Cass. com., 10 février 2015, n° 13-27.967
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Ortscheidt
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par Mme B... que sur le pourvoi incident relevé par la société Foncia groupe ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le conseil de surveillance de la société Foncia groupe, réuni le 12 mars 2010, a révoqué Mme B... de ses fonctions de directeur général ; que le conseil d'administration de la société Foncia SA, réuni le même jour, a mis fin à ses fonctions de président-directeur général ; que le 29 mars 2010, l'assemblée générale de la société Foncia groupe a révoqué Mme B... de ses fonctions de membre du directoire, et l'assemblée générale de la société Foncia SA a mis fin à ses fonctions d'administrateur ; que, soutenant que la révocation de ses mandats sociaux avait été décidée sans juste motif et dans des circonstances constitutives d'abus, Mme B... a assigné les sociétés Foncia groupe et Foncia SA en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que Mme B... fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande alors, selon le moyen :
1°/ que la mésentente entre un membre du directoire d'une société anonyme et ses associés ne peut constituer un juste motif de révocation qu'à la condition que cette mésentente compromette l'intérêt social ; qu'il en résulte que la mésentente entre un dirigeant et l'actionnaire majoritaire ne compromet pas l'intérêt social, et ne constitue donc pas un motif légitime de révocation, lorsque le dirigeant, malgré ses divergences de vues avec ses associés, a continué de remplir ses fonctions sociales de manière satisfaisante ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a précisément constaté que Mme B... avait parfaitement exécuté ses mandats sociaux, relevant à cet égard son « apport non contestable à la réussite du groupe Foncia », et « l'absence de tout reproche caractérisé antérieur » à la révocation ; qu'il en résultait qu'à supposer même qu'il ait existé un désaccord entre Mme B... et ses associés, celui-ci n'avait pas compromis l'intérêt social, et ne constituait pas un juste motif de révocation ; qu'en retenant pourtant que le « désaccord certain sur le mode de gestion de la société » et la « forte mésentente entre membres du directoire » ne permettaient pas « un fonctionnement collégial de l'organe » et auraient été de nature à « mettre en péril la bonne marche de l'entreprise », quand elle relevait elle-même qu'il n'existait aucun conflit ouvert entre l'actionnaire et Mme B... et que celle-ci avait pleinement rempli sa mission dans l'intérêt social, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 225-61 du code de commerce ;
2°/ que la mésentente entre un membre du directoire d'une société anonyme et ses associés ne peut constituer un juste motif de révocation qu'à la condition que cette mésentente compromette l'intérêt social ; qu'il en résulte que la mésentente entre un dirigeant et l'actionnaire majoritaire ne peut constituer un juste motif de révocation qu'à la condition d'être contemporaine de la révocation ou, à tout le moins, d'avoir donné naissance à une désorganisation objective des organes sociaux à laquelle la révocation a permis de mettre un terme ; qu'en l'espèce, pour retenir que la mésentente entre Mme B... et le nouvel actionnariat majoritaire du groupe Foncia aurait mis « en péril la bonne marche de l'entreprise », la cour d'appel s'est fondée sur un « audit interne, après prise de contrôle, conduisant à arrêter un changement d'orientation ou d'organisation et se traduisant par de nouvelles modalités d'organisation interne », auxquelles Mme B... n'aurait pas adhéré ; que cette « prise de contrôle » ayant eu lieu au début de l'année 2007, ce prétendu défaut d'adhésion était donc ancien ; qu'il n'avait causé aucune désorganisation sociale, la cour d'appel ayant précisément relevé « l'apport non contestable à la réussite du groupe Foncia » de Mme B..., et « l'absence de tout reproche caractérisé antérieur » à la révocation ; qu'en retenant pourtant qu'une mésentente ancienne et n'ayant causé aucune désorganisation des organes sociaux constituait un juste motif de révocation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 225-61 du code de commerce ;
3°/ que la perte de confiance des actionnaires à l'égard d'un membre du directoire d'une société anonyme ne constitue pas intrinsèquement un juste motif de révocation ; que seul le conflit résultant de cette perte de confiance, s'il est de nature à compromettre l'intérêt social, est susceptible de justifier la révocation ; qu'en l'espèce, aucun conflit ouvert n'opposait Mme B... à ses associés, le dirigeant ayant continué à accomplir ses fonctions sociales de manière satisfaisante ; que la cour d'appel a ainsi relevé « l'apport non contestable à la réussite du groupe Foncia » de Mme B..., et « l'absence de tout reproche caractérisé antérieur » à la révocation ; qu'en déduisant pourtant l'existence d'un juste motif de révocation de « la rupture de confiance que traduisent les propos des uns et des autres », quand elle constatait elle-même que les relations de Mme B... avec ses associés n'étaient aucunement conflictuelles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 225-61 du code de commerce ;
4°/ que seul un grief contradictoirement débattu, le débat contradictoire permettant d'en apprécier la réalité et la gravité, peut constituer un juste motif de révocation d'un membre du directoire d'une société anonyme ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que la procédure de révocation de Mme B... avait été irrégulière ; qu'ainsi Mme B... n'avait pu exercer ses droits de la défense puisqu'elle n'avait pas été « mise en mesure de s'exprimer utilement devant l'organe qui va la révoquer » ; qu'en décidant pourtant que la révocation de Mme B... procédait d'un juste motif, quand elle relevait elle-même que Mme B... n'avait pu débattre contradictoirement des griefs qui lui étaient adressés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 225-61 du code de commerce ;
