CA Paris, ch. 15 B, 12 février 2009, n° 07/07675
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Patrick HENRY-BONNIOT
Conseillers :
Madame Claire DAVID, Madame Evelyne DELBES
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Claire DAVID conseiller pour le Président empêché, et par Mme Angélique VINCENT-VIRY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Suivant contrat signé à Rome le 30 juillet 1999, la société Telecom Italia a commandé auprès de la société CS Telecom des matériels de communication, à savoir 210 000 terminaux de réseaux NT1 Plus.
Le 15 septembre 1999, le Crédit Lyonnais, agissant en qualité de chef de file d'un pool bancaire, a consenti à la société CS Telecom une ouverture de crédit d'un montant maximum de 150 millions de
francs. En garantie de ce concours, la société CS Telecom s'est engagée, par acte de la même date, à céder au Crédit Lyonnais et aux autres banques concernées, dans les formes et conditions de la loi du 2 janvier 1981, les créances qu'elle détenait sur sa clientèle.
Le 4 avril 2000, la société CS Telecom a sous-traité à la société de droit italien Urmet la fabrication des matériels.
Le 9 avril 2001, la société CS Telecom a autorisé la société Urmet à se faire payer directement par la société Telecom Italia les factures restées impayées.
Le 30 janvier 2001, les banques, représentées par le Crédit Lyonnais, chef de file du pool, ont consenti à la société CS Telecom un concours ponctuel sous forme de mobilisation de créances nées à l'export par une cession Dailly de 21 000 000 francs.
C'est ainsi que la société CS Telecom a cédé au Crédit Lyonnais, en sa qualité de chef de file du pool bancaire, suivant 13 bordereaux Dailly ses créances sur la société Telecom Italia.
Cinq bordereaux ont été réglés.
Le 30 avril 2001, le Crédit Lyonnais a notifié à la société Telecom Italia la cession de créances dont il était bénéficiaire. Le 2 août 2001, la société Telecom Italia lui a répondu que la société CS Telecom avait cédé ses créances à la société Urmet.
Par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 2 mai 2001, la société CS Telecom a été placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire le 2 août 2001.
Les créances des banques ont été déclarées et admises au passif de la société, à l'exception de la créance de la Société Générale.
La société Urmet a également déclaré ses créances qui ont été admises.
Par acte du 30 août 2001, la société Urmet a assigné la société Telecom Italia, la société CS Telecom et les organes de sa procédure collective, ainsi que le Crédit Lyonnais devant le tribunal de commerce de Nanterre pour voir dire que la société Telecom Italia devait s'acquitter directement entre ses mains des factures résultant du contrat de sous traitance du 4 avril 2000 pour un montant de 8 686 559 903 lires italiennes et pour voir dire que la cession de créance lui était inopposable.
Par jugement du 4 avril 2003, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- reçu les banque du pool en leur intervention volontaire,
- constaté que la créance de la société Urmet a été admise au passif de C. Telecom à concurrence de la somme de 4 486 233,79 € ,
- dit que le litige est soumis à la loi française,
- dit que la société Telecom Italia devra s'acquitter directement entre les mains de la société Urmet de la somme de 4 103 180,50 € avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,
- condamné le Crédit Lyonnais à payer à la société Urmet la somme de 383 053,29 € , avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement.
Sur l'appel formé par les banques, la cour d'appel de Versailles a, par arrêt du 24 juin 2004, confirmé le jugement.
Par arrêt du 19 décembre 2006, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé par les banques, a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles dans toutes ses dispositions et a renvoyé la cause devant la cour d'appel de Paris.
Les banques ont saisi la cour d'appel de Paris par déclaration du 18 avril 2007.
