dire L. mal fondée en son appel ;

- l'en débouter intégralement ;

- condamner L. à verser à Roland G. la somme de 5.000,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle expose que L. était liée, non par un contrat de vente, mais par un contrat de sous-traitance, dès lors que les panneaux ont été fabriqués pour un chantier précis et en vertu d'instructions et de mesures spécifiques. Elle indique que le sous-traitant est tenu à une obligation de résultat, de conseil et de renseignement, dont il ne peut s'exonérer qu'en rapportant la preuve d'un cas de force majeure ou d'une faute de l'entrepreneur, et que L. a en l'espèce manqué à l'ensemble de ses obligations, aux stades tant de la conception - non-conformité de la fiche technique du fabricant par rapport aux prescriptions de l'architecte - que de la réalisation, tenant aux difficultés pour poser et assembler les panneaux fabriqués, difficultés ayant conduit le maître d'œuvre à modifier la conception du faux-plafond et à appliquer une moins-value sur le marché.

La SELARL G.-G., représentée par Maître Sophie G. ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Roland G., n'a pas constitué avocat.

MOTIFS

Considérant que, le 9 février 2009, la société L. a élaboré une fiche technique relative à des panneaux lignés intérieurs à réaliser dans le cadre de l'opération de restructuration du lycée Fustel de Coulanges de Massy ; que, les 21 mai et 2 juin 2010, la Société d'Exploitation des Etablissements Roland G. a adressé à la société L. la commande de panneaux de plafond et d'habillage bois, assortie des caractéristiques précises de chacun des éléments commandés ; que L. a assuré la fabrication sur mesure des panneaux et autres éléments de bois et leur livraison ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975, la sous-traitance se définit comme l'opération par laquelle un entrepreneur confie, par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution de tout ou partie de l'exécution du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître d'ouvrage ; qu'est assimilé au sous-traitant le fournisseur qui fabrique tout ou partie des éléments nécessaires à l'exécution du marché dont est chargée l'entreprise principale, dès lors qu'il n'a pu satisfaire la commande qu'après avoir effectué un travail spécifique en vertu d'indications particulières rendant impossible de substituer au produit commandé un autre équivalent ; que le fournisseur de matériaux ou d'équipements de production courante ne peut revendiquer l'application des dispositions protectrices de la loi sur la sous-traitance ; que, pour qu'il y ait sous-traitance, il faut un contrat d'entreprise ayant pour objet d'une part, l'exécution totale ou partielle du marché principal et d'autre part, une prestation non compatible avec une production en série ;

Considérant que la fabrication des panneaux litigieux a été réalisée suivant les prescriptions de Roland G. et a donné lieu à un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers du maître d'ouvrage de l'opération et de Roland G., en vertu d'instructions très précises de cette dernière concernant les composants et les formes ; que L. a, dès 2009, été mandatée par le maître d'oeuvre du projet pour entreprendre l'étude des panneaux, étude qui a donné lieu à l'établissement, par L., d'une fiche technique adressée à l'architecte le 9 février 2009 ; qu'au stade de la conception du produit en 2010, L. disposait du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de l'opération qui lui avait été transmis le 31 août 2009 (pièce n° 37 communiquée par L.) ; que les plans ont, préalablement à la mise en fabrication, donné lieu à des échanges entre Roland G. et L. en mai et juin 2010 ; que cette dernière a été associée à des réunions avec l'architecte X TU et Roland G. (cf. envoi à L. du compte rendu d'une réunion du 25 janvier 2010 - pièce n° 7 communiquée par Roland G.) ; que L. a été par là-même intégrée, très en amont, et dès avant la signature du contrat de sous-traitance entre D. § B. et Roland G. et des lettres de commande des 21 mai et 2 juin 2010, au processus de réalisation de l'ouvrage ; que le contrat conclu avec L. était un contrat d'entreprise par lequel Roland G. avait confié à L. la réalisation d'un produit qui ne correspondait pas à des caractéristiques déterminées à l'avance par cette dernière, mais était destiné à satisfaire aux besoins particuliers exprimés par Roland G. ; que ce contrat s'inscrivait dans le cadre de l'exécution du marché principal ; que, compte tenu de son caractère dédié, la prestation en cause n'était pas compatible avec une production en série ; qu'en raison de l'ensemble de ces particularités, la société L. doit être considérée comme étant intervenue en qualité de sous-traitante de la société Roland G. ;