5°/ que seuls les griefs invoqués par la société au cours de la procédure de révocation d'un membre du directoire peuvent ensuite être pris en compte par le juge pour apprécier si la révocation procédait d'un juste motif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les griefs adressés à Mme B... avaient été exposés par la société Foncia groupe dans une lettre de convocation du 9 mars 2010, ainsi que lors du conseil de surveillance du 12 mars 2010 dont la teneur est rapportée par un constat d'huissier ; qu'il résulte de ces documents que les motifs de révocation invoqués par la société Foncia groupe lors de la procédure de révocation tenaient à « de sérieuses difficultés relationnelles » existant entre Mme B... et les autres dirigeants, ainsi qu'à « une attitude passive ¿ sur un plan opérationnel » ;
que la cour d'appel a expressément relevé l'inanité de ces griefs tenant à un prétendu conflit entre dirigeants et à une gestion insuffisamment dynamique, en retenant « l'apport non contestable à la réussite du groupe Foncia » de Mme B... et « l'absence de tout reproche caractérisé antérieur » à son égard ; qu'en se fondant sur d'autres griefs, non invoqués lors de la procédure de révocation, relatifs à une perte de confiance consécutive à un prétendu refus de Mme B... d'adhérer aux nouvelles orientations stratégiques de la société Foncia groupe, pour retenir l'existence d'un juste motif de révocation, la cour d'appel a violé l'article L. 225-61 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que Mme B... ait soutenu devant la cour d'appel que l'absence de débat contradictoire avait privé de juste motif la révocation de ses mandats ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et droit ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt constate que la réalisation d'un audit interne, après la prise de contrôle du groupe Foncia au mois d'avril 2007, a conduit à arrêter un changement d'orientation ou d'organisation qui s'est traduit par de nouvelles modalités d'organisation interne et par une nouvelle gouvernance, auxquelles Mme B... n'avait pas adhéré ; qu'il retient que le désaccord certain sur le mode de gestion de la société Foncia groupe et une forte mésentente entre les membres du directoire ne permettaient pas un fonctionnement collégial de l'organe, ce qui était susceptible de mettre en péril la bonne marche de l'entreprise ; que de ces constatations et appréciations, desquelles il résultait que la persistance de ce désaccord et de cette mésentente depuis plusieurs années était de nature à compromettre l'intérêt social, la cour d'appel a pu déduire, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et cinquième branches, que la révocation de Mme B... reposait sur un juste motif ;
D'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa quatrième branche et qui est inopérant en ses troisième et cinquième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen de ce pourvoi :
Attendu que Mme B... fait encore grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte des actions gratuites alors, selon le moyen, que la cassation d'un chef de dispositif entraîne par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt en ses dispositions qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme B... de sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte de chance de se voir attribuer gratuitement des actions, la cour d'appel s'est bornée à retenir " qu'elle considère que la révocation a eu lieu pour justes motifs " ; que la cassation de l'arrêt à intervenir sur le fondement du premier moyen de cassation en ce qu'il a infirmé le chef du jugement qui avait retenu l'absence de juste motif de la révocation de Mme B... entraînera, par voie de conséquence, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a débouté Mme B... de sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte des actions gratuites ;
Mais attendu que le premier moyen étant rejeté, le moyen est sans objet ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux premières branches :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour condamner la société Foncia groupe au paiement de dommages-intérêts pour révocation abusive ou vexatoire de ses mandats sociaux, l'arrêt retient que si Mme B... a été avisée des motifs justifiant cette décision, a été invitée à participer à la réunion des organes statuant sur sa révocation et a pu présenter ses observations en défense, la procédure s'est déroulée dans un délai peu compatible avec l'organisation de sa défense ; qu'il retient encore que le devoir de loyauté imposé au dirigeant a sa contrepartie dans une loyauté de l'entreprise à son égard, d'autant que le contrat le liant à cette dernière est fondé sur des engagements réciproques et solidaires qui impliquent le respect d'une procédure de révocation transparente, et donc que le dirigeant soit mis en mesure de s'exprimer utilement devant l'organe qui va le révoquer, ce qui n'a pas été le cas ;
Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que Mme B... avait eu connaissance des motifs de la révocation de ses mandats et avait été mise en mesure de présenter ses observations avant qu'il fût procédé au vote, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur la troisième branche de ce moyen :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour dire que la révocation de Mme B... de ses mandats sociaux présentait un caractère brutal et vexatoire, l'arrêt retient que cette révocation est intervenue dans des circonstances dénotant un manque de loyauté et de considération pour la réputation du dirigeant congédié, au regard de son ancienneté au sein du groupe Foncia, de son apport non contestable à sa réussite et de l'absence de tout reproche caractérisé antérieur ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que cette révocation avait été prononcée dans des conditions vexatoires ou injurieuses, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi incident :
REJETTE le pourvoi principal ;
Et sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Foncia groupe à payer à Mme B... la somme de 250 000 euros à titre de dommages-intérêts pour révocation abusive ou vexatoire de ses mandats de membre du directoire et directeur général, et en ce qu'il condamne la société Foncia groupe, venant aux droits de la société Foncia SA, à payer à Mme B... la somme de 250 000 euros à titre de dommages-intérêts pour révocation abusive ou vexatoire de ses mandats d'administrateur et président-directeur général de la société Foncia SA, l'arrêt rendu le 3 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.