Dans leurs dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 20 novembre 2008, le Crédit Lyonnais, BNP Paribas, la Société Générale, le CIC, la société Natixis, anciennement Natexis Banques Populaires, la banque Neuflize OBC, anciennement NSMD, demandent à la Cour :
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre,
- de constater que le contrat liant les sociétés C. Telecom et Urmet est soumis au droit suisse,
- de débouter la société Urmet de sa demande fondée sur la loi du 31 décembre 1975,
- de dire plus subsidiairement que les contrats sont soumis à la convention de Vienne et qu'il s'analysent donc comme des contrats de vente excluant l'application de la loi française du 31 décembre 1975 sur la sous traitance,
- de condamner la société Telecom Italia à payer au Crédit Lyonnais la somme de 1 681 860,40 € , à BNP Paribas la somme de 341 312,01 € , au CIC la somme de 234 816,60 € , à Natixis la somme de 194 488,51 € et à la banque Neuflize OBC la somme de 25 470,06 € , le tout avec intérêts au taux légal à compter de notification des cessions en date du 30 avril 2001,
- de condamner la société Urmet à payer au Crédit Lyonnais la somme de 438 405,25 € , avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er octobre 2008,
Subsidiairement,
- de condamner la société Urmet à payer au Crédit Lyonnais la somme de 2 120 265,65 € , à BNP Paribas la somme de 341 312,01 € , au CIC la somme de 234 816,60 € , à la société Natixis la somme de 194 488,51 € et à la banque Neuflize OBC la somme de 25 470,06 € , avec intérêts au taux légal à compter des conclusions,
- de condamner la société Urmet à leur payer la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 23 octobre 2008, la société Telecom Italia demande à la Cour :
- de lui donner acte de ce qu'elle a réglé à la société Urmet la somme de 4 246 454,57 € en exécution d'une décision de justice, et qu'elle est libérée de toute obligation de paiement,
- de dire qu'elle n'est tenue au versement d'aucun intérêt, ni pénalité,
- de débouter les banques de leurs demandes,
Subsidiairement,
- de dire que la société Urmet est débitrice à l'égard des banques des sommes réclamées,
- de condamner solidairement la société Urmet et le Crédit Lyonnais à lui payer la somme de 6 000 €
en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 13 novembre 2008, la société Urmet demande à la Cour :
- de constater que les cessions de créance consenties par la société CS Telecom aux banques sont contraires aux dispositions des articles L.313-23 à L. 313-34 du Code monétaire et financier,
- de constater que les banques n'ont justifié d'aucune créance à l'égard de la société CS Telecom,
- de dire que la loi du 31 décembre 1975 est une loi de police,
- de dire que les cessions alléguées correspondent à des travaux sous-traités que la société CS Telecom n'a pas effectué personnellement et qui sont prohibées,
- de constater que la société Urmet a été admise au passif de la société CS Telecom pour 4 486 233,79 € ,
- de confirmer le jugement,
Y ajoutant,
- de dire en tant que de besoin, que les banques sont condamnées solidairement avec le Crédit Lyonnais au paiement de la somme de 383 053,29 € ,
- de confirmer le jugement entrepris,
- de dire que les intérêts courront au taux légal à compter de l'assignation du 30 avril 2001,
- de condamner conjointement et solidairement les banques à lui payer la somme de 20 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Me Ouizille, liquidateur de la société CS Telecom, n'a pas été assigné.
CELA ÉTANT EXPOSÉ,
LA COUR,
Considérant que Me Ouizille n'a pas été assigné ; qu'il convient de prononcer la disjonction de l'affaire à son égard et de prononcer la radiation de l'instance le concernant ;
Considérant que la cour d'appel de Versailles a dit, d'une part, que le pool bancaire ne pouvait pas se prévaloir de la cession de créances consentie par la société CS Telecom, puisque les créances concernées correspondent à des opérations ayant donné lieu au recours à un sous-traitant, ce que ne permet pas la loi du 2 janvier 1981 ; qu'elle a dit d'autre part, que ce contrat de sous traitance avait été expressément soumis par les parties à la loi suisse, mais que la demande de la société Urmet repose sur le courrier du 9 avril 2001, qui permettait à la société Urmet de se faire payer directement par la société Telecom Italia en cas de défaillance de sa part ;
Considérant que Cour de cassation, statuant sur le moyen selon lequel il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la loi du 31 décembre 1975 sur la sous traitance était applicable, casse l'arrêt au motif que l'obligation faite à l'entrepreneur principal de ne céder les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître d'ouvrage qu'à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement résulte de l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 et que
ces prescriptions ne peuvent être valablement opposées aux banques cessionnaires qu'à la condition que la loi française soit applicable au contrat liant le cédant, la société CS Telecom, et le sous-traitant, la société Urmet ;
Considérant que la question qui se pose est celle de savoir si la cour peut faire application de l'article 7 de la loi du 2 janvier 1981 qui dispose : après l’article 13 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous traitance, il est inséré un article 13-1 ainsi rédigé : Article 13-1 - l'entrepreneur ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l'ouvrage qu'à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement' ;
Considérant que le contrat conclu entre C. Telecom et Urmet est qualifié de contrat de sous traitance, tel que cela résulte expressément de l'article 2 du contrat qui stipule que C. Telecom nomme par les présentes Urmet pour être son sous-traitant lié par les termes du contrat principal non exclusif, afin de permettre à C. Telecom de s'acquitter de ses obligations au titre du contrat principal ;