Considérant que le sous-traitant est tenu envers son donneur d'ordre d'une obligation de résultat concernant la livraison d'un ouvrage exempt de vice et, à tout le moins, d'un devoir de conseil, tout particulièrement en l'espèce en sa qualité de spécialiste des équipements de bois ; que son donneur d'ordre est fondé à lui faire supporter les surcoûts induits par ses manquements éventuels à ses obligations de résultat et de conseil ;

Considérant que L. ne conteste pas les défauts présentés par les panneaux litigieux et révélés à l'assemblage, ces panneaux présentant une découpe pour l'emboîtement des traverses ou contre-lattes ne permettant un assemblage adapté en raison d'une entaille insuffisante (pièce n° 10 communiquée par Roland G.) ; que L. ne discute pas avoir disposé, aux stades de la conception finale et de la mise en fabrication des panneaux en mai et juin 2010, de tous les éléments (CCTP, spécifications techniques) permettant de répondre pleinement à la commande de Roland G. ; qu'il est, par ailleurs, indifférent que les panneaux n'aient donné lieu à aucune réserve à leur livraison dès lors que leur inadéquation n'est apparue qu'au montage ; que L. ne saurait davantage se prévaloir de ce que ses plans ont été approuvés par Roland G., l'appelante ne démontrant pas que les plans renfermaient les anomalies présentées par les panneaux ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont retenu un manquement de L. à son obligation de résultat ;

Considérant, sur les travaux supplémentaires, que Roland G. fait état, dans son courrier à L. en date du 6 octobre 2010, de frais supplémentaires de 4.650,00 euros HT (5.561,40 euros TTC) qu'elle a dû supporter pour l'adaptation des panneaux des habillages muraux et des plafonds (pièce n° 26 communiquée par Roland G.) ; qu'elle ne justifie d'aucun autre poste de dépense supplémentaire à sa charge et ne démontre pas que les travaux complémentaires qu'elle invoque à hauteur de 24.059,60 euros HT soient en lien avec les problèmes de montage des panneaux litigieux, l'annexe 1 de sa lettre à D. § B. en date du 25 novembre 2010 ne faisant état, en ce qui concerne les plafonds, que de reprises pour dégradations ;

Que, sur la moins-value pour simplification du faux plafond imposée par le maître d'ouvrage, si l'ordre de service établi par la Région Ile de France produit en pièce n° 19 « Moins-value estimée par la MOE (maîtrise d'oeuvre) suite à la simplification du faux plafond du restaurant (études d'exécution simplifiées, mise en oeuvre simplifiée, mise en oeuvre des luminaires simplifiée » fait état d'une moins-value de 24.047,62 euros HT, Roland G. ne rapporte pas la preuve du lien direct de cette moins-value avec la mauvaise exécution, par L., de sa prestation ; qu'en effet, si, par sa lettre à D. § B. en date du 25 novembre 2010 (pièce n° 25 communiquée par Roland G.), Roland G. admet une simplification du principe du faux plafond et invoque en revanche un temps d'étude supplémentaire sur les plafonds bois, elle n'établit aucun rapport entre cet élément et les difficultés de montage des panneaux imputables à L. ; que Roland G. sera en conséquence déboutée de sa demande concernant la moins-value ;

Considérant que le montant des factures dont L. réclame le paiement à hauteur de 47.855,22 euros TTC n'est pas contesté ; qu'en conséquence, la Cour dira que les factures de L. doivent être réduites à concurrence du surcoût supporté par Roland G. et fixera la créance de L. au passif de Roland G. à la somme de 47.855,22 euros TTC - 5.561,40 euros TTC = 42.293,82 euros TTC ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce sens ;

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

FIXE la créance de la S. Laudescher au passif de la SARL Société d'Exploitation des Etablissements Roland G. à la somme de 42.293,82 euros TTC,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SELARL G.-G. ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Roland G. aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.