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Décisions

Cass. com., 19 mai 1998, n° 95-21.523

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Aix-en-Provence, du 13 oct. 1995

13 octobre 1995

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Compagnie méridionale de navigation a conclu avec la Société nouvelle des ateliers et chantiers du Havre (SNACH) deux marchés pour la transformation de deux de ses navires ; que la SNACH a sous-traité les travaux à la société des Ateliers et chantiers de Marseille Provence (ACMP), qui a, elle-même, confié diverses prestations à des entreprises sous-traitantes ; qu'avant même d'avoir reçu la totalité du prix convenu de la part de la Compagnie méridionale de navigation, la SNACH en a payé le montant à la société ACMP, laquelle a été mise en redressement judiciaire, sans payer les prix de leurs travaux à ses sous-traitants ; que ceux-ci ont entendu exercer leur action directe contre la Compagnie méridionale de navigation, en sa qualité de maîtresse d'ouvrage ; que celle-ci a, au cours de l'instance, acquiescé à cette prétention ; que l'arrêt a condamné la compagnie maîtresse d'ouvrage à payer une partie de sa dette à deux sociétés sous-traitantes et le solde à la SNACH " à charge pour ladite société de répartir cette somme entre les différents sous-traitants de quelque rang qu'ils soient " ;

Sur le premier moyen, pris en ses six premières branches :

Attendu que la SNACH fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli les prétentions des sous-traitants, alors, selon le pourvoi, de première part, que, I'acquiescement ne peut produire effet qu'entre le demandeur et celui des défendeurs qui a y consenti ; qu'en imputant les sommes que le maître de l'ouvrage devrait verser aux sous-traitants de second rang sur celles dont il restait redevable envers l'entrepreneur principal au prétexte que le premier avait acquiescé à la demande, opposant ainsi au second un acquiescement auquel il était étranger, la cour d'appel a violé l'article 408 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de deuxième part, qu'en statuant ainsi, ce qui avait pour résultat de mettre finalement à la charge de l'entrepreneur principal la condamnation prononcée, après avoir pourtant retenu qu'il n'était ni en droit ni en fait visé par la demande, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 1134 du Code civil ainsi que 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ; alors, de troisième part, que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; que si les accords particuliers que l'entrepreneur principal avait pu passer avec son sous-traitant étaient inopposables aux substituts de second rang et au maître de l'ouvrage en raison de la relativité des contrats, les accords spécifiques conclus entre ces derniers et le sous-traitant de premier rang l'étaient tout autant vis-à-vis de l'entrepreneur principal qui n'avait aucun lien contractuel avec eux, en sorte que les sommes à eux dues ne pouvaient être prélevées sur celles dont il était encore créancier à l'égard du maître de l'ouvrage ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil ; alors, de quatrième part, que les sous-traitants de second rang qui ne détiennent aucune action de nature contractuelle contre l'entrepreneur principal n'ont pas davantage d'action directe à son encontre sur le fondement de la loi du 31 décembre 1975 en sorte que les sommes que le maître de l'ouvrage est appelé à leur verser ne sauraient être imputées sur celles qu'il doit à l'entrepreneur principal ; qu'en retenant le contraire la cour d'appel a violé les articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ; alors, de cinquième part, que n'ayant aucune obligation de paiement envers les sous-traitants de second rang, que ce soit de nature contractuelle ou sur le fondement de la loi du 31 décembre 1975, l'entrepreneur principal ne peut être mis par eux en demeure de payer en sorte que, à défaut de pouvoir satisfaire à cette condition de recevabilité, ils ne sauraient disposer d'une action directe contre le maître de l'ouvrage ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ; alors, de sixième part, qu'en toute hypothèse, le sous-traitant est entrepreneur principal par rapport à ses propres substituts ; qu'à supposer que les sous-traitants de second rang puissent exercer une action directe contre le maître de l'ouvrage, elle ne pourrait être intentée qu'après mise en demeure de payer adressée par eux, non à l'entrepreneur principal qui ne leur doit rien, mais au sous-traitant de premier rang qui est leur seul cocontractant, l'assiette de leur recours ne pouvant dès lors être que la somme dont le maître de l'ouvrage est redevable envers ce dernier ;

qu'en en décidant autrement, la cour d'appel a violé les articles 2, 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a, à bon droit, admis la recevabilité de l'action directe des sous-traitants, quel que soit leur rang, contre la compagnie maîtresse d'ouvrage et accueilli leur prétention à obtenir d'elle le paiement de leurs créances, dans la limite de ce dont elle restait débitrice, dès lors qu'elle ne contestait pas les avoir agréés, ainsi que les conditions de paiement ; qu'à cette fin elle n'avait pas à considérer s'il en résultait un préjudice pour l'entrepreneur principal, bien qu'il n'ait pas acquiescé à l'agrément des sous-traitants, qu'il n'ait pas été lui-même judiciairement poursuivi en paiement, et qu'il n'ait pas souscrit d'engagements contractuels en faveur des sous-traitants ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas des conclusions soutenues en appel par la SNACH qu'elle ait alors contesté qu'avant de réclamer paiement à la compagnie maîtresse d'ouvrage l'entreprise principale n'ait pas été mise en demeure dans les conditions prévues par la loi ; qu'elle ne peut utilement faire grief à l'arrêt d'avoir admis la régularité de la demande ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa septième branche :

Vu l'article 1134 du Code civil ;

Attendu que, pour rejeter la prétention de la SNACH selon laquelle la dette de la compagnie maîtresse d'ouvrage était afférente à un autre marché que celui pour l'exécution duquel les sous-traitants de second rang étaient intervenus, et que le prix du marché les concernant avait été payé totalement tant à elle-même qu'ensuite à la sous-traitante de premier rang, l'arrêt retient que " le maître de l'ouvrage a accepté le principe d'un accord global malgré l'existence de deux marchés particuliers " ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à justifier que les deux marchés souscrits par la Compagnie méridionale de navigation et la SNACH aient été considérés par elles deux comme interdépendants et les conditions financières de leur exécution indifférenciées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le second moyen :

Vu l'article 1134 du Code civil, et les articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Attendu que pour condamner la SNACH à répartir elle-même entre plusieurs sous-traitants une partie du montant de la dette de la compagnie maîtresse d'ouvrage, partie que celle-ci doit verser entre ses mains, l'arrêt retient que les prétentions de ces sous-traitants sont fondées ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne justifiait, en l'état des éléments relevés par l'arrêt, des obligations à la charge de la SNACH envers les sous-traitants, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 octobre 1995, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.