Considérant que le contrat précise encore en son article 14 que la conclusion et l'interprétation du présent contrat seront soumis au droit suisse ;
Considérant que la convention de Rome contient des dispositions qui peuvent conduire à appliquer au contrat une autre loi que celle qui a été expressément choisie par les parties, tel que l'article 7-2 qui vise les lois de police du for et qui dispose que la convention ne pourra pas porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat ;
Considérant qu'il convient en conséquence de savoir si la loi sur la sous traitance est une loi de police ; que l'article 15 de la loi du 31 décembre 1975 est rédigé en ces termes : Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations ou arrangements qui auraient pour effet de faire échec à ses dispositions' ; qu'il s'ensuit qu'il s'agit bien d'une loi d'ordre public en droit interne ;
Et considérant que la loi du 31 décembre 1975, étant une loi de protection du sous-traitant et de sauvegarde de l'organisation économique du pays, doit être à ce titre considérée comme une loi de police ;
Considérant que l'article 7-2 écartant tout pouvoir d'appréciation du juge sur l'opportunité d'appliquer des lois de police du for qui régissent impérativement le litige en cours, quelle que soit la loi applicable au contrat, il convient de dire que la loi du 31 décembre 1975 est applicable à l'espèce ;
Considérant que les banques soutiennent que la sous-traitance, qui ne s'entend qu'en matière de contrat d'entreprise, n'est pas applicable en l'espèce, dès lors qu'on est en présence de contrats de vente internationale, et non en présence de deux contrats d'entreprise, comme l'impose l'article 1 de la loi du 31 décembre 1975 ;
Considérant que la convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 définit comme étant réputées des ventes les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n'ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production. La présente Convention ne s'applique pas aux contrats dans lesquels la part prépondérante de l'obligation de la partie qui fournit les marchandises consiste en une fourniture de main d'oeuvre ou d'autres services' ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société CS Telecom n'a pas effectué personnellement les travaux commandés par la société Telecom Italia, mais a eu recours aux prestations de la société Urmet pour réaliser un produit spécifique ;
Considérant que le contrat signé par la société Urmet précise que cette dernière fabrique et vend le produit dénommé NT1+, qu'elle a développé un savoir-faire commercial et technique particulier, qu'elle met à la disposition de C. Telecom afin de lui permettre de s'acquitter de ses obligations au titre du contrat principal ; qu'il est précisé en annexe que Urmet sera responsable de l'approvisionnement, de la fabrication des circuits imprimés, de l'assemblage des composants, des essais in situ, de l'intégration des circuits imprimés dans les boîtiers, des essais de fonctionnement, du conditionnement et de la livraison dans les locaux de Telecom Italia en Italie ;
Considérant qu'il résulte de ce contrat que la société Urmet était chargée de réaliser un travail spécifique, ce qui implique bien qu'il s'agissait en l'espèce d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de vente ; que les essais in situ sont prévus au contrat, ce qui implique que la société Urmet est intervenue sur le site pour procéder à la pose du matériel fourni ; que cette disposition contractuelle conduit à conclure que la loi sur la sous traitance est applicable à l'espèce ; qu'enfin, les obligations ci-dessus énoncées mises à la charge de la société Urmet montrent bien que la part prépondérante de son obligation résidait dans de la main d'oeuvre et d'autres services ;
Considérant que le contrat ne peut pas être assimilé à une vente ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les cessions de créances consenties par la société CS Telecom aux banques sont inopposables à la société Urmet ;
Considérant que le paiement direct est prévu par la lettre du 9 avril 2001 adressée par C. Telecom à la société Urmet qui a été admise au passif de la société CS Telecom ;
Considérant que les banques sont ainsi déboutées de leur demande dirigée contre Telecom Italia ;
Considérant que le jugement doit donc être confirmé, sauf à préciser que la condamnation du Crédit Lyonnais à payer à la société Urmet la somme de 383 053,29 € doit s'entendre en ce que le Crédit Lyonnais a été condamné en qualité de chef du pool bancaire ;
Considérant que la société Telecom Italia ayant réglé la somme de 4 246 454,27 € le 5 août 2004 à la société Urmet, elle ne doit pas être tenue au paiement d'intérêts supplémentaires ;
Considérant que le Crédit Lyonnais ayant réglé la somme de 438 405,25 € à la société Urmet, il ne doit pas être tenue au paiement d'intérêts supplémentaires ;
Considérant qu'il apparaît équitable d'allouer à la société Urmet et à la société Telecom Italia la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
Prononce la disjonction de l'instance opposant la partie à Me Ouizille, es-qualités,
Ordonne la radiation de l'affaire le concernant,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Dit que la condamnation dirigée contre le Crédit Lyonnais l'est à titre de chef du pool bancaire,
Condamne le Crédit Lyonnais, es qualité de chef de file du pool bancaire à payer à la société Urmet et à la société Telecom Italia une somme respective de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de cette procédure,
Rejette les autres demandes,
Condamne le Crédit Lyonnais, BNP Paribas, la Société Générale, le CIC, la société Natixis, anciennement Natexis Banques Populaires, la banque Neuflize OBC, anciennement NSMD aux dépens du présent arrêt, avec distraction au profit des avoués concernés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.