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Décisions

Cass. 3e civ., 10 janvier 2001, n° 99-12.836

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Canivet, M. Beauvois

Rapporteur :

M. Martin

Avocat général :

M. Baechlin

Avocats :

SCP de Chaisemartin et Courjon, SCP Coutard et Mayer

Chambéry, ch. civ., du 5 janv. 1999

5 janvier 1999

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 5 janvier 1999), que la société Etablissements René X... (société X...), maître de l'ouvrage, a chargé de la construction d'un bâtiment industriel la société Setra, depuis lors en liquidation judiciaire, qui a sous-traité à la société Comep les travaux de charpente, couverture et bardage ; que la société Comep a assigné la société X... aux fins d'indemnisation correspondant aux travaux exécutés ;

Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt d'accueillir partiellement la demande, alors, selon le moyen :

1 / que seule la connaissance effective de l'existence du sous-traitant sur le chantier, par le maître de l'ouvrage, peut induire la faute de celui-ci ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, la société X... soutenait que la lettre du 5 octobre 1993, rédigée à l'en-tête de l'entrepreneur principal, la société Setra, et mentionnant l'intervention de la société Comep, était en réalité un faux dont elle n'avait pas eu connaissance, établi par M. Y..., agent commercial s'étant, par suite, révélé être le mandataire de ladite société Comep, qui se trouvait mis en examen pour faux et usage dans le cadre de l'action pénale en cours ;

qu'elle offrait notamment en preuve une lettre de l'architecte de la société Setra du 31 janvier 1995 ; qu'en se fondant néanmoins, pour affirmer la connaissance de la société X... de la présence de la société Comep sur le chantier, sur ce document dont elle constatait que M. Y... était l'auteur, ainsi que sur l'attestation concordante de celui-ci, sans s'interroger, comme elle y était pourtant invitée, sur la question de savoir si cette lettre ne constituait pas un faux établi pour les besoins de la cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14-l de la loi du 31 décembre 1975 ;

2 / que la société X... soutenait également que le devis pour une proposition de marché hors commande du 5 novembre 1993, qu'elle versait aux débats, ne pouvait être considéré comme émanant de la société Comep dès lors qu'il avait pour seul auteur M. Y..., qui prétendait alors représenter la société Setra et dont le papier à en-tête mentionnait exclusivement la qualité d'agent commercial en constructions métalliques ; qu'en se bornant à affirmer, sans s'expliquer davantage, que la preuve de la connaissance par la société X... de la présence du sous-traitant sur le chantier résultait de cette commande de travaux directement effectuée par la société Comep, la cour d'appel a, de nouveau, privé sa décision de base légale au regard de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

3 / qu'en l'espèce, les documents intitulés comptes rendus de chantier datés des 9, 16 et 23 novembre 1993, mentionnant la présence de M. Y... comme représentant la société Comep, ne pouvaient être intrinsèquement considérés comme établis contradictoirement dès lors que ces documents étaient manuscrits, qu'ils ne comportaient aucune signature et que sur l'un d'entre eux le nom de M. A..., représentant de la société X..., avait manifestement été ajouté ; qu'en affirmant néanmoins leur caractère contradictoire pour en déduire que la preuve de la connaissance de la société X... de l'existence du sous-traitant se trouvait rapportée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la preuve de l'information de la société X... résultait de la réception par elle de la lettre du 5 octobre 1993 accompagnant la communication du plan d'ensemble et d'implantation des établissements Comep chargés des lots charpente couverture bardage et avisant le maître de l'ouvrage de l'intervention de cette entreprise sur le chantier dès le 18, lettre dont il importait peu qu'elle aurait été arguée de faux dès lors qu'il résultait des attestations de son auteur, M. Y..., de MM. B... et Z... ayant réalisé l'étude béton armé et les travaux de maçonnerie à partir du plan d'implantation, que cette lettre était connue de la société X..., des travaux supplémentaires commandés directement à la société Comep ainsi que cela ressortait du courrier du 5 novembre 1993, de la confirmation de commande du 24, de la facture du 10 décembre payée par traite et des comptes rendus de chantier révélant qu'assistaient aux réunions, au cours desquelles des injonctions avaient été faites à la société Comep, M. Y... pour le compte de celle-ci, M. A... pour la société X... et M. X... lui-même à l'une d'elles, la cour d'appel, qui a constaté que le maître de l'ouvrage avait eu, dès l'origine, connaissance de la présence sur le chantier de la société Comep en qualité de sous-traitant, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt d'accueillir partiellement la demande de la société Comep, alors, selon le moyen :

