Cass. 3e civ., 20 novembre 2002, n° 01-14.051
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Weber
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 17 mai 2001), que la société Lille et environs Habitat, maître de l'ouvrage pour la construction de 34 logements, a confié le lot menuiseries extérieures à la société Ladureau, qui a commandé les menuiseries PVC à la société Lorillard dont deux factures sont demeurées impayées ; que la société Ladureau ayant été placée en liquidation judiciaire, avec Mme X... comme liquidateur, la société Lorillard a déclaré sa créance et assigné le maître de l'ouvrage en paiement de celle-ci ;
Attendu que la société Lorillard fait grief à l'arrêt de la débouter de cette demande alors, selon le moyen :
1 ) que l'entreprise à laquelle s'est adressé l'entrepreneur principal a la qualité de sous-traitant si elle a participé à l'exécution du marché principal en effectuant un travail spécial suivant les spécifications techniques qui lui ont été imposées dans un cahier des charges rendant impossible la substitution au produit commandé d'un autre équivalent ;
que, dans ses écritures d'appel récapitulatives, la société Lorillard avait fait valoir qu'au titre des prescriptions techniques générales édictées dans le souci de répondre à des labels de sécurité et de qualité spécifiques contenues dans un cahier annexé à l'acte d'engagement de l'entrepreneur principal, la société Ladureau, vis-à-vis du maître de l'ouvrage, la société SLE Habitat, l'ensemble des menuiseries avait fait l'objet de plans ou croquis "précisant les caractéristiques dimensionnelles exigées pour leur adaptation aux ouvrages" ; qu'en relevant, pour considérer que la société Lorillard n'avait pas agi en qualité de sous-traitant de la société Ladureau, que les menuiseries commandées ne répondaient pas à des préconisations spécifiques, dès lors que les dimensions en tableau des fenêtres et portes-fenêtres étaient tout à fait standards et que le bon de commande se présentait sous la forme d'un formulaire type dont il convenait de cocher les cases pour choisir la forme des profilés et de compléter les cotes dimensionnelles standards, sans justifier en quoi les dimensions de ces menuiseries qui ne se référaient à aucun référentiel ou numéro de catalogue et dont les caractéristiques techniques avaient été définies par le maître de l'ouvrage lui-même auraient été standards et donc substituables pour un autre chantier, la cour d'appel a procédé par voie de simple affirmation et privé sa décision de base légale au regard des articles 1er de la loi du 31 décembre 1975 et 1582 du Code civil ;
2 ) que dans ses écritures d'appel récapitulatives, la société Lorillard avait exposé qu'outre des exigences dimensionnelles, les menuiseries devaient obéir à des prescriptions techniques impératives du maître de l'ouvrage relatives, notamment, à l'étanchéité, aux vitrages, aux grilles de ventilation, aux quincailleries et aux fermetures ; qu'au surplus, le maître de l'ouvrage avait exigé des profilés tubulaires en PVC rigide d'une certaine nature, l'insertion de renforts pour rigidifier les cadres ouvrant des baies de grandes dimensions, le montage de fiches à broches d'un diamètre précis et le maintien des vitrages par des closes adaptées aux épaisseurs du vitrage à mettre en place ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces prescriptions techniques exigées par le maître de l'ouvrage et en ne recherchant pas, en particulier, si elles n'étaient pas de nature à établir que les menuiseries commandées à la société Lobillard n'obéissaient pas à des caractéristiques standards, prédéterminées par la société Lorillard, mais à un façonnage à la demande du maître de l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 et de l'article 1582 du Code civil ;
3 ) qu'en tout hypothèse est un sous-traitant et non un simple fournisseur l'entrepreneur qui ne livre pas des modèles sur stock mais les produits au fur et à mesure des commandes reçues en procédant à l'assemblage de différentes pièces, fussent-elles de gabarit standardisé, selon les indications particulières du maître de l'ouvrage afin de les utiliser sur un chantier déterminé, et uniquement sur celui-ci, et pour s'intégrer dans la construction d'ensemble ; qu'en décidant néanmoins que la société Lorillard ne pouvait se prévaloir de la qualité de sous-traitant, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 ;
4 ) que même si l'entrepreneur principal n'a pas fait accepter le sous-traitant par le maître de l'ouvrage et n'a pas fait agréer les conditions de paiement du contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage, le sous-traitant a, en application de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, en cas de défaillance de l'entrepreneur principal, une action directe contre le maître de l'ouvrage ; qu'en retenant que faute d'agrément par le maître de l'ouvrage, la société SLE Habitat, de la société Lorillard en qualité de sous-traitant et d'acceptation de ses conditions de paiement, la société Lorillard, qui avait vainement mis en demeure la société Ladureau, entrepreneur principal, de lui payer le montant de ses factures, ne pouvait agir directement en paiement à l'encontre du maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 ;
5 ) qu'en tout état de cause, le maître de l'ouvrage, qui a connaissance de la présence d'un sous-traitant sur le chantier, commet une faute en négligeant de mettre en demeure l'entrepreneur principal de faire agréer son sous-traitant et ses conditions de paiement et doit réparer le préjudice correspondant au prix des travaux qui aurait dû être payé grâce à l'action directe du sous-traitant ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel récapitulatives, la société Lorillard avait fait valoir que la société SLE Habitat, maître de l'ouvrage, avait toujours eu connaissance de la présence de la société Lorillard en qualité de sous-traitant de la société Ladureau sur le chantier de Lezennes comme sur les autres chantiers menés dans le même temps ; qu'ainsi en ne recherchant pas si, en négligeant de mettre en demeure la société Ladureau, entrepreneur principal, de faire procéder à l'acceptation de la société Lorillard en qualité de sous-traitant de la société Ladureau et de ses conditions de paiement, la société SLE Habitat n'avait pas engagé sa responsabilité envers la société Lorillard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que le descriptif du lot menuiseries extérieures ne faisait pas référence à des préconisations spécifiques, que les dimensions des portes et fenêtres étaient tout à fait standard et le bon de commande un formulaire type dont il convenait de cocher les cases pour choisir la forme des profilés et compléter les cotes dimensionnelles standard pour chaque élément, et retenu à bon droit que le fait qu'un fournisseur de menuiserie ne livre pas ses modèles sur stock, mais les produise au fur et à mesure des commandes reçues en utilisant des assemblages de pièces de gabarit standardisé, n'était qu'un choix personnel d'organisation de sa production ne permettant pas d'attribuer à ses fournitures la qualité de construction spécifique, la cour d'appel a pu en déduire que la société Lorillard n'avait pas la qualité d'un sous-traitant ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour condamner la société Lorillard à payer à Mme X..., ès-qualités de liquidateur de la société Ladureau, une certaine somme à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel retient, par motifs adoptés, que la demande est fondée en son principe ;
Qu'en statuant par ces seuls motifs, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il a, par confirmation du jugement entrepris, condamné la société Lorillard à payer à Mme X..., ès-qualités, la somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 17 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.