1 / que l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ne confère pas au sous-traitant occulte plus de droits qu'au sous-traitant agréé ; que le maître de l'ouvrage ne peut être tenu envers le sous-traitant au-delà de ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure ; qu'en l'espèce, il était constant qu'à la date de la mise en demeure du sous-traitant réclamant le paiement de la somme de 998 257,05 francs à la société X..., celle-ci avait déjà réglé à l'entrepreneur principal, par lettres de change acceptées les factures des 1er, 19 et 21 octobre 1993, 9 et 26 novembre 1993, la somme de 1 874 354,30 francs, représentant l'intégralité du montant du marché ; qu'ainsi, à la date de la demande de paiement direct du sous-traitant, elle n'était plus débitrice d'aucune somme à l'égard de l'entrepreneur principal et n'était donc pas tenue de payer au sous-traitant les sommes réclamées ; qu'en décidant le contraire, au motif erroné que le recours du sous-traitant occulte n'était pas limité au montant des sommes dont il aurait pu obtenir le paiement par le jeu de l'action directe, la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

2 / que la propriété de la provision est transmise au porteur de la lettre de change acceptée, à la date de la remise du titre ou de son endossement ; qu'il en résulte que l'action directe du sous-traitant de l'entrepreneur tireur, mise en oeuvre postérieurement à cette remise ou à l'escompte, est sans effet ; qu'en décidant le contraire en l'espèce, en retenant à tort que seule la date d'échéance des traites acceptées, tirées sur la société X... au profit de la société Setra ou de son banquier, constituait la date du paiement effectif de ces traites, la cour d'appel a violé l'article 116 du Code de commerce ;

3 / que la perte d'une chance implique un aléa et ne peut donner lieu à la réparation intégrale du dommage invoqué par la victime ;

que l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 oblige seulement le maître de l'ouvrage qui a connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier à mettre en demeure l'entrepreneur principal de le faire accepter, sans qu'il soit tenu de l'accepter ou d'agréer ses conditions de paiement ; qu'en considérant en l'espèce que la société X... devait être condamnée à payer à la société Comep, qu'elle n'avait pas acceptée et dont elle n'avait pas agréé les conditions de paiement, l'intégralité des sommes dues par l'entrepreneur principal en réparation du préjudice résultant de la perte de l'action directe et de la caution de l'entrepreneur, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

4 / que la faute de la victime ayant concouru à la production du dommage est une cause exonératoire, à tout le moins partielle, de responsabilité ; qu'en l'espèce, comme l'avaient retenu les premiers juges, en n'usant pas de la faculté de mettre en demeure la société X... de lui payer les sommes dues par l'entrepreneur principal, alors que dès le 22 novembre 1998, elle était informée du défaut de paiement par ce dernier des premières situations de travaux, et en acceptant au contraire trois nouvelles traites en règlement de ses situations impayées, la société Comep avait commis une faute ayant contribué au dommage dont elle réclamait réparation à la société X... ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel, qui a refusé de prendre en considération les circonstances spécifiques en cause, a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la société X..., maître de l'ouvrage, avait eu, dès l'origine, connaissance de la présence sur le chantier de la société Comep en qualité de sous-traitant, la cour d'appel, qui a retenu, abstraction faite d'un motif surabondant, que, n'ayant pas satisfait à son obligation impérative de mise en demeure de l'entrepreneur principal, elle avait incontestablement commis une faute quasi-délictuelle ouvrant droit à réparation pour le sous-traitant, auquel la loi du 31 décembre 1975 ne crée aucune obligation dont la violation aurait constitué une faute, et que le préjudice en résultant était caractérisé par la perte de l'action directe puisqu'il n'était pas démontré, ni même allégué, que le contrat de sous-traitance n'aurait pas permis l'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement, a pu en déduire que ce préjudice autorisait la société Comep à réclamer à titre de dommages-intérêts une indemnité dont elle a souverainement évalué le montant ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.